Badminton : Lucidité, précision, explosivité !

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Eric Silvestri est entraineur national, en charge de la professionnalisation, l’emploi et des relations avec les universités à la fédération de badminton. Ancien enseignant d’EPS il œuvre aussi pour la formation des jeunes et une meilleure formalisation de l’activité du joueur. Ce travail, qui nous questionne, pourrait remettre en cause certaines habitudes de travail en EPS.

Quelle sont les tendances dans la réflexion sur la formation ces dernières années ?

Le badminton a subit une sorte de révolution culturelle, passant d’une conception techniciste de la pratique à une modélisation de l’activité du joueur. Je pense que toutes les fédérations sont passées par ce stade, souvent d’ailleurs sous l’impulsion d’enseignants d’EPS comme le montre votre numéro sur le Hand par exemple.
En mettant en relation l’activité du pratiquant et le but de l’activité, on arrive à une modélisation autour de 3 concepts : lucidité – précision – explosivité qui permet de concevoir la formation des débutant-e-s jusqu’au plus haut niveau. La recherche d’une efficacité plus grande dans le jeu passe par le développement de ces ressources.

Peux-tu développer ?

Le travail a reposé sur l’analyse de l’activité déployée par le pratiquant ou la pratiquante et indique les voies de développement. Nous avons expliqué et détaillé tout cela dans une mallette pédagogique vendue actuellement par la fédération pour les clubs mais aussi pourquoi pas les particuliers, les enseignants d’EPS, qui souhaiteraient avoir un outil à la fois complet et synthétique. Pour clarifier, le joueur doit devenir de plus en plus :

Lucide : c’est une autre façon de parler de « lecture du jeu », terme que l’on utilise dans d’autres sports comme les sports collectifs, auquel on ajoute une capacité à gérer ses émotions pour mieux fonder ses choix tactiques.

Précis : pour envoyer le volant à l’endroit voulu et à la vitesse souhaitée. Cela demande de travailler ce que l’on appelle classiquement l’habileté (travail sur la maniabilité, le contrôle, etc.) orientée vers le but, c’est-à-dire l’atteinte de la cible adverse.

Explosif : on renvoie ici à la gestion de l’effort spécifique, des efforts brefs mais intenses, la capacité à se mettre en action de plus en plus rapidement. Cela suppose par exemple d’être en tension musculaire pour réagir à un signal.

En quoi est-ce que c’est, comme tu le dis, une sorte de révolution culturelle ?

Actuellement, j’ai pu le constater lors de nombreuses formations avec les enseignants d’EPS ou des formateurs (nous avons mis en place une collaboration avec la conférence des directeurs de STAPS), qu’une approche technico-tactique classique amenait les enseignants à faire travailler les élèves sur le « dégagement » qui est une frappe main haute pour envoyer le volant le plus loin possible. Cela provoque un jeu de gagne-terrain, encouragé par les conditions matérielles qui imposent souvent de travailler sur des demi-terrains. Cet axe de travail, par ailleurs répétitif, ne correspond pas à une analyse du jeu efficace. Dans le badminton moderne, le jeu s’organise tactiquement à partir de l’avant ou du mi-court, sur la largeur du terrain plus que sur la longueur, à partir de frappes main basse. Au haut niveau, 70% des points joués se font main basse dans le mi-court et au filet.

Si on considère que, comme nous le disons encore une fois dans notre mallette, en badminton, il s’agit, dans une même frappe, de résoudre des problèmes posés par l’adversaire et lui en poser, alors le travail main basse s’impose ou obtenir des trajectoires qui laissent peu de temps et d’espace à l’adversaire pour s’organiser. Dans le badminton moderne, on gagne avec l’idée de ne pas relever le volant, en mobilisant l’adversaire sur la largeur pour rechercher tactiquement l’espace libre.

Pour revenir sur le modèle que nous avons mis au point, la lucidité met l’accent sur la prise d’informations et la nécessité de développer le repérage des indices pertinents et les capacités bio-informationnelles, la précision impose le travail sur la maniabilité (prise et tenue de la raquette, capacité à en changer…) et l’explosivité sur la nécessaire gestion énergétique (nombre de sauts, de déplacements…). Est-ce que tout ça est abordé en EPS ? Pas sûr. Par exemple nous préconisons de travailler plutôt des frappes variées dans un espace proche, d’avoir une intention à chaque frappe, pour faire entrer tout de suite les jeunes vraiment dans le duel. Dans le dispositif- jeunes, nous avons établi des priorités et des modalités progressives de travail pour développer une « culture commune » du badminton.

Pour terminer en EPS, d’après ce que j’ai pu voir des pratiques, des programmes et des contenus, on a tendance à rentrer par ce qu’on pourrait appeler « le volume de jeu » qui passe notamment par le jeu en profondeur. Je considère qu’il est intéressant d’entrer dans l’activité par la vitesse de jeu même chez le débutant.


Dans les propositions de la fédération, pour les plus jeunes, on voit que vous n’hésitez pas à modifier les règles des compétitions. Est-ce nécessaire ?

Bien entendu. Nous avons mis en place de « plateaux de miniBad » pour les plus jeunes. Les modifications portent essentiellement sur la taille du terrain, la hauteur du filet, la mise en jeu et les modalités de rencontres, des matchs au temps…
Un filet à 1m50, comme pour les adultes, mettrait les plus jeunes dans l’impossibilité d’attaquer et le jeu deviendrait un jeu de renvoi. La compétition est conçue par nous avant tout comme un temps d’apprentissage. Il faut donc que le jeu soit possible, qu’ils puissent se dépasser, en étant entourés par les parents et les entraineurs. Nous préférons d’ailleurs plutôt parler de rencontres que de compétitions. Nous avons par exemple des formules de rencontres comme par exemple « la ronde suisse ». Son principe est simple : chaque joueur est opposé à un adversaire qui a fait, jusqu’à présent, le même parcours que lui. Le premier tour est tiré au sort. Les joueurs qui gagnent reçoivent un point, ceux qui font match nul reçoivent un demi-point et les perdants ne reçoivent aucun point. Qu’ils gagnent, perdent ou fassent match nul, tous les joueurs poursuivent le tournoi au tour suivant où les gagnants seront opposés aux gagnants, les perdants aux perdants et ainsi de suite. Au cours des tours suivants, les joueurs affrontent des adversaires qui comptent le même nombre de points (ou à peu près). Au cours d’un même tournoi, aucun joueur ne rencontre deux fois le même adversaire, et tout le monde fait le même nombre de matchs.

Dans le badminton moderne, on gagne avec l’idée de ne pas relever le volant, en mobilisant l’adversaire sur la largeur pour rechercher tactiquement l’espace libre.

Un dernier mot pour savoir comment évolue l’entrainement au haut-niveau ?

Avant la préparation était essentiellement technique, avec un gros travail de préparation physique. Mais face aux meilleures nations asiatiques, ce n’est pas suffisant. Ils ont un tel réservoir que la sélection permet effectivement de propulser les meilleurs au plus haut niveau. Techniquement, physiquement, ils sont imbattables. La seule solution est de mieux former tactiquement, ce qui passe par la connaissance minutieuse de l’adversaire. D’autre part, la part psychologique est essentielle. Développer la « combativité » est déterminant. C’est ainsi que les Danois par exemple tirent leur épingle du jeu au niveau international, sans avoir la masse de pratiquants des asiatiques.
Pour donner un exemple de ce passage du technique vers le tactique, il y a dix ans, on travaillait à être tôt sur le volant. Mais on a atteint un seuil où le monde finalement est au même niveau. Donc on s’oriente vers un travail plutôt de feinte, de masquage des coups, au contraire de frapper vite on va retarder sa frappe pour augmenter l’incertitude chez l’adversaire…

Propos recueillis par Christian Couturier et parus dans le Contrepied Hors-Série n°8 – Badminton