L’EPS en 1969: quelle rupture ?

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Une question mérite d’être posée : l’histoire de l’EPS aurait-elle été la même à partir de 1969 si le Syndicat représentant 90 % des professeurs d’EPS n’avait pas changé de direction et d’orientation ?

Les faits

au congrès du SNEP à Nice en mai 1969 la liste de la tendance  » U et A  » devient majoritaire.
Quid Unité et Action ? Un ensemble de militants aussi bien pédagogiques que politiquement engagés, partisans d’un syndicalisme revendicatif et combatif et en phase avec l’évolution des pratiques professionnelles. La direction sortante (tendance UID) est désavouée. Quid UID ? (Unité, Indépendance, Démocratie) : des militants se réclamant de la majorité de la FEN, très attachés à la reconnaissance de la profession, mais plutôt favorables au compromis avec l’administration. II y a aussi une 3ème liste dite  » du Manifeste  » qui fait 14% et qui regroupe momentanément diverses radicalités pédagogiques et politiques…
C’est une triple rupture : pédagogique, syndicale et politique vu les orientations ministérielles annoncées.

Rupture pédagogique

La plupart des  » Historiens de l’EPS  » ignorent l’événement ou en donnent une lecture politicienne: (thèse du noyautage communiste selon J.Thibault repris par J.-L. Martin).
A l’inverse CM Prévost (dossier EPS n°15) cité par Guilhem Veziers (DEA avec P. Arnaud et article sérieux sur l’action du SNEP dans la revue STAPS) écrit pour sa part :  » … un des moments les plus importants de l’histoire de l’EPS se situa lorsqu’il y eut conjonction de deux mouvements : la FSGT et le SNEP, lorsque la direction politique de celui-ci changea « .

Cette formulation approximative recouvre une vérité : elle pointe la rencontre d’une majorité de professeurs d’EPS avec un idéal de culture sportive humaniste et démocratique porté par le monde du travail. (mais nombre d’entre eux ne connaissaient pas la FSGT).
C’est donc sur un véritable projet culturel et social réunissant (exigence d’une EPS rénovée pour tous et la perspective, fut-ce avec des illusions et des insuffisances critiques, d’une culture sportive transformée et démocratisée que va se fonder la force et la cohérence d’action du nouveau syndicat.
Cette bascule est à la fois un aboutissement et un point de départ :
En amont, il faut évoquer la grande effervescence pédagogique des années 60 : expérience de Corbeil, stages Maurice Baquet, Républiques des sports, stages sports-co de l’Amicale, rayonnement des ENSEPS, démarrage de la formation continue, parution significative des I0 de 67 … C’est tout cela qui a créé une dynamique majoritaire. Quelques noms connus symbolisent les divergences pédagogiques entre les listes en présence : Mérand, Davisse, Deleplace, Goirand pour la liste UA, Leboulch, Brohm, Personnes réunies sur la liste du Manifeste ; Pineau pour la liste sortante UID.

Rupture syndicale

C’est aussi une rupture spécifiquement syndicale liée à une crise du syndicalisme enseignant :
ce qui est rejeté, c’est ce qui est perçu comme des pratiques bureaucratiques, des compromis de sommet avec l’administration, le refus de l’action collective. Le SNES va changer de direction en 1967, le SNESUP en l968.
II faut enfin évoquer la toile de fond politique : la guerre d’Algérie, le gaullisme, qui accentuent l’engagement de jeunes étudiants d’EPS communistes et autres dont beaucoup deviendront militants syndicaux. Puis, la révolte sociale et étudiante de mai 68 renforcera l’exigence de changement du système éducatif (a-t-on manqué l’intégration à l’EN ?).
Dans cet élan unitaire les premiers Etats Généraux de  » L’EPS et du sport éducatif  » ( !) se tiendront avec le SNEP en décembre 1968, avant le changement syndical.
Au congrès de Nice, la motion pédagogique présentée par UA permet de réfuter la notion globale de  » courant sportif  » pourtant abondamment utilisée depuis : elle distingue de façon abrupte deux lignes pour les APS et l’EPS: celle  » des Forces de la réaction, du pouvoir  » celle  » des forces de progrès défendant la conception de l’EP et du sport éducatif  » (ni animation, ni technicisme, ni nihilisme). Une mise en garde est même votée contre le risque  » d’officialisation  » des Républiques des Sports comme moyen d’introduire des animateurs.

Que change l’arrivée du nouveau SNEP ? Elle va bloquer un grand projet d’unification  » de tous les éducateurs pour les APS  » conciliant tutelle du MJS, université et pouvoir des fédérations sportives. Seules, la suppression des ENSEPS ( » foyers subversifs  » selon le ministre Comiti ) et la création d’un établissement national non universitaire incluses dans ce projet ne pourront être empêchées. En janvier 1969 les dirigeants (UID) du SNEP, du SNEEPS (maîtres d’EPS), de l’Amicale des Enseps avaient signé une  » Charte  » soutenant ce projet.
Elle va bloquer, provisoirement, un projet de même inspiration visant à  » réorganiser l’enseignement sportif  » par la création de structures extra-scolaires :  » les carrefours sportifs « , projet qui séduisait certains syndicalistes.
Elle inaugure enfin le bras de fer contre les politiques ministérielles qui veulent déscolariser l’EPS au profit d’une Animation sportive, réduire le professorat, mettre en cause le sport scolaire.
Le 10 mars 1970, c’est la première grève spécifique des professeurs d’EPS à l’appel du seul SNEP : elle connaît un important retentissement national et popularise les revendications de l’EPS.