Apprendre en escalade : Pour que l’évidence ne soit pas qu’une illusion

Temps de lecture : 6 mn.

De la nécessité à …l’organisation
« Apprendre ensemble et Escalade », belle évidence ! Presque aveuglante ! Mais la nécessité d’assurer la sécurité dans cette activité suffit-elle à atteindre la coopération convoitée ? La corde, lien « physique » momentané prend-elle systématiquement toute la valeur du lien « symbolique » que représente la cordée ?
En escalade comme dans d’autres APSA, entre le besoin manifeste et les conduites espérées doivent s’organiser des situations adaptées. On n’apprend pas avec son ou ses partenaires, simplement parce qu’ils sont là, ni par simple imprégnation au contact des nécessités de la pratique ?
Après avoir rappelé les fondements de la pratique de l’escalade, nous tenterons d’illustrer comment cette pratique authentique peut favoriser et enrichir le projet de « l’apprendre ensemble »

Du besoin …à la conduite.
« APPRENDRE ENSEMBLE et AUTHENTICITÉ de la pratique » ou … L’APPRENTISSAGE DU RISQUE.
Déjouer (le risque) pour jouer ensemble

Grimper, ce n’est pas jouer à prendre des risques inconsidérés mais considérer les risques pour les déjouer sans s’y laisser prendre ! On dit que le risque ne vaut que si on l’assume soi-même, tout en le partageant avec son partenaire de « cordée ». Dans cette volonté de partage de la sécurité en escalade nous parlerons de risque ASSUMÉ, plus révélateur des ambitions et des enjeux de formation. On parle de risque assumé car il ne s’agit pas de l’extraire de la pratique au point de la dénaturer, mais au contraire de le reconnaître comme une dimension incontournable et systématique de l’activité. Que le grimpeur évolue en « moulinette » ou « en tête », assumer le risque avec son partenaire, c’est prendre en compte la notion d’imprévisibilité de la situation et en réduire les incertitudes au maximum. C’est très spécifique de la pratique d’activités dites « à risque ».

La prise en compte du risque et la nécessité de l’assumer est un des traits pertinents des activités de pleine nature, comme le souligne Serge Testevuide. L’on valorisera l’ambition « d’apprendre ensemble » lorsque, dans cette complicité avec son partenaire, la notion « d‘engagement réciproque » prendra toute sa valeur. En escalade, s’engager c’est accepter d’aller (symboliquement) dans « l’au-delà » : au-delà de ce que l’on s’accorderait, au-delà du point d’ancrage mousquetonné, au-delà de sa peur, au-delà de la confiance éventuellement fragile en soi ou en son partenaire, en en revenant vivant et régénéré. C’est se permettre réciproquement, dans la relation à l’autre, de partager des situations riches en émotions (peur, inquiétudes, problèmes posés par la voie d’escalade…), en sachant que le pire ne se produira pas.
Ici, il ne s’agit pas d’annuler le risque mais d’organiser la cordée pour en déjouer les conséquences.

La notion d’incertitude représente l’un des autres « traits pertinents » des activités de pleine nature. Elle réside dans la nécessaire adaptation du pratiquant à la variabilité du milieu dans lequel il évolue : déplacement dans des directions variées, sur un relief plus ou moins vertical, le long d’un itinéraire plus ou moins connu. L’adaptation à la variabilité du milieu, se combine avec le troisième trait pertinent des APPN : La nécessité de conduire son propre déplacement.
Le grimpeur, pour ce qui nous concerne, est son propre « objet » de déplacement.
Pour apprendre ensemble, il convient également d’en cerner les contours. L’un des premiers éléments d’analyse, dégagé par P. Mérieu dans Apprendre en groupe ?

La finalisation  : « Que convient-il d’apprendre maintenant pour que chacun soit capable d’affronter les difficultés et d’assumer les risques de la situation ? ».
Il ne s’agit pas simplement d’une mobilisation de ses compétences, dans une forme de « division du travail » (dans notre activité : un grimpeur et un assureur par exemple). Il convient de se soucier du caractère mobilisateur de cette expérience en permettant à l’élève d’être collectivement impliqué au profit de la réussite du groupe ou du binôme (« la cordée ») en devenant personnellement plus autonome ensuite. Comme le rappelle P.Meirieu (opus cité) : le projet de la pédagogie est précisément d’inverser les règles de fonctionnement du groupe, qui tendraient à promouvoir l’apprenant dans le domaine où il est déjà compétent
… la démarche pédagogique doit ouvrir chacun à de nouveaux horizons, susciter en lui de nouveaux désirs et l’engager vers de nouveaux savoir.

Ainsi, au-delà d’une simple précaution, dans un souci de « finalisation » de cette démarche, pour « apprendre ensemble » il s’agit de réussir à organiser un pari : partager ses compétences avec autrui dans une situation donnée, au profit de la réussite du binôme ou du groupe, dans une quête d’apprentissages et de développement personnel.

En escalade, la « cordée par affinité » est importante à ce niveau. Coopérer, c’est faire à plusieurs ce que l’on ne pourrait pas faire seul. L’escalade en voie, dans la nécessité de l’utilisation de la corde pour assurer la sécurité, s’inscrira dans un tel projet si le partage et l’attention sont réellement mis en valeur. Cela se concrétisera en escalade si, par exemple :
c’est l’assureur qui fait systématiquement le nœud d’encordement du grimpeur (conseils et vérifications réciproques) et ensuite le grimpeur qui prépare et installe le matériel d’assurage sur le cuissard de son partenaire.
Si l’assureur quitte aussi le sol pour assurer depuis la voie elle-même : 1ère dégaine, milieu de voie ou carrément depuis le haut !

Au-delà de la finalisation,
la socialisation : « Au-delà même du binôme de travail ou du sous-groupe, que découvrez-vous sur les conditions nécessaires d’un travail collectif ? »
Il s’agit pour l’élève, d’apprendre à organiser un travail en commun, de planifier les étapes de celui-ci, et plus largement de trouver à chacun une place lui permettant de s’intégrer dans le groupe, et pourquoi pas, de se dégager d’une image négative que les autres ont éventuellement de lui.
En escalade, l’aventure démarre dès le projet d’ascension, dans une connivence sincère avec l’autre. On pourra à ce niveau, valider les compétences liées à l’assurage, mais aussi proposer des situations de partage de l’ascension avec son partenaire de cordée :
Validation des compétences « en moulinette » (ou ensuite « en tête »). Je suis validé lorsque je suis reconnu fiable dans la maîtrise des nécessités de l’assurage en moulinette. Une chasuble accrochée au cuissard (au niveau du « porte-matériel » par exemple) symbolisera la validation de ces compétences. Le grimpeur acquiert ici une disponibilité dans le groupe vis-à-vis de tous les autres grimpeurs.
Partage de la voie  : dans des voies (éventuellement proche de son niveau maximum), Il s’agit de grimper le plus haut possible à deux grimpeurs, en se partageant la voie. L’un démarre (G1) jusqu’à mi-parcours (au plus) et assure son partenaire depuis l’endroit où il s’est arrêté, puis G2 complète. G2 a le droit de se reposer « sur la corde » à la moitié de la voie, pour tenter de finir celle-ci. Dans la voie suivante ils changent les rôles. A chaque fois les grimpeurs échangent sur les difficultés rencontrées.

Le monitorat (ou tutorat) : « Qu’as-tu appris de l’autre ? Comment l’autre m’a permis de progresser ?». Ici, l’élève rationalise et réorganise ce qu’il a appris. On pourra jouer ici sur les formes de groupement en les rendant éventuellement hétérogènes.
Le grimpeur aveugle : l’escalade se fait avec un bandeau sur les yeux. But pour les deux partenaires : le grimpeur réussit la voie. Questions et variables : quelles indications sont données par l’assureur ?
« Trop Top » : dans cette situation, l’assureur donne des « ordres » à son grimpeur. Le grimpeur doit réaliser immédiatement les demandes de son partenaire-assureur. Ici le but pour l’un (assureur) sera de poser des problèmes à l’autre, pour le déstabiliser voire le faire chuter (ce sera peut-être la commande !).

Conclusion : L’escalade crée une urgence favorable pour « apprendre ensemble, sans sombrer dans l’évidence mais par l’organisation de situations adaptées. On voit aussi que pour favoriser ce type de travail il convient de clarifier la nature des enjeux collectifs et individuels poursuivis. Nous espérons que l’escalade dans ce cadre, renforce le fait que l’EPS contribue pleinement à l’épanouissement personnel de l’élève dans le lien à l’autre et dans la nécessité de sa présence.

S. Testevuide (2002), L’escalade en situation : « Les aspects fondamentaux de l’escalade » p 29, 30 et 31.
P. Meirieu (1992), Apprendre en groupe ? Lyon : chronique sociale, Tome 2, 7ème édition, 2000