Aurélien Broussal, Directeur d’ABD Formation et spécialiste en préparation physique, s’interroge : comment adapter l’entraînement sportif aux différences biologiques entre filles et garçons pour une pratique réellement égalitaire, évitant les inégalités renforcées par des approches uniformes ?
Extrait du ContrePied HS n°35 Condition physique , 2024
Malgré l’ambition sociétale d’égalité femmes-hommes, le sport et l’EPS révèlent un écart persistant dans la condition physique des filles et des garçons. Perçu comme naturel, cet écart mène à des programmes moins exigeants pour les femmes, limitant leur pratique. Pourtant, la littérature scientifique affirme que les femmes sont tout aussi capables, voire plus.
Différences biologiques et physiologiques entre les sexes
Les différences anatomiques sont notables. La largeur pelvienne plus importante des femmes modifie l’alignement des genoux et chevilles, augmentant le risque de blessures au ligament croisé antérieur (LCA) dans les activités impliquant sauts et changements rapides de direction (Alkjær et coll, 2012, Myer et coll, 2013). En musculation, intégrer squats, fentes et exercices de proprioception renforce les groupes musculaires critiques et protège contre les blessures du LCA.
Sur le plan hormonal, le cycle menstruel influence la performance et la récupération des femmes. Les niveaux hormonaux fluctuants affectent l’énergie, la performance et le risque de blessures à différentes phases du cycle. Ces variations doivent être prises en compte pour optimiser l’entraînement et la récupération, plutôt que d’être considérées comme des faiblesses (Rimbert, 2024)
Quant à la force musculaire, les hommes montrent en moyenne des performances supérieures, surtout pour le haut du corps (écart de 40-60%). L’écart se réduit à 25-30% pour le bas du corps (Ebben et Jensen, 1998 ; Tarnopolsky et Saris, 2001). Cependant, ajustée à la masse musculaire, la force est comparable entre hommes et femmes. Ceci souligne que les capacités des femmes dépendent du volume musculaire et du type d’entraînement.
La force relative devient essentielle pour adapter les barèmes et contenus (Ebben, W., Jensen, R. 1998). Une approche basée sur ce concept, ajustant les exigences à la masse musculaire et à la composition corporelle, permettrait une évaluation plus équitable des progrès individuels. Un programme flexible offrant différentes intensités d’entraînement permettrait aux femmes d’adapter leurs séances selon leur cycle, améliorant ainsi performances et motivation.
Sur le plan métabolique, les femmes utilisent davantage les lipides comme source d’énergie que les hommes lors d’efforts (Blaak, Ellen. 2001). Cette capacité persiste en effort modéré, améliorant leur endurance dans les activités aérobies. Les hommes, eux, mobilisent mieux les glucides pour des efforts intenses. Ces différences influencent la conception des entraînements : les femmes excellent en endurance, tandis que les efforts intenses nécessitent des ajustements. En repoussant leurs limites via des exercices de haute intensité, elles peuvent progresser significativement. Les programmes mixtes devraient favoriser les activités d’endurance comme la course longue distance, le cyclisme ou la natation.
Musculairement, les filles ont une dominance de fibres lentes, favorisant l’endurance et une récupération rapide après des efforts intenses (Hausswirth, C., Le Meur, Y. 2011). Pour l’entraînement, privilégier des séries courtes et intenses plutôt que des efforts prolongés. Cette approche permet aux femmes de progresser en sortant de leur zone de confort. En renforcement musculaire, opter pour 6 séries de 3 à 5 répétitions lourdes avec 45 sec de repos, au lieu de 4 séries de 8 à 12 répétitions avec 1 min 30 de repos(Flores, D., Gentil, P., et al. 2011).
Pour progresser, il faut sortir de sa zone de confort, y compris pour les efforts intenses. Bien que les filles utilisent naturellement plus les lipides, l’entraînement à haute intensité développe leur capacité à mobiliser les glucides pour des efforts explosifs. Souvent négligé, ce type d’entraînement est crucial pour équilibrer leurs compétences et élargir leurs possibilités sportives.
Vers une pratique plus égalitaire
Ces constats invitent donc à réviser les pratiques actuelles qui tendent à minimiser les capacités des femmes et à perpétuer les stéréotypes.
– Le stéréotype de la moindre capacité physique des filles mène souvent à leur proposer des activités moins exigeantes ou à les dispenser d’efforts intenses, renforçant ainsi les inégalités structurelles.
– Les filles, perçues comme « moins capables », intègrent cette idée et s’autocensurent. Le manque d’entraînement varié et exigeant réduit leur motivation et confiance. Cela touche tous les sports, surtout ceux physiquement demandants. Elles sont souvent orientées vers des activités « moins agressives », perpétuant des rôles genrés et freinant l’inclusivité sportive.
Les différences physiologiques et métaboliques entre filles et garçons nécessitent une évolution des méthodes d’entraînement et d’enseignement en EPS. Une approche différenciée vise à adapter les méthodes pédagogiques et les programmes, non pour réduire les attentes, mais pour optimiser le développement du potentiel physique des filles.
Une approche inclusive en EPS et dans le sport doit cependant dépasser la simple distinction filles-garçons. Elle doit considérer la diversité des profils physiques, des niveaux de pratique et des contextes culturels. Cette approche individualisée répond aux besoins spécifiques liés au sexe biologique et adapte l’enseignement aux différences de gabarit, de tonus musculaire et d’expérience sportive. En évitant de se focaliser uniquement sur les différences entre les sexes, les enseignants créent un environnement d’apprentissage équitable qui valorise le potentiel unique de chaque élève, favorisant une pratique sportive réellement inclusive et égalitaire.
Bibliographie
Alkjær, T., Wieland, M. R., Andersen, M. S., Simonsen, E. B., & Rasmussen, J. (2012). “Computational modeling of a forward lunge: towards a better understanding of the function of the cruciate ligaments.” Journal of Anatomy 221(6): 590–597.
Blaak, Ellen. (2001). « Gender Differences in Fat Metabolism. » Current Opinion in Clinical Nutrition and Metabolic Care. 4: 499-502.
Ebben, W., Jensen, R. (1998). « Strength Training for Women: Debunking Myths That Block Opportunity. » The Physician and Sports Medicine. 26(5).
Flores, D., Gentil, P., et al. (2011). « Dissociated Time Course of Recovery Between Genders after Resistance Exercise. » Journal of Strength and Conditioning Research. 25(11): 3039-3044.
Hausswirth, C., Le Meur, Y. (2011). « La récupération chez la femme sportive. Récupération sportive: une différence homme-femme? » Ed. INSEP. 3-5.
Myer, G. D., Sugimoto, D., Thomas, S., & Hewett, T. E. (2013). « The influence of age on the effectiveness of neuromuscular training to reduce anterior cruciate ligament injury in female athletes: a meta-analysis. » American Journal of Sports Medicine. 41(1): 203-15.
Pedersen, S., et al. (2004). « Estrogen Controls Lipolysis by Up-Regulating Alpha2-Adrenergic Receptors Directly in Human Adipose Tissue Through the Estrogen Receptor Alpha. » Journal of Clinical Endocrinology and Metabolism. 89(4): 1869-1878.
Rimbert, Emilie, Entraînez-vous comme une femme, pas comme un homme, Ed Thierry Souccar, 2024..
Sewright, K., et al. (2008). « Sex Differences in Response to Maximal Eccentric Exercise. » Medicine and Science in Sports and Exercise. 40(2): 242-251.