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Les sports collectifs sont souvent abordés par le biais des interdictions que les règles représentent.
Aborder les règles par les droits des joueurs permet de conserver le sens du jeu, ce qui les place alors d’emblée dans une exploration des possibles.

Le HB est le deuxième sport collectif de France en nombre de licenciés (470 590, INSEE). Celui-ci a doublé en 10 ans, situant ce sport derrière le FB mais devant le BB et le rugby. C’est le sport collectif le plus titré, 150 000 jeunes scolaires le pratiquent à l’AS et pourtant…

Dans les cours d’EPS, il semble ne pas occuper cette place prépondérante. Des paroles exposent certaines difficultés rencontrées. « J’ai arrêté le handball avec les élèves de secondes car le contact est trop complexe à gérer ». «  C’est plus pratique d’enseigner le basket car on peut diviser le terrain en plusieurs petits terrains ». «  Mes élèves ne progressent pas ou moins vite que dans d’autres sports ». «  Dans le sport scolaire, certains profs mettent les élèves en 6/0, ou même en5/1. Cela tue le jeu et ne rend pas la pratique intéressante pour les élèves. »

Les sports collectifs sont souvent abordés par le biais des interdictions que les règles représentent. Aborder les règles par les droits des joueurs permet de conserver le sens du jeu, ce qui les place alors d’emblée dans une exploration des possibles.

À contre pied de ces témoignages nous soumettons de nouvelles hypothèses de travail proposant un handball objet et moyen de formation. Un handball où les élèves vont construire des savoirs authentiques et signifiants, les dotant de réelles compétences et décuplant le plaisir de jouer. Un Contre Pied qui ne concevra pas le handball comme simplement un moyen de socialisation mais comme un lieu d’expression, de création et d’éducation totale. L’enjeu étant de proposer des contenus d’enseignement assurant l’entrée et la réussite de tous et toutes au handball sans sacrifier les éléments essentiels de ce qui fait sa culture. Qu’ont donc concrètement nos élèves à apprendre en EPS, du Handball. Répondre à cette interrogation, c’est affirmer que la réussite de chacun et chacune passe par la détermination de savoirs spécifiques à maitriser dans chaque APSA, chaque APSA étant par ailleurs une « éducation physique », voire sans doute une éducation tout court. Ainsi l’éducation fondamentale en EPS passe par les apprentissages concrets dans plusieurs activités.

Pour réaliser cette bascule, il faut répondre à cette question : qu’est ce que le handball ?

La définition de sa nature, de sa signification humaine, de ses buts, bref de sa réalité anthropotechnique révèle son contenu culturel, son code éthique, ses règles et l’esprit du jeu. Un règlement, ce n’est jamais une simple juxtaposition de règles. C’est une construction humaine culturelle et sociale. Un jeu réglé se définit et se comprend par ses règles. Celles-ci, fédérales ou non, posent les problèmes techniques que le joueur devra résoudre. La mise en place d’une forme scolaire de pratique consiste principalement à adapter le règlement concernant la nature de la cible, la surface de jeu, le nombre de joueurs… Une des conditions fondamentales de la légitimité d’une activité sportive et de sa présence à l’école est d’identifier les savoirs en jeu dans le handball que nous voulons présenter aux élèves.

Au Centre EPS et Société notre souci méthodologique est d’étudier chaque APSA comme objet spécifique ayant sa cohérence propre et de voir si des similitudes avec d’autres APSA émergent. Le lecteur pourra chercher dans ce numéro des correspondances avec le numéro consacré au rugby.

Lire aussi : Le dossier Sports co 

Pourquoi le handball ?

Depuis deux ans, nous consacrons des numéros à des APSA programmées en EPS. Ce choix thématique sur une APSA comme objet d’approfondissement est pour nous une façon de participer à sa mise en culture critique, à ancrer l’EPS dans le champ des cultures « corporelles », à développer des connaissances sur leurs savoirs spécifiques.

Nous écartons au plan théorique et pratique une approche formelle de l’éducation physique, méta-disciplinaire, indifférente à ses pratiques réelles, qui vise à imposer arbitrairement l’existence de compétences dites « propres » et d’une matrice formelle. Ce montage qui a pour ambition de donner du sens à notre enseignement n’est en fait, depuis les réflexions sur les programmes de 1996, qu’une tentative de substituer aux groupements d’APSA des notions – domaines d’action motrices, domaines d’action, expériences, compétences propres – dont l’objectif est de déplacer les apprentissages spécifiques vers des apprentissages dits transversaux, jugés plus nobles et plus éducatifs. Le prolongement de cette option idéologique se retrouve aussi dans les différentes tentatives de transformation du « s » du sigle EPS, de « sportif » en « scolaire » ou en « santé « évacuant ainsi la nécessaire approche critique du sport et l’ambition de sa démocratisation.

Nous savions qu’un groupe œuvrait au sein de la fédération FFHB pour une conception vivante et humaniste de la culture sportive. Il est constitué d’enseignants militants de l’EPS, de cadres de la fédération ou de formateurs d’EPS et ou militants pédagogiques connus qui signent les articles de ce numéro et dont Maurice Portes est l’un des précurseurs. L’apprentissage du handball en milieu scolaire a ses propres contraintes, il suppose des choix de contenus, de méthodes, des pédagogies adaptés aux spécificités des milieux (l’obligation scolaire, l’hétérogénéité). Cependant, du point de vue de certaines de ses visées éducatives, il converge avec celui mené dans des clubs qui pensent et inscrivent leur action dans l’exigence sociale d’un sport humaniste pour tous.

Les procédures d’apprentissage, sous les pressions des contraintes du nombre d’élèves, du nombre de terrains disponibles, des objectifs propres à l’institution varient, mais elles tiennent plus à des questions d’adaptation qu’à un choix lié au fait de pratiquer à l’école. Nous faisons l’hypothèse, audacieuse et peu explorée jusqu’à présent et autrement que par des affirmations souvent non étayées, que les contenus, les objets d’études peuvent être identiques. C’est en tout cas ce que nous essaierons de démontrer dans ce numéro, en partant de ce qui oriente l’activité : le jeu de règles.

Les règles : un droit des joueurs

Les règles du handball résultent d’une convention qui dépasse le cadre de l’ici et maintenant. La rencontre compétitive est définie par un règlement qui vit et se transforme dans le temps, non sans contradictions et incohérences. Il fonde le jeu et organise l’activité des pratiquants ; s’il comprend des interdits, il précise simultanément les libertés et pouvoirs donnés à chacun des joueurs.

Interpréter les règles des sports non comme un catalogue d’interdits mais comme un champ de possibles, ouvre la perspective à chacun, d’infinies créations du jeu, c’est-à-dire de pouvoirs d’action qui construisent des joueurs mais aussi probablement des citoyens différents.

Ces principes rappelés nous souhaitons soumettre au débat la question de l’utilisation de la règle ou non dans la construction du joueur.
La pratique fréquente chez les éducateurs est d’imposer la présence, dès l’initiation, de toutes les règles instituées de l’activité, comme éléments garantissant la signification culturelle de l’activité. Dans le cadre d’une approche didactique et pédagogique, nous voulons explorer une autre voie.

Nous proposons que la règle du dribble qui peut constituer un obstacle soit initialement écartée. Introduit en 1956 par le législateur, le dribble est un droit/contrainte qui s’inscrit dans l’histoire du jeu. Issu d’une adaptation historique pour limiter la progression individuelle du joueur porteur de balle, « trois pas dribble », pour préserver l’équilibre des chances entre l’attaquant et le(s) défenseur(s). En effet sans limitation de la progression balle en main, nous passerions à un jeu de type rugby et le placage alors s’imposerait pour rétablir l’équilibre attaque / défense. Si, pour un attaquant expérimenté, la règle du dribble n’est pas un obstacle au maintien de l’égalité face à un défenseur même expérimenté, autoriser en revanche le dribble pour des joueurs confirmés face à des défenseurs novices déséquilibre le rapport de force en faveur de l’attaque. Pour les débutants, contrôler le dribble contraint leur liberté de mouvement et limite leur champ de vision et donc leur possibilité de créer un jeu tactique et collectif plus élaboré. La suppression provisoire du dribble place les joueurs dans des possibilités de jeu rapide et une richesse tactique plus importante. Ce choix de pédagogie de la règle, voire de sa didactique dans le cadre d’un apprentissage explore une dynamique nouvelle de la relation entre règle, tactique et technique. La tactique n’est ni seconde, ni dépendante de savoirs-faires acquis hors contexte de jeu. L’activité tactique – choix de l’action à engager – et l’activité technique – mise en œuvre des actions pour concrétiser le choix – sont permanentes, simultanées et surtout, interactives. Elles sont au cœur d’apprentissages sollicitant l’activité perceptivo-décisionnelle du joueur. à ce sujet nous nous inscrivons dans la conception que propose François Rongeot dans son article.

Voir aussi P. Grassetie - Que retenir de la règle ?

Qu’est ce qu’un élève cultivé en handball ?

Le handball est un sport qui s’inscrit dans un jeu d’attaque/défense, dont l’objectif est de faire progresser la balle à la main, vers la cible adverse, protégée par un gardien, et une zone où les joueurs, excepté le gardien ne pourront y jouer qu’en suspension ; l’objectif étant de marquer au moins un but de plus que l’adversaire  !
Dans cette logique, nous soumettons comme hypothèse de travail en EPS, de creuser les pistes ouvertes par le groupe formation de la FFHB, de permettre à tous et à toutes, à la fin de la scolarité d’être « traverseurs de terrain », « marqueurs de buts », « gardiens de buts » et « voleurs de ballons ».
Nous retenons 4 types de pouvoirs qui pourraient constituer la culture commune du handball scolaire. Le regard du groupe formation et les comptes rendu de pratique précisent et identifient les savoirs relatifs à ces 4 rôles. Ils vont se retrouver dans 3 grands contextes de jeu caractéristiques du handball.

Un jeu de progression rapide vers l’avant, dans un espace à faible densité de joueurs, quand la défense cherche à reconstruire une ligne de front.
Un jeu de recherche de l’espace libre dans un espace à forte densité de joueurs, la défense protège la cible et empêche le joueur d’aller défier le gardien de but.
Un jeu de duel entre un tireur qui cherche à marquer des buts et un gardien qui défend sa cible.
L’évolution du jeu vers la cible et de ses contraintes en termes d’espace et de densité de défenseurs place les attaquants face à des problèmes différents à résoudre. Les savoirs ne sont pas organisés par une hiérarchie les faisant passer de savoirs face à un jeu rapide vers l’avant à un jeu contre une défense placée mais comme un continuum reprenant les mêmes principes dans des contraintes de jeu différentes.

Un choix de savoirs en résonance avec les productions du haut niveau

L’analyse des évolutions du jeu à haut niveau est le lieu de l’invention et de la création des techniques et formes de jeux renouvelées. L’analyse du jeu de haut niveau illustre les problèmes que les joueurs résolvent, les solutions qu’ils inventent dans des contextes de jeu de plus en plus complexes. Comme dans le domaine de l’art, son observation inscrit le handball dans une culture vivante du moment. C’est ainsi que les regards des deux entraineurs nationaux donnent à réfléchir sur les choix scolaires et confortent ainsi les choix d’une entrée sans le dribble, favorisant l’émergence de modes de jeu caractéristiques du jeu moderne.
Un jeu rapide vers l’avant. La défense est organisée pour récupérer le ballon et jouer la contre attaque. Il ne s’agit plus de simplement prendre un but de moins, mais, marquer un but de plus.
Des buts marqués pendant le jeu de transition, c’est à dire avant que la défense ne soit complètement replacée. Les équipes vont mettre un temps fort d’accélération vers la cible sans attendre que le ballon ait circulé dans toute l’attaque.
Un jeu de récupération de balle pour faire basculer le rapport de force en sa faveur et ce, quel que soit le dispositif et le système défensif choisi.

Une EPS d’acquis techniques, pas une EPS techniciste !

Nous nous inscrivons, vous l’aurez compris, dans une démarche à contre pied de celle qui analyse les gestes techniques observés dans les matchs de haut niveau, en termes de formes corporelles à reproduire. Pour nous, la technique est une réponse à un problème posé par le jeu, les règles ou l’adversaire. Maîtriser des techniques est à notre avis fondamental. Elles sont la garantie de l’efficacité. Elles traduisent le progrès. On aurait tort de croire que nous négligerions la tactique au profit du tout-technique. Maîtriser par exemple le 1C1 est un acquis intéressant mais il ne suffit pas : il faut qu’il s’accompagne d’une vision plus large qui permet au joueur d’utiliser l’effacement d’un adversaire pour le mettre au profit d’une passe décisive ou de la continuité de l’action dangereuse. C’est la liaison maîtrise technique et lecture tactique simultanées qui constitue la compétence d’un joueur.
Après la lecture de ce Contre pied, à vous de jouer, à vous d’expérimenter et de partager avec nous votre essai, vos interrogations et les progrès de vos élèves. Un plongeon dans la culture du handball, un renouvellement revigorant de ses certitudes provisoires. L’éducateur devrait se construire une définition de ce qu’est le handball pour fonder ses choix. Mais dans le même temps comme le joueur, il devrait être en mesure d’adapter ses choix en fonction de l’évolution du handball, de son devenir et des ressources de ses élèves. Vos élèves prendront sans aucun doute du plaisir dans le jeu, commenceront à comprendre et à inventer les réponses au handball qui bouge devant eux. Car pour comprendre le réel, il faut agir sur lui disait Bachelard.