Queue du chat, serrez, expirez et… des doutes !

Temps de lecture : 10 mn.

Didier Michaux est enseignant au lycée Bernard Palissy d’Agen. La musculation y est programmée en classes de première et dans certains menus de terminale, elle se déroule dans un sous-sol réaménagé de l’établissement (20 m x 5 m environ), occupé d’appareils et de petit matériel, pour des classes de 30 à 35 élèves.
Le cycle dure 7 séances.

J’insiste pour affirmer que c’est un compte-rendu de pratique fidèle à la réalité de mon enseignement actuel… mais qui n’est pas exempt de doutes.
Chaque séance démarre par un rituel d’échauffement dirigé pendant les deux premières séances puis en autonomie à partir d’une fiche affichée, jusqu’à la fin du cycle. Il s’agit d’installer une posture préalable à tout exercice évitant les compensations sur le dos et la colonne et les éventuels accidents (type lombalgies).

Trois indications sont données:

  • Rentrer la queue du chat entre les jambes et serrer trois crans de ceinture, expirez ! ou dit plus simplement : queue du chat, serrer, signifiant l’engagement du souffle et la mobilisation des muscles périnéens et abdominaux. Bloc bas. Ce rituel sera systématisé avant chaque exercice concernant le bloc haut, comme un rappel.
  • épaules basses en arrière , par mobilisation des spinaux et des dorsaux fixateurs des omoplates Bloc haut. (rappel)
  • Double menton, = auto-grandissement par les spinaux et les muscles du cou.(rappel)

Créer un bloc bas, un bloc haut du corps, expirer, véritable assise permettant la réalisation des mouvements envisagés pour le travail de renforcement.
Ces exigences, ont été construites par tâtonnement, à partir de mon expérience en « force athlétique » et faute de savoirs savants en musculation.

La première séance

La première séance, les élèves sont dispersés dans la salle pour un échauffement général :
1. Rotations: poignets, coudes, épaules, cou (avec les épaules bases et en arrière. cf. rappel), jambes ;

  • « assouplissements dynamiques » 3 x 6’’ jumeaux D, G, ischios D, G, quadriceps, adducteurs.
  • ­­­à partir d’un gainage abdominal, pieds parallèles au sol, et en gardant les épaules basses et en arrière : extension thoracique: se grandir en incurvant en arrière le haut du dos ; inclinaison latérale D, G ; rotation D, G(x3).

J’explique l’intérêt de la mobilité de la cage thoracique, de positionner les épaules basses et en arrière, pour permettre l’inclinaison et la rotation du tronc dans la zone anatomiquement prévue pour cela, et éviter que le mouvement ne se reporte sur la zone lombaire qui, elle, n’est pas.

2. échauffement cardio : 5 x 30’’(course sur place ponctuée de flexions (dos droit), d’extensions, de mouvements d’ouverture-fermeture latérale des jambes et des bras pour arriver à l’essoufflement avec les 35 élèves en même temps.
à partir de la 3e séance, l’entrée des élèves en activité devient échelonnée, autonome, ce qui permet l’usage d’outils et d’appareils (cordes à sauter, rameurs…).

3. Dans la partie spécifique de l’échauffement, j’introduis la notion de bloc bas  : mise en jeu des muscles pelviens et des transverses, en expirant. Répéter plusieurs fois cet exercice (pour intégrer les sensations) ; les mouvements en musculation ne seront réalisés qu’une fois que le souffle aura été engagé de cette façon : le souffle précède le mouvement ! Le transverse est un des muscles profonds qui est mis en jeu lors de l’expiration, et sera donc travaillé dans tous les exercices du cours.

Les autres muscles profonds mis en jeu également dans tous les exercices feront l’objet d’un travail spécifique.

  • Tout d’abord les grands droits, en travail statique, isométrique : à partir d’une position allongée au sol sur le ventre, expiration avec « rappel » pour rigidifier le corps, en auto-grandissement (nuque dans le prolongement du dos), puis monter en appui sur les coudes (position en gainage, corps non déformé) : 3 x 10’’.
  • Puis les obliques et carrés des lombes : à partir d’une position allongée latéralement au sol, expiration avec « rappel» pour rigidifier le corps, puis monter en appui sur le coude, redescendre en inspirant : 3 x 5 répétitions côté droit et côté gauche, planche latérale G, D, on ne monte que lorsqu’on a gainé le corps.
  • Puis les spinaux : mouvement d’Arlaud : allongé sur le ventre, bras loin devant, regard au sol, expiration avec « rappel » pour rigidifier le corps, en auto-grandissement puis inspirer en réalisant un arc de cercle avec les mains jusqu’aux fesses, et souffler en ramenant les mains loin devant. 3 x 15 répétitions.
  • Et enfin les dorsaux-fixateurs des omoplates (rhomboïdes et trapèzes moyens et inférieurs) : couché à plat dos, expiration avec «rappel » pour créer le bloc bas, puis inspirer en contractant les fixateurs (entraîne le soulèvement de la poitrine au niveau du sternum), le corps restant en appui tête, fesses, jambes (mais le haut du dos est décollé) :3 x 15 répétitions.

Cet échauffement réalisé, je réunis le groupe pour l’organisation sur les 16 ateliers concernant chacun un muscle : grands droits, carré des lombes, obliques, spinaux, dorsaux-fixateurs des omoplates, coiffe des rotateurs, biceps, triceps, pectoraux, grands dorsaux, deltoïdes postérieurs, quadriceps, ischio-jambiers, adducteurs, moyens-fessiers, grands fessiers.
J’ai réparti les élèves par 2 ou 3, et je rappelle à nouveau les postures préalables : « rappel ».

Chaque atelier a une fiche de référence qui précise : le nom du muscle travaillé avec son positionnement sur le corps, le nom de l’exercice et une description de son déroulement .
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Travail sur 4 à 5’, un seul exercice à réaliser avec 10 répétitions à vide, puis avec charge additionnelle modérée, de 5 à 15 kg pour les membres supérieurs, de 5 kg (adducteurs) à 60 kg (quadriceps) pour les membres inférieurs.
But : avoir intégré la posture pour un travail musculaire ciblé et avoir localisé et identifié le muscle concerné.

La séance 2

Elle sera consacrée au choix de 4 muscles superficiels et d’un exercice adapté à chacun des 8 muscles qu’il faudra travailler à chaque séance (grands droits, carré des lombes-obliques, spinaux et dorsaux-fixateurs sont imposés), et au calcul d’une valeur repère (le 1RM) pour les exercices nécessitant la mobilisation de charges additionnelles.

La séance 3

Chaque élève choisit un thème de travail (par exemple endurance de force, ou tonification…) et reçoit une fiche mémento des valeurs de travail à respecter ainsi qu’une fiche de travail hebdomadaire que l’on renseigne ensemble : je la projette à l’écran (cf fiche) et explique comment on la renseigne : 1RM, % de travail choisi, charge de travail en découlant (1RM X % âge choisi), nombre de séries, de répétitions, durée de récupération à partir des valeurs indiquées sur la fiche mémento. Les élèves doivent préparer le travail pour un des muscles, me montrer leur fiche pour validation, puis partent réaliser le travail programmé.

À noter que les exercices sont à identifier selon qu’ils nécessitent ou pas la mobilisation de charges additionnelles (auquel cas, il faut faire référence à une valeur 1RM et des % de travail), ou qu’ils ne mettent en jeu que le corps seul en mouvement (nombre répétitions) ou en statique (durée d’exercice).
À la fin de la séance, nous retournons devant l’écran afin d’envisager la méthodologie servant à réaliser le bilan et les perspectives de travail à venir : dans le bilan, muscle par muscle, les élèves doivent expliquer si la réalisation du travail programmé a été facile, difficile ou non terminée. Dans les 2 derniers cas en expliquant ce qui a posé problème (difficulté à tenir la posture, douleur, etc.) et, lorsque le travail n’a pu être que partiel, préciser ce qui a été réellement réalisé.
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En perspective, muscle par muscle, les élèves doivent prévoir d’augmenter l’intensité du travail en modifiant les valeurs de travail (% pour les exercices à charges additionnelles, nombre de séries, nombre de répétitions, durée de récupération) sauf dans le cas d’exercices non terminés où ils doivent conserver les mêmes valeurs (cf. fiche séance) .

Je suis convaincu que les élèves se transforment en terme de gain de
force, et, notamment, gagnent en tonicité posturale, qui peut se traduire dans
leur vie quotidienne ou dans leurs pratiques sportives ou artistiques.

À partir de la 4e séance

Les élèves doivent préparer les séances à la maison que je vérifie à l’entrée de la salle (4e séance uniquement). J’incite les élèves à m’envoyer leurs préparations de séance 4 et 5 sur ma boîte mail professionnelle afin de les aider à comprendre toutes les exigences méthodologiques en matière de conception, de bilan et d’analyse.

Le carnet d’entraînement

Les élèves qui suivent cette logique acquièrent réellement le niveau de maîtrise attendu sur ces aspects conceptuels : cela concerne en général un peu plus de 50% des élèves, qui préparent, rangent dans un trieur et compilent régulièrement leurs fiches séance, et peuvent ainsi procéder au rendu du carnet d’entraînement exigé en fin de cycle. Ce travail de préparation surprend les élèves peu habitués à avoir à se préoccuper des attendus des cours d’EPS hors du temps du cours.

À partir de la 4e séance, je demande aux élèves de travailler par deux, je corrige les postures, en insistant sur le RAPPEL, je ré-explique pourquoi ces blocs haut et bas sont essentiels.
Parfois il est évident que la charge de travail utilisée est inadaptée : on regarde les valeurs de préparation, le calcul de la valeur 1RM.

S’il n’y a pas d’erreur à ce niveau, il arrive que je reprenne le calcul de cette valeur avec l’élève en comptant le nombre de réalisations vraiment maîtrisées en situation test. Lors de la séance 2, pour le calcul des valeurs 1RM, il m’est difficile de contrôler les 35 élèves dans leurs exercices-tests par rapport au respect des postures, et il arrive que les élèves aient réalisé de nombreuses répétitions avec des compensations. Ainsi je demande au partenaire du duo de contrôler l’engagement postural, de vérifier que seul le bras est en mouvement de flexion lors du travail des biceps, le reste du corps étant comme statufié : pas de mouvement de tête, ou d’oscillation du dos ou des épaules. Mes interventions portent aussi sur l’intensité du souffle : un souffle puissant est le garant d’une sollicitation forte des transverses.

Au fur et à mesure je veille aussi qu’ils respectent réellement le travail programmé :

  • au niveau des durées de récupération (un chronomètre en ligne est affiché à l’écran de la salle ; ils peuvent aussi utiliser montre ou portable),
  • du respect de la vitesse de réalisation prévue par leur thème.(en se référant à l’affichage).

L’évaluation

  • 6 points sont attribués aux aspects conceptuels en s’appuyant sur le carnet d’entraînement rendu en fin de cycle : celui-ci doit être complet et doit refléter la réalité du travail réalisé. Il n’est pas rare d’être confronté à des reconstructions a posteriori de séances d’entraînement idéales qui n’ont jamais existé, parfois avec des séances correspondant à des dates où l’élève était absent !
  • 14 points sont attribués à la réalisation des séances d’entraînement à partir de critères liés au respect de la posture, au placement de la respiration, à la vitesse de réalisation, à la réalisation d’étirements, au respect des durées de récupération et d’un volume de travail conséquent à chaque séance (8 muscles travaillés). C’est une évaluation continue qui se déroule à partir de la 4e séance.

Pour chaque élève je dispose d’une fiche de 8 cases correspondant aux 8 muscles travaillés : dans chaque case il y a le code PREV, correspondant à Posture, Respiration, Étirement, Vitesse.
Chaque fois que je juge un des critères maîtrisé, je le valide en couleur différente. Au fil des séances les cases se colorent, et, pour la dernière séance, je me réimprime une fiche où ne demeurent que les critères manquants. Pour celles et ceux à qui il manque un ou deux critères, la maîtrise est réelle. Pour d’autres, où de nombreux critères sont manquants, il n’est pas rare que cela corresponde à une activité peu soutenue, peu ou mal préparée…

Quel est l’apport essentiel de la pratique de cette activité pour les élèves ? Il se résume en 4 points : l’acquisition d’une posture permettant un engagement ciblé, identifié, évitant les compensations et les risques d’accident. La compréhension des notions de blocs. L’élaboration et le respect d’une méthode d’entraînement. Enfin, je suis convaincu que les élèves se transforment en terme de gain de force, et, notamment, gagnent en tonicité posturale, qui peut se traduire dans leur vie quotidienne ou dans leurs pratiques sportives ou artistiques.

Des questions qui suscitent un doute.

Je constate que des élèves sont un peu frustrés de ne pas fonctionner en charge maximale. Cela m’incite à penser que des grilles de référence (barèmes, notes de performance), sur un ou 2 exercices, devraient s’établir sachant que telle n’est pas la perspective de la CP5.

Ce travail présente les limites d’être une activité d’entraînement à… rien, sinon à une éducation posturale que l’activité sportive ou physique soutenue, appelle. Les élèves ont certainement à gagner à comprendre qu’il y a intérêt à engager le corps, et le travail sur le corps, dans le respect de certains principes posturaux que la multiplication des salles spécialisées en « fitness-musculation » ne garantit pas. Cette activité, classée CP5, peine à s’appuyer sur des savoirs savants…Elle n’en prendrait sans doute que plus de valeur à glisser dans une logique CP1, sportive, avec préparation à la performance. Resterait alors à établir les niveaux attendus et de disposer de grilles de niveaux de performance.

Entretien réalisé par Jean-Pierre Lepoix et paru dans le Contrepied n°26 – Musculation