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Comme le disait Jacques Rouyer dans son éditorial du numéro de la revue Contre Pied consacré à la danse[[Jacques Rouyer, Réflexion sur un conflit historique paradoxal, Revue Contre Pied n°13, novembre 2003 (épuisé) – Site EPS et Société/APSA/danse]], l’enjeu de l’enseignement de la danse en EPS c’est « l’enjeu de la démocratisation d’un nouveau domaine de culture aussi bien pour un grand nombre d’enseignants que pour l’ensemble des élèves.»

« Cela suppose un plan ambitieux de formation continue. Cela implique aussi de se donner une conception ouverte, pluraliste de l’objet culturel danse, respectueuse de toutes les entrées possibles et tenant compte notamment des résistances masculines. »
Les assises pédagogiques de Nantes pour leur sixième édition s’emparent de cette problématique en introduisant deux ateliers en danse.

Mais pourquoi enseigner l’art est-il difficile ?
Parce que sur le plan anthropologique l’art se situe dans un champ culturel spécifique. Par son œuvre l’artiste livre sa lecture du monde, du réel et le spectateur recrée l’œuvre par son regard singulier. Nos deux champs de références culturelles, les sports et les arts, sont donc très différents. Revenons aux propos de Jacques Rouyer : « L’activité sportive se pose dans un rapport de transformation directe au réel, d’efficacité, de résultat immédiatement vérifiable, [..] la danse introduit un langage de signes corporels, une communication et établit un rapport au réel au second degré. »
Parce que se placer dans une démarche de création artistique c’est se placer délibérément dans une démarche divergente : explorer dans un cadre donné le plus de réponses possible. Si l’imaginaire des élèves est sollicité en permanence, celui des enseignants doit l’être aussi. Cela n’est pas rassurant, cela déstabilise, cela inquiète. Recevoir et accepter les réponses des élèves dans leur diversité, les lire et les analyser se construit. Comme accepter d’être surpris, étonné, ému.
Il faut dépasser les clichés. Si tout est ouvert et possible, il suffirait de vagues sollicitations ou d’incantations pour créer. « Exprimez vous ! » Eh bien non, c’est l’inverse. Tout artiste, dans quelque domaine que ce soit, se donne des contraintes. Pierre Soulages, pour révéler la lumière se contraint à ne travailler que le noir ! L’enseignant de danse doit soumettre ses élèves aux mêmes conditions : plus les contraintes seront nombreuses et plus il donnera les moyens à ses élèves de créer en explorant le plus de réponses possible.

En danse comme dans n’importe quelle activité sportive, confronter les élèves aux problèmes de l’activité.
Dans les activités sportives, nous optons pour un enseignement qui, tout en partant de ce que savent faire les élèves, les confronte aux mêmes problèmes que les sportifs de haut niveau. Ainsi les problèmes posés par une pratique authentique, porteuse du fond culturel, de l’essence de l’activité contraignent les élèves à se transformer. Il ne viendrait à l’esprit d’aucun en sports collectifs de faire acquérir diverses techniques de maîtrise du ballon, dribble, tir, de démarquage…etc. sans confronter les élèves au jeu et à ce qui le fonde : le règlement.
C’est la même démarche en danse. S’il faut favoriser toutes les entrées possibles sans oublier le patrimoine des danses collectives et de tradition populaire par exemple, l’objectif est de permettre à tous les élèves de se confronter à ce qui fonde l’art : le triptyque auteur – œuvre – spectateur.
C’est pourquoi, en danse il est essentiel d’en venir au processus de création[[Clément Dumeste, L’art n’est pas un gros mot et Bruno Armengol, Le processus de création circassien, Revue Contre Pied, hors série n°3, mai 2012. ]] qui est au fond la situation de référence. Non seulement les élèves doivent apprendre à être des interprètes, mais ils doivent apprendre aussi à être des chorégraphes et des lecteurs/spectateurs.
L’enjeu de démocratisation est particulièrement important. Nulle part ailleurs en dehors de l’école de tels enseignements ont lieu. Pas même dans les lieux les plus prestigieux comme les conservatoires. Dans beaucoup d’écoles de danse, les apprentissages se limitent trop souvent à la seule acquisition de techniques par la reproduction (même si en soi cela peut être intéressant voire nécessaire à condition de ne pas en rester là).

Pour composer et lire, des savoirs et des connaissances sont indispensables.
La chorégraphie c’est l’art de composer. La danse est un langage, il existe donc un vocabulaire (les gestes), une grammaire et une syntaxe. Une fois qu’on a précisé son intention, ce qu’on veut faire passer aux spectateurs (projet expressif), comment le faire ? Les enseignants d’EPS maîtrisent encore difficilement ces règles. Or elles permettent de relier entre eux les gestes, de les combiner pour constituer des phrases, des développements. Elles sont communes à tous les styles de danse[[Françoise Torrent, Apprendre…oui mais quoi ? Revue Contre Pied, ibid.]]. Ces procédés peuvent être utilisés pour produire un effet, renforcer une idée, se distancier du réel. C’est un peu comme les figures de style qui jouent avec le sens des mots, leur sonorité…etc. Tous ces procédés doivent faire l’objet d’un enseignement.

Comme dans les activités sportives, transformer la motricité par l’acquisition de techniques.
De la même façon qu’en natation, l’acquisition de techniques contribue à transformer le terrien en nageur, l’acquisition de techniques en danse conduit à transformer la motricité usuelle et fonctionnelle en motricité expressive.
Pour ce faire, l’usage de contraintes est déterminant. En danse, elles concernent l’utilisation des composantes du mouvement, mais aussi les techniques d’ancrage, de placement du regard, de respiration, de jeu avec la verticale et de mobilisation de la colonne vertébrale, de chutes, d’initiation du mouvement…etc. et sont transversales à tous les styles de danse.
En danse comme ailleurs, pas de transformation sans apprentissages ni acquisition de techniques.

Tous interprètes, chorégraphes et lecteurs dans les 2 ateliers des Assises.
Notre défi est de faire vivre un processus de création authentique, même s’il est bref.
Notre ambition est non seulement de transformer des sportifs-ves en danseur-ses, mais aussi de permettre à chaque participant d’acquérir par la pratique les connaissances et savoirs du chorégraphe/lecteur.
– Le premier atelier mettra l’accent sur la transformation de la motricité usuelle et fonctionnelle en motricité dansée, expressive.
– Le deuxième atelier sera consacré à la composition
Le lecteur/spectateur sera indispensable dans ces transformations et acquisitions.