Le sport, un patrimoine en devenir

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Jean Lafontan, explore la spécificité du sport et fonde la démarche culturaliste de la construction d’un programme.


Le contenu de l’EPS a toujours été travaillé par son rapport aux activités physiques, sportives et artistiques. Il y a une dimension historique liée à l’apparition de la gymnastique puis du sport. Cette question parcourt encore nos débats parce qu’elle traduit certainement le dilemme entre « s’accomplir » ou « se dépasser1 ».

A l’intérieur de la stricte recherche de la signification humaine du sport, et hors une analyse à approfondir sur son rôle social, nous avons à fonder une vision du sport comme création, c’est-à-dire ayant ses composantes d’infinie exploration des capacités humaines de produire une gestualité de plus en plus fine, traduisant la demande sociale de mise à niveau du corps avec les exigences techniques, sociales, de développement individuel… du moment, mais aussi la libre inventivité sous la pression du seul plaisir de sa réalisation.

Ce travail est un travail d’émancipation, individuel et collectif, qui entre en connexion avec des préoccupations sociales que l’histoire nous a amplement révélées. Cette orientation produit diverses techniques, formes, dont l’actualité montre la grande richesse et variabilité. Des pratiques naissent en masse, disparaissent, s’instituent et sont plus ou moins valorisées selon les époques, les pays ou régions et les intérêts médiatiques ou financiers.
Toutes ces inventions ne sont pas également permanentes et ont donc un rapport au passé totalement différent : ainsi, nous avons vécu longuement sous le régime des sports de « base » (athlé, gym, natation), aujourd’hui déclarés, par une partie de la profession comme des disciplines ne correspondant plus aux attentes des jeunes, ceux-ci jugeant plus intéressantes des formes nouvelles de pratique. Malgré cette diversité, toutes ces activités à composante physique et sportive sont déclarées aptes à porter des valeurs communes de cohésion sociale et de rapports sociaux solidaires.
Bien sûr cette approche n’est pas homogène tant l’actualité « sportive médiatique » démontre le contraire mais il n’en reste pas moins que leur mode de constitution, de développement et d’expansion crée les conditions de réalisation de ces valeurs dans des proportions sensiblement meilleures que d’autres sphères d’activité sociale.
Cet ensemble s’organise toujours plus sous une forme spécifique, avec ses structures (fédérations…), ses lois (code du sport), ses temps forts (championnats, JO), ses apparats, avec une telle extension qu’il s’accapare une fraction importante de l’opinion publique et que, selon certains, il devient un « opium » ou un substitut au nécessaire combat politique.
Ce sont ces données qui font du sport un patrimoine.
Ce classement n’est pas pensé dans la forme traditionnelle « cultivée », c’est-à-dire réservée à une élite, à des « initiés » et objet de contemplation muséographique ou touristique. Il faut y voir la volonté de lui donner un statut social, objet possible d’enseignement et donc revendiqué pour tous dans la tradition démocratique française.
Cette option est essentielle pour mener un combat compris par la population, pour qui, la question du sport est évidente et vécue comme une nécessité. Cela pour le sens commun.

En même temps, elle permet de mener le combat contre toutes les approches qui réduisent ces activités à des jeux (donc enfantins), voire les perçoit comme une occasion futile d’occuper les temps vacants, un loisir, sans contenu significatif du point de vue de la formation humaine. Cette approche donne un rendez-vous aux travaux académiques de quelque nature qu’ils soient afin d’en constituer son contenu et sa qualité et l’instituer durablement dans les connaissances. Cette orientation patrimoniale est une orientation de débat et de combat liée à l’émancipation humaine.

Voilà un peu ce que nous traitons lorsque, dans les programmes, nous choisissons, ou pas, l’option dite par certains « culturaliste ». Bien sûr, elle admet toute forme de critique sur la façon dont le sport aujourd’hui est socialement utilisé ou compatible, mais elle permet aussi d’éclairer l’objectif vers lequel nous devons tendre pour donner pleinement à ces activités une inscription durable dans la vie de chacun et de la population. Elle induit également des exigences envers les gouvernements pour qu’ils portent leur démocratisation jusqu’au bout.

Cette approche ouvre tout le débat sur la façon dont le service public d’enseignement doit intégrer cette question ; tel est le travail des programmes et de l’exercice professionnel des enseignants d’EPS. Mais lorsque nous en sommes là, c’est que le préalable de « l’utilité » de cette discipline a été tranché, et tranché favorablement.