Rapport au corps, genre et réussite en EPS

Temps de lecture : 7 mn.

Les éditons AFRAPS viennent de publier l’ouvrage “Rapport au corps, genre et réussite en EPS ” coordonnée par Geneviève Cogérino((G. Cogérino (Dir), Rapport au corps, genre et réussite en EPS, Editions AFRAPS, 2017 – Pour commander c’est par ici] )), en écho avec une thématique du capeps. Au-delà de sa fonction de préparation aux concours pour les formateurs et les étudiants,cet ouvrage se révèle être un formidable regard sur l’EPS d’aujourd’hui. À nous de nous en saisir…


Bruno Cremonesi : Vous venez de coordonner Rapport au corps genre et réussite en eps : est-ce que c’est un livre de plus sur le genre ?

G.C : Le livre n’est pas seulement sur le genre. Il traite de la question du rapport au corps et du genre.

Dans les formations, ce rapport au corps est souvent traité à partir des travaux de sociologues, historiens et philosophes (Vigarello, Lebreton…), parfois très « datés » (Schilder).
-148.jpgTrès peu de cours abordent le rapport au corps en relation avec l’observation des pratiques physiques. L’ouvrage cherche donc à actualiser les références et outils.
Par exemple, les cours donnent rarement aux étudiants des repères sur les savoir-faire perceptifs, la liaison entre sensations et savoir-faire perceptifs, leur élaboration inscrite dans la culture sociale et familiale.

Beaucoup d’écrits sur le genre sont souvent binaires, avec des caricatures qui conduisent à l’effet inverse de celui recherché : ils tendent à bi-catégoriser garçons/filles, là où ils devraient montrer la pluralité des filles et des garçons.

L’approche très partielle des travaux sur le genre suggère de s’occuper des filles.
On enferme d’une certaine façon les garçons et les filles dans une forme de pratique qui serait déterminée par le sexe. Par exemple, une survalorisation de l’esthétique pour les filles et de la force pour les garçons.

C. Menesson et S. Barrau, C. Guérandel montrent que cette construction s’inscrit dans une dynamique sociale et qu’elle varie au sein du groupe des filles et de celui des garçons.

Certains garçons peuvent aimer « l’esthétique » sans pour autant faire une « pratique de fille ». Alors que les discours professionnels typologisent les formes techniques en fonction des garçons et des filles, participent de cette production des caricatures.

Lorsque l’on continue de lire que les garçons vont smacher et que les filles jouent avec agilité et finesse, on lie les techniques avec le sexe d’un élève et, de fait, on court le risque de renforcer ces stéréotypes.

BC : Une question personnelle : La CP 5 ou la volonté d’écarter la CP4 ont toujours été avancées pour favoriser l’implication des filles. Pourtant plusieurs auteurs semblent montrer que ce choix enferme les élèves dans la reproduction de stéréotypes

GC : De manière synthétique, je rappellerais qu’une pratique physique n’est jamais porteuse en elle-même d’enjeux, d’apports, d’intérêts.
Ceux-ci sont liés d’une part à la manière dont elle est enseignée, d’autre part aux représentations, attentes, niveaux qu’ont les pratiquants ou élèves.
D’où les débats entre passionnés qui ne voient que des aspects positifs à une pratique pour laquelle ils sont justement passionnés (que ce soit les échecs, la couture, ou le rugby..), et inversement pour ceux qui ne sont pas « branchés ».

La CP 5, n’est donc pas une pratique qui libère des stéréotypes genrés et favorise la réussite de tous : c’est surtout la manière dont elle est enseignée, avec tous les micro-comportements, remarques, attitudes qui échappent à la conscience des intervenants.

C. Vigneron dans l’un de ses chapitres questionne l’impact du dispositif spatial sur la motivation des filles qui devraient réaliser des exercices au vu de tous, au centre de la salle, car les G sont sur les appareils et ont un peu de temps libre (on dit : « temps de récup’ »…).

La nature des contenus d’enseignement et des démarches d’apprentissage a un impact essentiel sur l’engagement des élèves, et donc la réussite spécifique d’un sexe ou d’un autre.

Il ressort de tout cela que ce n’est pas « l’étiquette » de la pratique qui fait réussir ou limite la démobilisation de certaines filles et de certains garçons (ne pas oublier les G désengagés) : c’est essentiellement la manière dont elle est enseignée : les choix de contenus et des démarches, mais aussi tous les comportements et interactions des enseignants.

Pour résumer, l’implication des F est trop souvent approchée sur un mode « pessimiste » (« on ne peut rien y faire, c’est comme ça les F »). Alors que des raisons de leur faible engagement ou faible réussite ne sont que partiellement analysées.

Ne plus faire de sports co et y substituer une CP5 (compilation irréfléchie sur le fond de pratiques physiques disparates- voir études de sociologie, psychosociologie et psychologie clinique publiées par les chercheurs à propos de musculation, yoga, etc.. -) n’est en rien un gage d’implication plus intense des filles dans une pratique physique qui, telle qu’elle est enseignée, ne fait que renforcer les stéréotypes sociaux relatifs au rapport corps-pratique physique chez les F (cf chapitre sur Image du corps/pratique physique).

BC : Quel voie de progrès pour tous et toutes ?

Vaste question !
Plutôt que d’avoir des impositions programmatiques de l’institution, il serait préférable que les équipes enseignantes, à partir de leur contexte local et d’un accompagnement de formation, puissent réfléchir au choix des pratiques et à leurs formes permettant l’engagement de tous et toutes.

En prenant davantage en compte le fait que les pressions sociales, culturelles existent, on peut peut-être les limiter mais pas les supprimer. Une des 1ères conséquences, c’est peut-être qu’on ne peut pas servir le « même repas » à des sujets qui n’ont pas la même faim, le même estomac et les mêmes bactéries pour digérer. C’est pourtant la démarche suivie dans les programmes et dans les habitudes d’enseignement de certains.

BC : En quoi la réflexion sur des notions théorique comme l’égalité ou la justice permet-elle d’éclairer les praticiens ?

Mieux réfléchir aux définitions et enjeux de ce qu’on appelle l’égalité.

Sur ce thème le chapitre d’Ottogalli pointe des références, peut-être moins de pistes concrètes car issues de la réflexion de philosophes.

Pour ma part, je trouve que ce qui fait davantage bouger les lignes dans les têtes des étudiants, c’est de distinguer comme les sociologues de l’éducation :
– égalité des chances (mêmes chances d’accès en fonction du sexe ou du genre)
– égalité des moyens (des procédures d’enseignement identiques pour tous versus éventuellement différentes)
– égalité des résultats (même taux de réussite).

Les 3 tableaux ci dessous sont extraits de L’école peut-elle être juste et efficace ?
De l’égalité des chances à l’égalité des acquis
, De Boeck ((Crahay (2000) L’école peut-elle être juste et efficace ? De l’égalité des chances à l’égalité des acquis, De Boeck (reprenant Grisay, 1984) ))

Dans cette perspective :

On pose On admet On dénonce On prône
L’existence de dons, de potentialités ou d’aptitudes naturelles. Celles-ci définissent le niveau (le seuil) que l’individu peut espérer atteindre Des résultats inégaux, à condition qu’ils soient proportionnels aux aptitudes de départ.
L’existence de filières de valeur inégale
Une inégalité de traitement
Le fait que le mérite ne soit pas le seul critère d’accès aux filières nobles.
Les biais socioculturels affectant les tests d’orientation
Les imperfections des évaluations responsables du fait qu’à valeur égale, tel élève réussisse et tel autre échoue
Une détection objective ou scientifique des talents et des procédures scientifiques d’orientation
Une égalité d’accès aux filières longues, à aptitudes égales, pour les enfants de milieux favorisés et défavorisés
Une aide aux défavorisés doués (bourse, etc …)

Dans cette perspective :

On pose On admet On dénonce On prône
La capacité de tous à réaliser des apprentissages fondamentaux et donc à bénéficier d’un enseignement de base L’existence de dons, de potentialités ou d’aptitudes naturelles.
Des résultats inégaux à condition que les élèves aient pu bénéficier de conditions d’apprentissage de qualité équivalente
L’inégale qualité de l’enseignement, responsable d’acquis inégaux.
Les écoles sanctuaires dt les écoles-ghettos, les classes de niveaux, les filières explicites et implicites qui engendrent une inégale qualité d’enseignement. L’école unique ou l’enseignement compréhensif et notamment le tronc commun pour l’enseignement secondaire inférieur.

Dans cette perspective :

on pose on admet on dénonce on prône
Des potentialités d’apprentissage extensibles.
Des caractéristiques individuelles (cognitives et affectives) modifiables.
Des différences de rythme d’apprentissage
Des différences de résultats au-delà des compétences essentielles L’idéologie des dons.
Les discriminations négatives parmi lesquelles les classes de niveau, les filières, les écoles -sanctuaires et les écoles-ghettos ainsi que toutes le situations où l’inégale qualité d’enseignement amplifie les inégalités de départ.
L’égalité des acquis pour les compétences essentielles.
La discrimination positive, la PM, l’évaluation formative ainsi que tous les dispositifs de soutien qui visent à réduire les inégalités de départ

C’est juste une base pour pouvoir discuter et échanger sur les « moyens » de mieux/davantage faire réussir les F.

Finalement, cela renvoie à une réflexion sur les théories de justice.

La justice distributive distingue le principe d’égalité (où chacun reçoit la même chose) du principe de mérite (où les rétributions se font en fonction des « contributions : en EPS, F et G ont des « ressources » « inégales »).
Les principes de la justice distributive (centrée sur ce qui est distribué : note, salaire, récompense..) sont donc : égalité, mérite ou besoin, tandis que la justice procédurale (celle des notes, des examens..) est centrée sur le contrôle des procédures (de décision et d’attribution).

Fondamentalement, la thématique de l’égalité si on y réfléchit en EPS, engage à des cursus où procédures d’enseignement ou modalités d’évaluation devraient se différencier, certes en fonction du sexe, mais aussi plus globalement en fonction des ressources (pq si je mesure 1.60 est-ce que mon saut en hauteur est évalué de la même façon que pour untel qui mesure 1m75 ? pq untel qui fait tel sport en club est-il noté comme moi qui n’avait jamais pratiqué avant ?).
Or les ressources sont certes motrices, physiologiques, mais aussi mentales, culturellement formatées.