Performances, sens et culture dans l’activité des élèves en EPS

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La réflexion que je présenterai lors de ces Assises s’appuie librement sur deux sources d’inspiration principales.

  • La première est une conception théorique générale de l’activité humaine à laquelle je me réfère, selon laquelle le corps, les significations, les émotions, les relations avec autrui, les situations et les éléments de la culture, sont indissociables, et consubstantiels de cette activité elle‐même.
  • La deuxième concerne les résultats que nous avons obtenus dans le cadre de diverses recherches de terrain conduites en EPS depuis plusieurs années dans notre laboratoire (Motricité, Interactions, Performance, implanté à l’UFR STAPS de Nantes), et qui visent plus particulièrement à mieux comprendre l’activité des élèves engagés dans les situations de classe en EPS[[On trouvera une présentation de cette conception théorique et de ces recherches dans l’ouvrage suivant : Saury, J., Adé, D., Gal-Petitfaux, N., Huet, B., Sève, C., & Trohel, J. (2013). Actions, significations et apprentissages en EPS. Paris : Editions Revue EP.S. Celles-ci sont également relayées sur le blog : www.apprendreeneps.wordpress.com]]

Ce double point de vue m’incite, en réponse à la « commande » qui nous a été adressée pour ces Assises, à développer les quelques idées suivantes, qui seront accompagnées d’exemples tirés de nos recherches.

1. Nous n’avons rien d’autre que des performances à « nous mettre sous la dent »

En effet, en tant qu’enseignants (mais également en tant que chercheurs) nous n’avons accès qu’à des performances comme indices de compétence.
La notion de compétence rend compte, en quelque sorte, de virtualités, qui ne s’actualisent qu’en se concrétisant par des performances dans des tâches spécifiées.
Il en est d’ailleurs de même pour l’ensemble des notions qui désignent les divers « déterminants » de l’activité inhérents au sujet : aptitudes, capacités, ressources…
Du point de vue de l’apprentissage, la performance est aussi le principal indice « d’adaptation majorante », pour faire face aux exigences d’une situation donnée.

2. Les performances ne sont pas dans la nature…

Considérer que toute adaptation constitue en elle‐même une performance serait toutefois d’un intérêt limité pour l’enseignement.
En tant que professeur d’EPS, élève, ou du point de vue de tout acteur engagé dans une pratique finalisée (ou « dirigée vers un but »), cette acception très large ne suffirait pas à guider notre action, nos efforts, orienter notre engagement dans la recherche de solutions nouvelles.

La performance est intéressante à considérer dans la mesure où nous attribuons une valeur relative, selon des critères normatifs qui permettent notamment de distinguer une « meilleure performance », ou une « moins bonne performance ».
En EPS, cette valeur normative est – ou devrait être a priori – en adéquation avec les finalités et objectifs de l’EPS. Il n’y a donc pas de performance « brute », ou « naturelle », mais des performances qui, à la fois traduisent l’appropriation d’une culture corporelle (des techniques sportives par exemple), et qui sont également culturellement signifiantes, c’est‐à‐dire, qui renvoient à des éléments de culture partagée au sein de communautés.
Il y a donc une relation très forte à mes yeux entre l’idée d’une « entrée dans la culture » et la notion de performance.
De la même façon que l’on peut voir la technique comme anthropologiquement constitutive, la performance me semble inhérente à toute pratique humaine finalisée.

3. Performances « du dehors » et performances « du dedans »

La notion de performance est le plus souvent associée à des indicateurs « objectifs » : scores, distances, temps, ratio victoires / défaites, etc.
C’est ce que l’on peut appeler la « performance du dehors », celle que peut décrire ou évaluer un observateur extérieur.
Evidemment ces dimensions sont importantes pour caractériser des progrès dans l’apprentissage par exemple, ou attester de « niveaux de compétence ». Cependant la performance est aussi un phénomène vécu en première personne par celui qui l’accomplit. C’est ce qu’on appellera la « performance du dedans », le versant subjectif de la performance.
Toute performance motrice s’accompagne d’une intentionnalité, de sensations, d’émotions, d’interprétations, de valeurs et de jugements personnels, qui constituent pour l’élève son expérience de la performance.
La compréhension de la « performance du dedans » est fondamentale pour guider les apprentissages d’une manière compréhensive.

4. Les performances comme instruments de relation à autrui

Les performances des élèves sont d’emblée, pour les élèves et pour l’enseignant, des éléments particulièrement significatifs dans les situations de classe. Elles sont également, du fait de leur visibilité mutuelle et des interactions qu’elles suscitent, spontanément ou d’une façon catalysée par l’enseignant, de puissants instruments de transaction et de négociation de sens dans la classe (entre enseignant et élèves et entre élèves).
Les activités de contrôle et de surveillance mutuelle entre les élèves, de « modélisation des compétences » des autres élèves, de construction de jugements de confiance à l’égard de la fiabilité de ses partenaires, etc., offrent, parallèlement aux interventions de l’enseignant, un réseau très riche de ressources soutenant la performance de chaque élève ou de chaque groupe d’élève.
L’un des enjeux important pour l’enseignant est donc de générer des dynamiques collectives et coopératives propices au développement des performances de chaque élève.

5. Les performances motrices comme témoins d’une culture incorporée

Les performances motrices ne résultent pas d’un « bon usage » de son corps. Elles résultent aussi de ce dont le corps dispose comme capacités adaptation autonomes et automatisées, qu’elles soient d’ordre biologique, ou l’expression d’une culture technique incorporée.
La puissance de ces capacités est fascinante.
Une « entrée en culture » ne peut être pensée me semble‐t‐il en EPS sans prendre en considération que le corps lui‐même « se cultive ».
Cela suppose de concevoir des situations d’apprentissage propices au développement d’habitudes, routines et automatismes inhérents à un « corps performant » que j’associe volontiers aussi à l’idée d’élève « physiquement éduqué » en EPS.

Intervention orale de Jacques SAYRY, Université de Nantes, aux Assises pédagogiques du 5-6 février 2015.