Les violences sexuelles dans le sport

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Pendant 3 ans, Pierre-Emmanuel Luneau-Daurignac, réalisateur d’un documentaire sur arte[[Les violences sexuelles dans le sport, visible sur arte.tv]], a recueilli, à travers 5 pays, des témoignages qui démontrent que les violences sexuelles dans le sport ne sont pas le résultat de dérapages ponctuels, mais sont révélatrices d’un ensemble de causes complémentaires qui font système.

Entretien réalisé par Jean-Pierre Lepoix, paru dans le ContrePied HS n°27, 2020

Avez-vous été surpris par les constats que vous avez faits, l’ampleur du phénomène, et comment les expliquez-vous ?

Je n’ai pas été surpris, car j’avais déjà découvert le phénomène en 2008 lors d’un reportage sur l’affaire Demongeot, et dans lequel j’ai pris conscience des racines profondes, que le nombre de victimes était gigantesque et frappé de voir les similitudes des violences et des processus à l’œuvre. Ce long travail que je continue me convainc du caractère commun de ces racines et donc m’incite à agir, si chaque histoire était différente ce serait plus difficile. De multiples causes sont à l’oeuvre :

La toute-puissance de l’encadrement et de l’entraîneur ; le désir de réussir des jeunes ; la culture de la soumission; la culture de la douleur physique et psychologique ; l’éloignement et la confiance des parents ; la culture du secret dans les fédérations et les clubs; les intérêts économiques, via les médailles, des fédérations; le désengagement de l’État ; l’absence de contre-pouvoirs; les attentes et le culte voué par le public au sport en faisant une sorte de religion laïque; tout cela fait que les actes de violences sont énormément facilités dans le sport plus qu’ailleurs. 

Il y a eu plus d’une dizaine d’études réalisées depuis 1990 sur le sujet. Toutes concluent autour de 15 % d’abus et de violences sexuelles dans le sport en général et jusqu’à 30 % dans le haut niveau. De nouvelles études sont en cours, dont celle du chercheur anglais Daniel Rhind.

Pourquoi, en proportions, citez-vous moins d’éléments concernant ce phénomène en France ?

C’est une volonté de ma part de montrer que c’est un phénomène mondial et interdisciplinaire. Il est le même en France, même si on peut affirmer sans trop de risques de se tromper qu’il est probablement moins développé dans le monde occidental que dans les régimes autoritaires comme en Russie ou en Chine.

L’éducation Physique semble épargnée, vous n’en parlez pas…

Je ne l’ai pas traitée parce que le cadre de l’Éducation Nationale ne participe pas de la même logique concernant le sport. Les rapports entre adultes et pratiquants sont différents et toutes les causes évoquées ne se retrouvent pas. Je n’ai personnellement ni chiffres ni expertises sur la question. Il y a plus de garde-fous

liés au cadre éducatif. Mais même dans ce cadre plus surveillé les professeurs doivent apprendre à se protéger eux- mêmes contre les accusations infondées, et donner peut-être l’exemple pour le reste du monde sportif ?

Pensez-vous que le phénomène va se développer ?

La situation peut paraître paradoxale. En parler éveille les consciences et peut diminuer les crimes. On vit actuellement une libération de la parole, mais il s’agit d’actes passés, on peut alors avoir l’impression qu’il n’y en a plus, mais ce n’est pas le cas.

Ne craignez-vous pas qu’un tel constat éloigne les parents du sport et les détourne de cette pratique pour leurs enfants ?

Je veux leur ouvrir les yeux. Ils doivent rester vigilants par rapport aux risques de dérapages. Les soupçons d’un adulte vis à vis d’un autre adulte sont lourds et peuvent être difficiles à gérer. Il y a un dialogue à établir pour que le travail soit fait, afin que les personnes saines soient en mesure d’encaisser le soupçon. Il faut que les parents, les encadrants et les encadrants d’encadrants osent dire : oui nous sommes conscients que vous doutez, c’est normal, il faut en parler. Il faut que les tabous tombent, tous doivent regarder cette réalité en face et intervenir pour y remédier. 

Entretien réalisé par Jean-Pierre Lepoix, paru dans le ContrePied HS n°27, 2020

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