La programmation du Basket, révélatrice des enjeux d’enseignement en EPS

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Sébastien Molenat, enseignant en Lycée et membre du bureau du centre EPS et Société, ouvre un débat sur le rapport entre APSA et EPS en prenant l’exemple du basket. 2018.


Dans les équipes EPS, les choix de programmation sont très contraints par les textes officiels.
Le basket-ball fait partie de la CP4 en lycée et du CA4 au collège, catégories hypertrophiées regroupant des activités sportives d’opposition duelles et collectives. Expliquer que tout se vaut dans ces catégories défie l’honnêteté intellectuelle en niant l’histoire singulière de chaque PPSA, leur épaisseur culturelle propre.
Comme laisser d’ailleurs croire que les sports collectifs seraient par essence plus discriminants que les autres PPSA. Et ceci à partir d’une démonstration tronquée occultant la toujours possible entrée dans la pratique par des contenus tant didactiques que pédagogiques « élémentés », adaptés aux ressources
et à la diversité des élèves. L’essentiel est donc ailleurs, notamment la volonté de l’institution de privilégier la CP 5, et de tenter d’imposer un modèle de l’EPS éloigné des pratiques sociales de référence.

« La capacité à généraliser, à passer d’un sport collectif à un autre se construit à partir de nombreuses expériences spécifiques.»

Dans cette catégorie protéiforme, la programmation d’un sport collectif est déjà un choix cornélien à effectuer au détriment des autres Pratiques Physiques de Raquettes et de Combats. Mais une fois ce premier filtre effectué, il faut déterminer quel sport collectif programmer ! L’ensemble des sports collectifs semble plus homogène et plus fonctionnel d’un point de vue professionnel, cependant des différences culturelles existent. Des choix délicats doivent être donc opérés. Si l’on exclut le choix « par défaut » en fonction des installations sportives disponibles, d’autres motifs méritent que l’on s’y arrête pour comprendre quelles raisons peuvent in fine imposer le basket-ball et alimenter un débat dans les équipes EPS.
Pour résoudre le problème de cette programmation corsetée par l’institution, la tentation est grande de rechercher « Le » sport collectif le plus « généraliste », celui qui concentrerait à lui tout seul tous les enjeux essentiels de l’enseignement de l’ensemble des sports collectifs. Le discours sur les compétences « transversales », « générales » ou autre notion de champ d’apprentissage martelé par l’institution, poussant les collègues à s’engager dans cette voie et permettant à certains de trouver là une réponse rapide à ce que serait « l’éducation physique » comme au-delà des PPSA.

À ce titre, on entend de nombreux arguments plaidant la programmation du basket-ball comme sport collectif « générique » :

  • « La quantité de travail et le nombre de ballons touchés par les joueuses et joueurs en raison du rapport joueur/espace sont très favorables à l’apprentissage ».
  • « Le BB facilite le développement des capacités de lecture du jeu et les déplacements signifiants en raison de la taille du terrain et du nombre de joueurs limités ».
  • « La charge à distance règlementée sur le joueur porteur du ballon libère de la pression spatiale, affective et profite à l’élève ».
  • « Les possibilités d’un grand nombre d’arbitres permettent un apprentissage des règles, avec un respect et une compréhension de l’intérêt du noyau règlementaire pour le jeu ».
  • « L’entrée et les contenus d’enseignement susceptibles d’être proposés en BB peuvent permettre de gérer les différences ressources des élèves et la mixité ».
  • « La taille du ballon de basket-ball favorise à priori l’accès plus rapide à une technicité manuelle du dribble détachée du contrôle visuel ».
    L’origine historiquement propédeutique de la création du basket-ball, pour favoriser le développement des capacités athlétiques, d’adresse et du contrôle de soi donne un argument supplémentaire à cette orientation.

Un fois la programmation du basket-ball effectuée selon le postulat qu’il serait un sport collectif « générique », qu’en est-il alors des contenus d’enseignement proposés ?

En toute cohérence, ce précepte pédagogique conduit à la construction de situations autour des « grandes variables » communes aux sports collectifs : jeu structuré vers la cible, espaces interpénétrés, dialectique des rapports de forces collectifs et individuels (nombre de joueurs, temps de jeu, etc.) rapport général à la règle (actions sur le ballon, droits Att/Def…).

La recherche d’invariants communs à tous les sports collectifs débouche souvent sur des taches au contenu centré sur la prise d’information et la lecture du jeu considérant sans doute que les savoirs tactico-stratégiques, par la capacité d’abstraction et de verbalisation qu’ils suscitent, sont davantage transférables. Les savoirs spécifiques deviennent secondaires au profit de grands principes d’action (ex : apprendre à se démarquer, utiliser un surnombre, s’orienter vers la cible…) et cela au détriment de situations d’apprentissages techniques spécifiques : dribble des deux mains, tir en suspension, tir à mi distance, passes au rebond, passes longues et tendues, appui en pivot, etc.

Bien souvent à l’épreuve de la pratique, ce postulat d’entrée par le général, le « macro », atteint rapidement sa limite car il oublie, en le délaissant, que la technique est une réponse au problème que pose le jeu et qu’elle nécessite des acquisitions précises. Pour éviter de tomber dans cette impasse, les enseignants réinjectent du contenu culturel et technique car les pouvoirs d’agir de nos élèves sont plus spécifiques que ce que l’on pense.
Contenus spécifiques sur le plan technique comme tactique imposés par la singularité du règlement ! à ce titre les comptes rendus de pratique de ce numéro le montrent bien.
Par exemple, lors d’un 2 x 1, la généralisation des grands principes d’action achoppe dans son application sur le caractère singulier de l’activité. Par exemple, en BB le couloir de transmission étroit impose une motricité propre, course et passe. La règle du non contact donne des pouvoirs au PB, cette même règle impose un comportement spécifique du défenseur.
Sans apprentissage de la passe tendue vers l’avant ou de la passe au rebond, le partenaire démarqué et vu ne recevra jamais le ballon.
Sans le tir en course construit, quasiment toutes les contre-attaques se terminent par un tir raté…
Sans tir réussi, l’intérêt de s’orienter collectivement vers la cible et la motivation d’agir perdent de leur sens. Le Basket-Ball ne se réduit pas à une passe à 10 !

L’illusion théoriquement « séduisante » d’un savoir généraliste « métaculturel » nous revient en boomerang car privé de la matérialité de l’action, de ses buts, mais aussi de son imaginaire culturel, de son « extraordinaire ». Pas besoin d’attendre le second cycle d’enseignement pour établir avec nos élèves ce constat : le général est dans le particulier. Bien entendu les deux ne s’opposent pas, ils se nourrissent mutuellement et ne peuvent être séparés, telle une spirale, ils évoluent ensemble.
Un traitement de l’activité avec une entrée didactique essentiellement basée sur la recherche « d’invariants » en sports collectifs, de part leur nature décontextualisée, risque d’amener une généralisation « pauvre », avec un plus petit dominateur commun à dominante essentiellement cognitive et « hors sol » car non éprouvés physiquement par les élèves. L’argument du temps d’apprentissage réduit en milieu scolaire étant souvent avancé dans ce choix d’orientation didactique qui vise l’accès direct à des capacités générales. Comme si la prise d’information conditionnait le reste des apprentissages et comme si dans l’inconscient professionnel celle-ci était plus « facile » à acquérir que les apprentissages techniques. Or, pour pouvoir traiter des informations il faut apprendre à prévoir leur occurrence, pour pouvoir décider du jeu il faut apprendre plusieurs alternatives et seules les situations spécifiques permettent ces apprentissages.

Cependant, un exemple mérite que l’on s’y attarde. En cycle de basket-ball, l’observation d’élèves footballeur(euse)s que l’on repère rapidement et identifions comme joueur(euse)s « sport co » laisse à penser que des invariants existeraient et qui leurs permettraient de jouer aisément à n’importe quel sport collectif. Mais, Il ne faut pas oublier que ces joueur(euse)s chevronné(e)s dans leur activité ont acquis par l’entraînement des ressources : tactiques/techniques/ physiques/mentales, sources de développement capacitaire à potentiel généralisable. Ils, elles sont plus éduqu-e-s sportivement que les autres ! Rien d’extraordinaire que face à des problèmes présentant des similitudes concrètes fortes avec ceux qu’ils ont eu à traiter au football, ils sachent mobiliser leurs ressources et prendre des informations, les analyser et décider, mais le contexte du basket leur pose aussi des problèmes technico-tactiques spécifiques non résolus sans entraînement.
La capacité à généraliser, à passer d’un sport collectif à un autre se construit à partir de nombreuses expériences spécifiques.

Au regard de la riche histoire du basket, celui-ci ne peut pas se réduire à une activité propédeutique, ni à un sport collectif « générique » ni un « proto sport » collectif ! Ses contenus sont hautement spécifiques et son sens anthropologique particulier nourrit l’apprentissage, la motivation des élèves et à ce titre peut porter un potentiel de généralisation.
Les programmes avec un contenu culturel doivent être une exigence incontournable, pour permettre aux enseignant-e-s d’en assurer au mieux la transposition didactique, et par incidence leur généralisation éventuelle.
La formation des enseignant-e-s est déterminante, ce numéro de Contre Pied y participe.