Les filles en voie de raréfaction en STAPS : État des lieux, enjeux et actions à promouvoir

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Alors que les ministères promeuvent les questions d’égalité dans l’accès aux métiers, le Centre EPS & société constate la sous-représentation endémique des filles en Staps (28,7% actuellement). Cela a et aura des répercussions sur le métier d’enseignant d’EPS : avec un ratio F/H de 40/60 il y a vingt ans au Capeps, il est aujourd’hui de 33/77 en 2014. Le constat est encore plus sévère dans les autres métiers du sport, avec environ 15% de femmes parmi les conseillers techniques régionaux. Ces faits ne sont pas irrémédiables, à condition de prendre la mesure du problème en amont, avec l’analyse des conditions d’attractivité et des formations aux métiers du sport.

Pour prendre à bras le corps cette question, le centre EPS et Société a décidé de constituer un groupe de travail, réunissant des universitaires en STAPS et des enseignant-es d’EPS pour mener deux enquêtes nationales, l’une auprès des lycéennes, l’autre auprès des UFR STAPS. Lisez ci-après le détail de l’exposé des motifs et la nature des projets qu’il propose.


De nombreux travaux attestent du paradoxe entre une meilleure réussite scolaire des filles et le maintien de profondes inégalités dans les orientations, insertions et valorisations professionnelles des femmes.

Question de choix individuel ? Question de singularité féminine ? Bien sûr que non. Pas plus en matière de métiers, qu’en matière de jouets ou de loisirs, les choix d’orientation ne sont à isoler des environnements sociaux qui les produisent, les accompagnent, les valorisent. Ces choix sont soumis à l’influence des modalités de communication, des incitations parentales ou sociétales, des modèles véhiculés par les institutions, du rôle de l’École, bref aux rouages de la socialisation dont les effets sont déterminants dans la construction progressive de la division sexuée des insertions professionnelles.

L’enseignement supérieur n’échappe pas à la règle. Les étudiantes, qui représentent 55% des étudiants, demeurent sur-représentées dans les cursus de langues, de lettres, de droit et sous-représentées dans les classes préparatoires aux grandes écoles scientifiques et, de façon générale, dans les sciences : elles ne constituent que 25% des effectifs en sciences fondamentales et application et 28,7% en Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives (STAPS).
Cette distribution est bien sûr étroitement liée aux divisions sur le marché de l’emploi. Rappelons que moins d’un métier sur huit peut être considéré comme mixte. Cela constitue non seulement un obstacle aux valeurs républicaines, au progrès social, mais plus largement aux libertés individuelles, aussi bien des femmes que des hommes.

Si, ces dernières années, des actions pour l’égalité professionnelle ont valorisé la prise de conscience dans les carrières scientifiques, d’autres champs sont peu investis (métiers du care, milieux littéraires, culturels.). Aucune étude ne concerne le champ des métiers du sport.

Pourtant, dans ce secteur de professionnalisation, la division sexuée du travail est l’une des plus marquée. Il y a une dizaine d’années, les travaux de Caroline Chimot en ont révélé l’ampleur : les femmes sont peu nombreuses dans les métiers du sport et cantonnées dans des activités sous-valorisées financièrement et symboliquement et/ou perçues comme « féminines ». Ainsi, seulement 11% des entraîneurs nationaux et des directeurs techniques nationaux, 26% des conseillers techniques nationaux et 16% des conseillers techniques régionaux (chiffres clés de la féminisation du sport, 2012-2013) sont des femmes.

Si nous voulons une réelle mixité dans les métiers de l’EPS et du sport, nous devons travailler en amont sur l’attractivité de ces métiers

Il n’y a pas de fatalité dans ces faits, pas plus en sport qu’en sciences ou en politique. Si nous voulons une réelle mixité dans les métiers de l’EPS et du sport, nous devons travailler en amont sur l’attractivité de ces métiers, dès les classes de lycée, en accordant une attention toute particulière aux structures et filières de formation, universitaire et autres. Car « ce sont en effet les disparités sexuées au sein des filières de formation qui vont, pour partie, prédéterminer les cloisonnements ensuite observés sur le marché du travail » (« Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes », Chiffres clés, 2015).

En STAPS, par exemple, la diminution des effectifs de filles devient endémique. Moins d’un tiers des étudiants dans les facultés des sports sont des femmes ! Même les métiers de l’enseignement, traditionnellement investis par les femmes sont touchés. Avec à peine 34% de femmes admises au CAPEPS lors de la session 2014, la tendance à la masculinisation de la profession d’enseignant d’EPS se confirme alors même que les réformes scolaires actuelles font de l’égalité un objectif prioritaire. Cette diminution du nombre de femmes et ces déséquilibres sont un problème professionnel dont nous ne pouvons ignorer les effets délétères sur l’éducation physique et sportive des filles et des garçons, le maintien des violences sexistes et homophobes à l’école et dans le sport, les difficultés d’identification des filles à des figures sportives, leur faible sentiment de compétences en matière d’exercices corporels et, plus largement, leur difficulté d’investissement et de réussite dans les métiers du sport.

Travailler à une meilleure mixité dans les structures de formation devient donc un objectif indispensable au moment où la loi du 4 août 2014 instaure les principes de la parité dans les instances dirigeantes du sport, où le code du sport inscrit le principe de l’égalité (22.12.2014), où la politique du Ministère de la Ville, de la Jeunesse et des Sports vise à « favoriser l’accès des femmes aux postes de responsabilité dans les institutions sportives », où la convention interministérielle pour l’égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif rappelle les efforts à mener « pour une plus grande mixité des filières de formation », etc.

Outre ce contexte, il est urgent de rappeler que la mixité est un acquis récent, qu’elle n’implique automatiquement ni l’égalité, ni la parité et que sans vigilance, elle n’interfère en rien sur les logiques de domination, qu’elles soient de classe ou de sexe. Ce qui se passe en STAPS, comme dans d’autres filières, reflète parfaitement les situations de reproduction sociale auxquelles nous contraignons nos enfants du fait de notre inaction et de notre fatalisme ! Dans un contexte où les entrées en STAPS se font en partie par tirage au sort (ce que nous contestons), devons-nous attendre que des quotas sexués soient défendus à l’entrée des universités, comme ce fut le cas par le passé ? Faut-il restaurer, sur la base de justifications naturalisant les identités, les concours de recrutement séparés au risque d’avancer à contre-courant de l’histoire ? Faut-il mettre en place des mesures de discriminations positives au moment des recrutements professionnels au risque de renforcer le sentiment d’injustice ? Nous ne nous résolvons pas à poser les questions en ces termes.

Sous l’initiative du SNEP-FSU et du Centre EPS et Société, le groupe « Filles et STAPS » (réunissant des enseignant-es d’EPS et des universitaires en STAPS) s’empare de cette problématique, alerte les institutions publiques et sollicite leur soutien pour identifier les facteurs contribuant aux inégalités entre les femmes et les hommes en STAPS.

Dès à présent, trois pistes de travail se dégagent. Concernant le national, elles nécessitent, pour être menées dans les meilleures conditions, l’implication des services et moyens de l’Etat :

  • Mise en place d’une enquête auprès des lycéennes en classe de première pour cerner leurs profils sociaux, sportifs et scolaires ainsi que les conditions susceptibles d’empêcher/favoriser leur orientation en STAPS.
  • Mise en place d’une enquête auprès des UFR STAPS afin de produire des données statistiques sexuées sur d’une part, les effectifs d’étudiant-es, les taux de réussite, les orientations, les insertions professionnelles aux différents niveaux d’étude et différentes filières en STAPS (Cf. Convention sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans le système éducatif, 2013-2018) et d’autre part les personnels enseignants et autres exerçant dans les UFR STAPS (effectifs, statut, profil disciplinaire, carrière).
  • Mise en place d’une campagne de communication en faveur de la promotion des filles vers les métiers du sport et de la lutte contre les stéréotypes sexistes dans l’information délivrée sur les métiers et les filières universitaires liés aux métiers du sport (les STAPS).

Avec ce rapport, le groupe « Filles et STAPS » manifeste ces préoccupations sur la situation des femmes dans les formations universitaires STAPS et son impact sur la division sexuée à l’œuvre dans tous les métiers du sport. La dégradation de cette situation n’est pas irrémédiable. Le monde du sport, les femmes et les hommes qui le font vivre, ont tout à gagner à une meilleure prise en compte des questions d’égalité. C’est pourquoi, le groupe sollicite, outre la vigilance de la communauté STAPS, la collaboration des services de l’Etat en vue de contribuer, par des actions de grande envergure, aux préconisations de la convention interministérielle sur l’égalité entre les femmes et les hommes dans le système éducatif, 2013-2018, pour une meilleure mixité des filières.

Le Collectif « Filles et STAPS »

  • Christine Amans Passaga, MCF, STAPS Université Jean François Champollion, Albi-Rodez,
  • Alain Becker, Ex-Président du Centre EPS & Société,
  • Florence Carpentier, MCF, STAPS Université de Rouen,
  • Nina Charlier, Enseignante d’EPS,
  • Christian Couturier, Secrétaire National du SNEP-FSU,
  • Bruno Cremonesi, Enseignant d’EPS,
  • Annick Davisse, IPR EPS honoraire,
  • Natacha Dellard, Enseignante d’EPS, STAPS Université de Corte,
  • Sophie Deslaurier, Enseignante d’EPS, STAPS Université de Rouen,
  • Emmanuelle Forest, Enseignante d’EPS, STAPS de Lacretelle, Paris,
  • Fabienne Grière, Enseignante d’EPS, STAPS de Lacretelle, Paris,
  • Carine Guérandel, MCF, Université de Lille,
  • Pascale Jeannin, PRAG EPS, Université Paris 13,
  • Jean Lafontan, Président du Centre EPS & Société
  • Betty Lefèvre, PU, STAPS Université de Rouen.
  • Christine Mennesson, PU, STAPS Université de Toulouse-Le Mirail,
  • Cécile Ottogalli, MCF, STAPS Université de Lyon1,
  • Bérangère Philippon, Enseignante d’EPS, STAPS Université de Grenoble1,
  • Claire Pontais, Secrétaire générale adjointe du SNEP-FSU,
  • Anne Roger, MCF, STAPS Université de Lyon1,
  • Pascal Roland, MCF, STAPS Université de Rouen,
  • Marc Salmon, directeur de l’UFR STAPS, Université de Créteil,
  • Magali Sizorn, MCF, STAPS Université de Rouen,
  • Loïc Szerdahelyi, Enseignant d’EPS et docteur en STAPS,
  • Martine Vinson, docteure en Sciences de l’Education, STAPS Université de Limoges,
  • Mary Schirrer, MCF, Université de Lorraine
  • Stéphane Champely , MCF, Université de Lyon 1

Contact : secretariat[@]epsetsociete.fr