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Entretien avec José Manuel Gonçalvès, directeur du CENTQUATRE-PARIS, lieu culturel situé dans le 19e arrondissement, quartier populaire.

On associe aisément culture et milieu privilégié, pratique d’entre-soi. Or, quand on arrive au CENTQUATRE, on est d’abord surpris par l’effervescence qui y règne, la diversité des pratiquants et des activités qui s’y déroulent. Comment faites-vous ?

Dans tout programme pédagogique un peu élaboré on essaye de créer des assemblages pour tenter d’identifier tous les marqueurs correspondant à la diversité des publics. C’est une intention louable mais ce qui importe avant tout c’est que l’accessibilité soit garantie à tous et toutes.

Nous proposons la même chose pour tout le monde, une ambition de contenu qui contente le public habitué et qui rassure l’accès pour certain·es.
Il n’y a pas de spectacle sur le temps scolaire, mais des possibilités avec des enseignant·es durant la soirée afin de s’inscrire dans une pratique culturelle.

Ensuite, il faut créer une disponibilité de l’espace avec un dispositif où l’entrée est libre, en retrait par rapport au contrôle dont les formes ont été discutées y compris avec les services du préfet afin de garantir la sécurité.

L’importance c’est que le public entre, qu’il soit là. Habituellement, il y a un code implicite : on est dans un lieu culturel et d’art, il y a un accès, un lieu d’attente, des franchissements, une circulation, un lieu d’activité… on nous oriente y compris avec des éléments visuels, sonores… ici, aucun signe de conduite « obligatoire », dans les espaces il y a des bancs, des transats libres d’accès, reconfigurables. On peut en disposer, investir cet espace, le partager avec d’autres, y côtoyer des artistes connus et inconnus, l’espace d’attente transformé en espace de pratiques artistiques par les gens eux-mêmes. On peut ne rien faire, pratiquer dans les espaces ou devenir spectateur, spectatrice, en assistant à des spectacles, s’installer et regarder en famille, etc. à l’intérieur, des jongleur·euses, des comédien·nes, des hip-hopeurs et des professionnel·es qui se mélangent avec des novices : une mini ville intelligente et sensible qui facilite, pour chacun·e, le fait d’avoir un comportement ouvert au regard des autres.

Ici, aucun signe de conduite « obligatoire », dans les espaces il y a des bancs, des transats libres d’accès, reconfigurables. On peut en disposer, investir cet espace, le partager avec d’autres, y côtoyer des artistes connus et inconnus.
Avec cette conception de l’espace nous faisons de l’urbanisme culturel.

Avec cette conception de l’espace nous faisons de l’urbanisme culturel. Tout est disponible et discutable, beaucoup de choses sont possibles, y compris les pratiques spontanées. Il n’y a pas d’annonce sonore, en entrant on comprend qu’on peut prendre possession des lieux, qu’il faut chercher pour se renseigner, les consignes seront alors données par un personnel d’accueil et non des consignes dans l’espace public, nous tenons à ce que ces tâches soient incarnées.

Tous les mardi le CODIR procède à la redéfinition des espaces de circulation créant ainsi une dynamique au lieu, invitant les publics à s’en saisir à nouveau et mettant ainsi tout le monde à égalité dans l’appropriation des espaces. Nous avons alors fait le constat suivant : que l’on vienne pour un contenu précis ou pas, un spectacle avec ses horaires, on prolonge toujours le temps passé sur place qui s’établit à une moyenne de 4 h par personne : au 104 vous êtes ! on a autant un public qui vient au spectacle qu’une population qui pratique un espace. Au 104, si le contenu est exigeant, son premier élément de médiation culturelle, c’est son espace et sa conception. Toute population doit pouvoir développer l’activité de son choix dans cet espace.

Faire entrer dans un théâtre ou assister à un spectacle de danse, relève souvent d’un défi, apparemment vous parvenez à le relever grâce à votre conception d’un centre culturel, mais parvenez-vous à fidéliser ce public, ces pratiquant·es ?

Sachant qu’il peut venir à tout moment, pour y vivre ce qu’il aura décidé, le public est tenu par la qualité d’une relation aux lieux… Ici, il n’y a pas d’abonnement pourtant la fréquentation est équivalente à des lieux plus centraux comme le Châtelet et le théâtre de la ville réunis. Le fait qu’on ne doive pas s’engager pour l’année, que les places sont disponibles jusqu’aux derniers moments pour les spectacles, et donc que le public est quasiment sûr d’entrer, font qu’au lieu d’un public en moyenne âgé de plus de 50 ans et représentant les CSP plus, on a une moyenne d’âge autour de 35 ans, et de toute catégorie sociale.

Le fait qu’on ne doive pas s’engager pour l’année, que les places sont disponibles jusqu’aux derniers moments pour les spectacles, et donc que le public est quasiment sûr d’entrer, font qu’au lieu d’un public en moyenne âgé de plus de 50 ans et représentant les CSP plus, on a une moyenne d’âge autour de 35 ans, et de toute catégorie sociale.

Les profs d’EPS enseignent le sport, la danse et les arts du cirque à l’école. Ils sont parfois en difficulté pour faire entrer tous leurs élèves dans ces univers si différents. Que leur proposeriez-vous ?

À l’école, la difficulté est intrinsèque à l’éducation nationale : c’est l’obligation d’y être pour y suivre un enseignement. Et, de plus, à un âge où la défiance vis-à-vis des obligations est une manière d’affirmer son identité ! Cette situation paradoxale fait que la jeunesse cherche ailleurs une liberté qu’elle n’y trouve pas.
Si les arts peuvent nous permettre de nous extraire des contingences, on peut faire en sorte de passer un accord avec les enseignant·es pour discuter avec les jeunes d’un protocole de confiance. Quand ils viennent ici avec leurs profs, on leur donne quelques clefs qui leur permettent de nourrir une discussion où ils ont le droit d’’être pour ou contre, d’aimer ou pas, avec une grande liberté d’expression… dans ces échanges on a un taux de satisfaction de 90%.
Il nous faut les rassurer d’abord avec des formes qui aient des éléments de familiarité et de complicité proches de leurs univers. Les consoler aussi de quelque chose qu’ils n’arrivent pas à atteindre. Il s’agit d’aller chercher dans leur champ référentiel ce qui peut les rassurer, partir de ce qui les constitue dans leur quotidien, de ce qu’ils nous disent de ce qu’ils sont, puis, après, montrer quelques brèches dans cet univers pour les mener ailleurs ensemble où on pourrait aller avec eux.

Il y faut évidemment de la pugnacité, de l’abnégation et de la conviction pour leur donner cette nouvelle liberté qu’offrent les fictions des œuvres et des artistes !

Entretien réalisé par Jean-Pierre Lepoix et paru dans le Contrepied HS N°29 – EPS et Loisirs