Sport et paix : dépasser le slogan

Temps de lecture : 7 mn.

Pour les anti-sportifs, le sport c’est la guerre ! La preuve par la triche, par les violences de certains matchs notamment dans les quartiers populaires. A l’opposé, pour de nombreux dirigeants politiques, le sport constitue un moyen au service de la paix sociale ou de la paix formelle en réunissant le temps d’une rencontre deux pays qui sont en conflit.
Pour Alain Jeunehomme, co-président du comité FSGT 93, « le sport a besoin de la paix ». « C’est plus un enjeu d’éducation dans un projet de société que de prétendre que le sport peut participer à la paix entre les pays, je ne crois pas à cette option ». C’est dans cette optique que ce comité a réfléchi à l’œuvre de culture de paix à laquelle peut contribuer le sport. Voici un projet global associatif et politique atypique dont l’ambition est d’éduquer à la paix et qui prend la forme de trois défis sportifs

Le relais Hiroshima-Nagazaki

La course consiste à parcourir 500 km en 3 jours en relais entre les deux villes. Le départ est le 6 août à 8h15 du matin, date anniversaire de la première bombe lâchée par les américains sur l’ile de Hiroshima en 1945. Les coureurs arriveront le 8 août au soir à Nagazaki pour participer à la cérémonie le 9 août à 11 h 02, lâché de la 2e bombe nucléaire. La shintairen (New Japan sport fédération) a créé cette course dans les années 80 avec l’objectif explicite de l’éducation à la paix.

Les passages dans chaque ville voient se joindre de nombreux coureurs au relais, et donnent l’occasion à de nombreuses villes d’organiser des manifestations autour de la paix. C’est aussi un exploit sportif car les équipes s’organisent pour conserver l’allure moyenne qui est de 12 km/h.et surtout quand on sait que les athlètes sont de niveaux et d’âges différents et peuvent être handicapés. Si un coureur court plus lentement, un autre devra avoir une moyenne plus importante pour garder le temps fixé. Il n’y a donc pas de classement, mais un défi collectif à relever et où chacun compte pour ce qu’il peut apporter au résultat final.

La Vivicitta

La Vivicitta, fondée par les italiens dans les années 80, est une course pour la paix en simultanée dans plusieurs pays. Les coureurs réalisent 12 km dans plusieurs villes dans le monde. Le classement, réalisé par informatique, prend en compte le temps et l’altimétrie. Les coureurs sont ainsi invités à courir avec le monde, à courir pour la paix. En France, 7 villes sont concernées depuis de nombreuses années, dont la ville de Saint-Ouen. Les organisateurs et la FSGT ont aménagé les modalités de participation pour que tous les coureurs puissent y participer en famille. Ainsi randonnée, poussette et roller sont autorisés.

Personne n’a la naïveté de croire que les projets menés vont réduire la violence ou effacer la catastrophe humaine de 2 bombes atomiques. Il s’agit plutôt de construire et développer des projets sportifs qui, par leur contenu et leur organisation, participent à faire société.

La majorité des gens reconnaissent dans le sport un mode de rencontre des autres, de lien social et de convivialité. à ce titre nombre de politiques l’utilisent comme un outil pour « la paix » mais son sens sur le développement humain et sociétal n’est pas forcément compris. Trop souvent la lecture de ces initiatives pour des grandes causes de solidarité ou pour la paix oublie le sens et la spécificité de la culture sportive et ne retient que la dimension visible et collective du sport. Le sport n’est alors que le prétexte pour rassembler des gens sur un thème. Les règles et les règlements ne sont pas travaillés pour créer de la cohérence entre les causes visées et le mode de pratique sportive.
Pourtant c’est par la transformation des règles du jeu et des règlements de la compétition que les pratiquants vont baigner dans une autre culture sportive et vivre le temps d’un match ou d’une course un autre projet politique.

La culture sportive, une forme de résistance socioculturelle

Les projets présentés par la FSGT s’inscrivent dans l’approche culturelle du sport participant au processus civilisationnel de pacification des mœurs.
Personne n’a la naïveté de croire que les projets menés vont réduire la violence ou effacer la catastrophe humaine de 2 bombes atomiques. Il s’agit plutôt de construire et développer des projets sportifs qui, par leur contenu et leur organisation, participent à faire société.
Cette dimension sociétale rejoint la thèse de Norbert Elias, défendant la fonction civilisatrice du sport. Les règles sportives et les modes de rencontres compétitives ne sont pas seulement des préoccupations de pédagogue mais traduisent aussi un projet politique.

Dans le relais Hiroshima-Nagasaki, les organisateurs ont choisi une épreuve avec des étapes longues et un temps limite. Dans le même temps, ils souhaitaient que tous coureurs quel que soient leurs niveaux puissent participer à la course. Les coureurs par équipe se sont organisés pour arriver avant la fin du temps.
Les meilleurs vont courir plus vite et plus longtemps avant de transmettre le relai aux coureurs les plus lents pour que leur équipe arrive avant la fin du temps.
En arrière plan, s’organise un projet social autre que la concurrence et l’élimination de l’autre pour réaliser un exploit. Une symbolique forte qui construit par le sport un projet politique de lien avec le monde.

Cette perspective rejoint celle de Chombart de Lauwe qui insiste sur le fait que dans l’ensemble de la société, la culture est en même temps conservatrice et créatrice. Ce rôle créateur n’a pas été mis en relief. La culture en tant que patrimoine culturel, modèle de comportements, production de la société est mieux connue que la culture envisagée dans son processus de création qui fait éclater les structures anciennes et modifie l’orientation de la transformation sociale en inventant des institutions nouvelles. 

Les états l’ont très vite compris et ont partout essayé de contrôler les modes de productions et de réglementation sportive avec en soubassement la volonté de contrôler la population. Pour Joffre Dumazedier « le potentiel culturel énorme qu’est la pratique sportive désintéressée peut développer des formes de résistance socio-culturelle au quotidien. » Ces micros projets réalisés par la FSGT participent de ces formes d’action.

Des projets en Palestine

Le modèle sportif en Palestine est essentiellement organisé selon une logique élitiste en vue de constituer des équipes nationales pour représenter la Palestine dans les compétitions internationales. Le mode d’organisation reprend les règles habituelles des autres pays, pâle copie négligeant même l’évolution des pratiques sportives dans ces pays.

Des fédérations uni-sport, organisées en clubs réservés aux meilleurs, ne favorisent pas une culture sportive locale permettant d’alimenter ces clubs et diversifier les modes de recrutement des joueurs. Un tel modèle sportif ne met pas au centre de son développement le jeu et la compétition équilibrée dans le rapport de force, en se centrant trop rapidement sur l’enjeu et en essayant tout de suite de détecter les meilleurs.

En Palestine, La FSGT œuvre pour le développement d’un service public de la vie associative qui proposera aux palestiniens-nes une pratique sportive qui conserve ses moteurs :
– la continuité du jeu pour tous comme préoccupation fondamentale de l’organisation des formes de rencontres.
– le développement au plus haut niveau de tous et toutes. C’est-à-dire qui place « l’excellence humaine » en se perfectionnant soi-même, ce qui est différent de l’objectif du sport de haute performance pour produire une élite, surtout lorsqu’il est pilotée par des fonctions essentiellement commerciale.

Emancipation des normes existantes

Pourquoi la FSGT met-elle le jeu au centre de ses préoccupations ? Parce que le sport n’est pas un ensemble de techniques découpées par des entraîneurs et qu’il faut répéter pour les apprendre. En considérant le jeu comme lieu de création et d’invention, elle place l’enfant dans une situation d’investissement total. Placé dans ce rapport complexe et inventif pour résoudre les problèmes de la culture sportive, il va reconstruire des techniques humaines inventées à travers l’histoire. Dans un même mouvement, il peut s’approprier ce patrimoine qui le fait appartenir à une même humanité et entrer dans un processus l’éduquant à la possibilité de créer et d’inventer. C’est ce processus qui permet l’appropriation du patrimoine tout en bousculant l’ordre établi.
La culture sportive pratiquée dans ce sens place l’émancipation au cœur de son projet et s’extrait « d’un processus de manipulation de la domination des classes au pouvoir. »

Donner les clés et le pouvoir de penser l’avenir sans dessaisir les populations de leurs pensées et actions possibles sur le monde est sans aucun doute l’une des meilleures façons d’éduquer à la paix. Là encore, il ne s’agit pas d’être naïf : faire aboutir ces idées est un combat mais un combat qui n’autorise pas à utiliser la force pour imposer aux plus faibles sa culture. Chercher à se dépasser avec d’autres, chercher à se dépasser contre les autres sans avoir la volonté de les éliminer, chercher à être dans un monde fait de différences constituent des voix importantes de l’éducation à la culture de la paix.

Ce texte est paru dans Contrepied HS n°4 – sept 2012 – Sport demain, enjeu citoyen