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Sandrine Delerce, championne du monde en 2003 avec l’équipe de France dont elle fut la capitaine, est aujourd’hui professeure d’EPS dans un collège ECLAIR de Besançon où elle anime aussi une section hand Ball. Elle entraîne par ailleurs le club local pour les moins de 12 ans. Ces expériences l’amènent à des choix d’apprentissage tant sur le plan pédagogique que didactique. Elle dit aussi combien l’introduction d’une règle peut avoir de conséquences sur le déroulement du jeu et le profil des joueurs.


Je suis dans ce collège depuis 6 ans, la plupart de mes élèves garçons sont des « footeux », ils s’attendent à devenir des « pros » du jour au lendemain, sans mesurer ce que ça signifie comme investissement de toute nature pour y parvenir.
Pour eux le HB est inconnu, pas même vu à la télé, et aujourd’hui mon ancienne notoriété est totalement oubliée.
Ils n’ont donc aucune représentation de ce sport.

Ce qui change par rapport au foot c’est que je leur fais vivre tous les rôles et notamment celui d’arbitre : il y a un apprentissage systématique des règles progressives qui conduit à une meilleure sérénité, une sorte d’apaisement nécessaire avec ces élèves pour parvenir à de réelles acquisitions. Ainsi la mixité est mieux tôlérée, les contacts moins violents, et reconnus, ils s’acceptent mieux et prennent confiance.
C’est la même chose dans la section HB où je m’efforce de prendre beaucoup de filles, ce qui est rare dans le quartier.
Ce type d’hétérogénéité de sexe et de niveau est lourd à gérer parce que le milieu social, lui, est homogène. Dans le club, les jeunes viennent de tous les coins de la ville, grâce à cette hétérogénéité sociale c’est plus simple.

Je propose des contenus semblables au début, mais alors que ça évolue lentement dans la section et en cours, j’accède à des entraînements et des performances plus rapides et plus exigeants dans le club à cause d’une moindre perte de temps. Par contre avec mes élèves nous gagnons en confiance réciproque. Je fais un gros effort de langage. J’utilise plein de métaphores liées au quotidien pour me faire comprendre : en attaque je ne me mets pas dans les rails du défenseur ; en défense je fais l’essuie-glace, j’attaque par étage, comme dans un immeuble… Même si les contenus sont là, je m’implique beaucoup au plan éducatif et pédagogique.

Par contre j’ai changé de stratégie : maintenant je commence par la défense. J’ai constaté qu’ils avaient des difficultés dans la maitrise de la balle, j’ai donc cherché à valoriser le jeu sans la balle et j’ai mis l’accent sur le jeu collectif : chacun a son rôle, chacun peut mieux y réussir, c’est valorisant et de plus ça les soude davantage entre eux. Je fais beaucoup de jeu à thème, moins en difficulté ils prennent confiance. Au bout de 6 à 8 mois, je cherche à régler l’apprentissage d’habiletés plus fines : les passes longues arrivent dans les mains, il faut enchaîner sur d’autres coordinations etc. Et je fais la même chose en club.

Vous avez été capitaine de l’équipe de France. Quelle est cette fonction dont on ne voit pas toujours en quoi elle consiste surtout en jeu ?

Il y a eu plusieurs phases très différentes. En 98-99 c’était Olivier (Krumbholz) qui décidait de tout, l’équipe était en pleine construction, j’allais au tirage au sort au début du match. Et puis nous sommes vice-championnes du monde et tout bascule dans l’inconnu : les plateaux télé, les sponsors… nous sollicitent, c’est la course à l’égo. Mon rôle devient alors de construire du lien entre toutes les joueuses et notamment les « stars »qui avaient tendance à jouer chacune leur partition. Rôle d’autant plus compliqué que j’étais moi-même impliquée. Ces sollicitations ont eu un tel impact sur le groupe qu’il avait tendance à se décentrer même du HB. Finalement à Sydney on ne démarre pas très bien et le groupe implose ! Un gros coup au moral pour moi au retour, je n’ai plus envie d’être capitaine, et dans la préparation des championnats d’Europe, le corps parle : c’est la blessure grave. Olivier choisit alors une capitaine en dehors des meilleures joueuses titulaires.

L’essentiel du rôle de capitaine se passe dans la relation avec l’entraineur : sur la conception du jeu mais surtout sur les questions relationnelles : des filles entre elles mais aussi avec l’entraineur, le choix de certaines sur certains postes, c’est un équilibre qui doit concilier le fait de rassurer, donner confiance et en même temps solliciter pour provoquer l’engagement, le tout dans un climat de cordialité et de solidarité indispensables.

Rapportées à vos expériences passées, quelles sont les évolutions du jeu actuel ?

L’introduction de la règle de l’engagement rapide (il n’est plus obligé d’attendre le retour de toutes les adversaires dans leur camp pour engager au centre) a été décisive. Cela s’est traduit par une plus grande rapidité du jeu, davantage de buts, des joueurs plus athlétiques mais surtout plus polyvalents, et au bout du compte un jeu beaucoup plus intéressant à regarder, le spectacle y a gagné.

Quel est votre regard sur l’organisation de ce sport ?

C’est encore un monde machiste : on nous demande d’être belles pour passer à la télé, après les matchs internationaux on nous traine à des spectacles dont l’intérêt est plus que relatif. En général, l’esthétisme prime sur la performance et en même temps on s’est déplacées pendant des années avec des équipements masculins : doudounes, survêtements, shorts, maillots, il fallait tout découdre pour ajuster à notre taille  ! ! !

Propos recueillis par Jean-Pierre Lepoix et parus dans Contrepied HS n°6 – Handball