Temps de lecture : 20 mn.

Partir de gestes sportifs pour faire de la danse. Intéressant …mais comment ensuite sortir du « mime » pour aller au-delà des premières réponses ? Fabienne Raimbault et Christophe Mendoze ont relevé le défi de la formation artistique d’une classe de terminale du LP de Hyères (Var) en dansant le rugby.

S’appuyer sur le « réalisme » en partant du rugby

La particularité du cycle est qu’il est basé sur un scénario de rugby prescrit aux élèves dès la première séance. Ce scénario est la référence commune à partir de laquelle s’enclenche le processus de création, en duo. Après une première étape « réaliste » (ce qui est réalisé ressemble explicitement au rugby), les élèves vont progressivement transformer les mouvements et donc leurs représentations pour produire une chorégraphie à propos du rugby composée par un quatuor.
Nous n’avons pas peur que les élèves «miment ». Le potentiel formateur du registre réaliste est important (il ne s’agit pas de réalisme spontané qui se contente de gestes peu élaborés) et constitue une étape indispensable à la formation artistique de l’élève, qui s’enrichira ensuite grâce aux apprentissages liées aux composantes du mouvement et aux procédés de composition, en relation avec l’intention de représenter le rugby. Au fur et à mesure du cycle, l’élève peut mesurer sa capacité à décoller du réel et trouver son propre style.

Le scénario de rugby est choisi pour induire plusieurs types de motricité essentiels de la danse : contacts, travail au sol, sauts, portés, postures, formes de corps, locomotions . Il va permettre de travailler, les variations temporelles, les variations toniques, l’occupation de l’espace scénique, le regard, la concentration , la mémorisation.

Tout au de la chorégraphie, les élèves cherchent à répondre à l’intention Danser le rugby au travers de moments de recherche, de conception, d’exercices, de répétition. Ceci en alternant travail en grand groupe (avec l’enseignant qui guide) et petit groupe avec tenue des rôles de danseur, chorégraphe, spectateur par les élèves.

La conception du cycle

L’intention des danseurs

C’est de jouer un match de rugby à deux (puis à quatre enfin de cycle), les adversaires et le ballon sont virtuels. Ce qui se traduit par ce scenario initial : « Vous êtes par 2. Le match commence par une mêlée dans laquelle vous êtes partenaires. La mêlée va s’écrouler. Un de vous deux va ramasser le ballon et ensuite vous vous ferez 3 passes. Le/la possesseur du ballon à la 3ème passe va se faire plaquer. L’autre viendra ramasser le ballon et ira marquer un essai ».

Les apprentissages induits par le scénario

La lecture du scénario donne des indications sur ce que l’on va enseigner en danse :

  • La mêlée avec des poussées sur des adversaires virtuels : formes de corps, contacts, liens entre eux, énergies et déplacements.
  • Le ramassé et transport du ballon : appuis et abaissement du centre de gravité, locomotions avec fixation particulière des bras, des mains.
  • Les passes : distances, orientations et niveaux variés dans l’espace, accélération en fin de geste, précision des directions, regard évoquant la trajectoire du ballon virtuel, mise en forme des mains.
  • Le plaquage : contraction, équilibre/déséquilibre, passage au sol.
  • L’avancée vers l’en-but et l’essai : courses, pas chassés, piétinés, tours, contrepieds, trajets et passages au sol,

Des contraintes permettent les mises en « je/jeu » suivantes

  • Espace scénique de duo (5×10), puis de quatuor (10×10)
  • La durée de la chorégraphie sera de 1 minute 30 à 2 minutes. C’est un repère important pour les élèves puisqu’au départ leur chorégraphie est très courte (8 à 10 secondes).
  • Un solo est obligatoire : chaque élève , y compris le ou la plus timide, doit faire des choix personnels et apportera ainsi sa singularité à la chorégraphie collective . Ce solo n’implique cependant pas qu’un élève passe seul.e devant les autres, mais qu’il ou elle danse sa partition.
  • Un unisson évoquant le haka,
  • Un porté (évoquant la touche)
  • Le ralenti est un incontournable en tant que :
    • méthode de transmission / apprentissage : décomposer une séquence, en maîtriser le trajet, les qualités, les parties de corps concernées.
    • technique de représentation et moyen esthétique.
    • exigence d’effectuation : contrôle de l’équilibre, la sensation et la maîtrise de la lenteur.
    • sécurisation des chutes au « plaquage »

La classe de LP

Il s’agit d’une classe de terminale au lycée professionnel de Hyères, série « Assistants Architecture » et « Étude et Économie de la construction » (20 élèves : 19 garçons, 1 fille). Les élèves sont débutants. Cette APA est programmée pour la première fois dans le lycée. Le cycle est mené en collaboration enseignant/spécialiste (C. Mendoze, F. Raimbault).
Les élèves ont vécu un cycle de rugby avant (c’est mieux, mais pas obligatoire, on peut aussi visionner une vidéo). Ils savent qu’ils vont faire de la danse, et que cela sera évalué pour le bac. A chaque séance, il y aura une présentation des chorégraphies et une évaluation formative qui leur permettra de bien identifier les critères de réussite et de suivre leur progrès.

Le déroulé du cycle

Ce cycle a été limité à 6 séances de 2 heures

-138.png-137.png-136.png

Remarque sur le rapport à la musique
La première phase se passe en silence, d’ailleurs les élèves ne réclament pas de musique ! Plus tard, elle est choisie (lente, rythmée, aérienne, rapide…) pour aider aux transformations : création d’un climat, d’une ambiance, d’un rythme.

Le détail des 6 séances (6 x 2 h)

Le cycle se déroule dans un gymnase type C. Il a été plus court que prévu pour des raisons institutionnelles.

SÉANCE 1- Le cérémonial et le scénario

Le cérémonial
Il permet à ces élèves qui n’ont jamais dansé de se mettre en condition de danse.
A la sortie des vestiaires, les élèves sont divisés en 2 équipes et s’équipent de maillots. A ce moment, l’enseignant leur explique qu’ils vont faire un match de rugby dans le gymnase. Il leur précise que les supporters sont installés et que leur entrée est attendue. Avant cela, ils vont s’échauffer par équipe.
Les 2 équipes entrent donc en trottinant en 2 colonnes (menée par un élève désigné) et chacune va occuper la moitié de l’espace disponible. L’enseignant conduit l’échauffement 10mn environ : rotations différentes parties du corps : épaules, bassin, tête, hanches, puis travail du contact par 2, placement au plaquage …Les duos sont constitués pendant l’échauffement et seront conservés après.
L’espace scénique a été délimité par des zones de 12 X 8 environ avec des plots (1 groupe par zone).

Le scénario
L’échauffement terminé, l’enseignant donne cette consigne très précisément :
« Vous êtes par 2. Le match commence par une mêlée dans laquelle vous êtes partenaires, la mêlée va s’écrouler. Un de vous deux va ramasser le ballon et ensuite vous vous ferez 3 passes. Le/la possesseur du ballon à la 3ème passe va se faire plaquer. L’autre viendra ramasser le ballon et ira marquer un essai ». Vous faites 3 fois le scénario avec le même rôle, puis vous changez de rôle (3 fois)
Les duos se distribuent dans les zones. Une consigne de sécurité est donnée : « c’est du rugby dans un petit espace, on ne doit pas se faire mal, et donc ne pas faire n’importe quoi ! Il s’agit de « faire comme si », faire semblant, très précisément. »

Chorégraphie 1
Un duo observe un autre duo, vérifie la réalisation intégrale du scénario et chronomètre la durée de la présentation. Un nouveau temps de répétition avant la présentation qui « compte » (évaluation formative). Les élèves choisissent leur rôle.

Bilan des premières réponses
Tous se prennent au jeu du scenario. Celui-ci est présenté intégralement, ils n’ont rien oublié. Ils ont fait : une forme à deux (mêlée), puis l’un ou les deux chutent puis se relèvent, des courses, 3 passes arrière se succèdent (un avance et passe en arrière pour respecter la règle de l’en-avant), puis un des deux tombe (se fait plaquer), l’autre ramasse le ballon, court et marque l’essai; le tout sur un trajet en ligne droite ou un aller-retour.
Les élèves constatent qu’ils ont respecté le scénario en cherchant à le représenter et qu’en danse, on peut se permettre des choses pas habituelles. Certains groupes ajoutent une « surprise » : une marque de satisfaction après l’essai (mimique, bras en l’air, saut, contact poitrine), une blessure au sol après plaquage etc. On admet ici que tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, donc c’est à conserver. Ce sera une marque singulière appartenant au groupe

Comment améliorer cette 1ère prestation ?
Ensemble, on observe que la durée est très courte : 8 à 12 secondes. La chorégraphie finale devra être plus longue. Pour aller dans ce sens, deux nouvelles règles sont données : La règle de l’en avant est supprimée et donc, vous pourrez utiliser l’espace dans toutes les directions. et pour aider les élèves à fixer leurs trajets et les lieux des actions : vous remettrez à vos spectateurs un plan sur lequel ils pourront visualiser les lieux de la mêlée, des 3 passes, des courses, du plaquage et de l’essai.

Chorégraphie 2
Bilan des premières réponses
La durée augmente (entre 15 et 22 secondes), les trajectoires du ballon fictif (parfois suivies du regard) et les trajets des locomotions sont plus variées mais la progression est encore linéaire (référence au terrain et à l’embut). Le ballon porté virtuellement est réduit à 1 balle de tennis. Il y a peu d’esquives dans les courses (il n’y a pas d’adversaire dans ce match !)

A la fin de cette séance, les élèves ont compris qu’ils font de la danse à partir d’une fiction et peuvent envisager que tout le monde peut réussir à « danser le rugby ».

SÉANCE 2 – Progresser dans la lisibilité des actions et le faire semblant

Les premières réponses des élèves relèvent de la motricité usuelle et sont peu variées. Il faut maintenant élargir leur palette de réponses, les faire progresser dans les énergies et le tonus pour préciser le réalisme de cette fiction et la lisibilité des actions par des techniques de mime : le faire semblant (évoquer le contenu par le contenant ) et les modelages (élaborer les formes les plus proches du réel).
Après l’échauffement identique à S1, chaque partie du scénario va être retravaillée séparément en duo, toujours répartis dans les zones. Le travail se fait en classe entière, le prof guide.

La mêlée
On se rappelle les mêlées de la 1ère séance. Comment les améliorer ? En restant liés l’un à l’autre, les pressions subies ou imposées aux adversaires virtuels (reculs et avancées sur place et en déplacement) mains au sol ou pas.
Entrainement pendant 5 minutes, puis présentation par 2 duos. Conseils puis à nouveau une phase d’entrainement.
On reproduit le même dispositif pour les actions suivantes. Les indicateurs doivent être repérables par l’observateur.

Le ramassage du ballon
Baisser son centre de gravité, les 2 mains évoquent la présence du ballon.

Les 3 passes

Le ballon virtuel est évoqué par la mise en forme des mains (faire semblant), réaliser 3 passes différentes en longueur (distances différentes entre danseurs), en orientation, en de mode de transmission (mains/ mains, pied/main).
Entraînement/ présentation.

La course et le plaquage
Pour la course, varier les façons d’éviter des adversaires imaginaires : slalom, esquive, contre-pied, raffut tout en conservant le ballon protégé entre buste et bras. Pour le plaquage, résister avant la chute ou descente au sol. Les deux actions sont travaillées. Critères de réussite : passer d’une posture verticale résistant aux déséquilibres sur place ou en déplacement à une position au sol présentant le ballon au partenaire, rapide (chute) ou contrôlée (descente avec appuis intermédiaires).
Entraînement et tests des 2 réponses chute et descente contrôlée.

La course et l’essai
Course : idem précédemment. Essai : marquer un essai en testant plusieurs solutions pour maintenir son intégrité physique sur un sol dur (on n’est pas sur la pelouse). Plusieurs réponses possibles : après la course, pose du ballon fictif au sol par plongeon (parfois glissade sur le ventre possible par qualité du sol), ou rapide décélération et simple inclinaison buste et tête.
Entrainement puis présentation.

Chorégraphie 3 : On reprend le scenario de la séance précédente et on l’améliore avec ce qui a été travaillé aujourd’hui. On peut changer ce que l’on veut.
Bilan : la durée des chorégraphies augmente (de 24 à 36 secondes). Discussion sur les améliorations de la séance. Les trajets des locomotions sont plus circulaires (meilleure utilisation du petit espace) et les directions plus variées.
Question : ont-ils des idées pour rallonger encore leurs prestations ? La discussion fait apparaître l’utilisation du ralenti dans les courses pour donner l’illusion de la distance parcourue, au moment du plaquage ou de l’essai pour ne pas se faire mal (technique de réalisation et procédé de symbolisation).

SÉANCE 3 – Le solo, le travail de la vitesse et de l’arrêt sur image

Échauffement comme séance 1

Le solo
Le solo ne peut pas être conçu à partir de rien. Une liste d’actions de rugby est proposée aux élèves. Ils en choisissent chacun 3 qu’ils représentent et enchainent dans l’ordre qu’ils souhaitent. Ces actions ont été choisies pour apporter de la variété dans les chorégraphies (espace arrière et espace aérien). Comme pour le scénario, il s’agit dans un premier temps d’être le plus précis pour être le plus réaliste possible.

  1. Je cours, me fais ralentir par un adversaire qui me tire par le maillot et j’avance malgré tout.
  2. Je protège mon ballon en poussant en arrière, puis l’offre à mon partenaire devant moi.
  3. Je tire le ballon d’un adversaire qui résiste, lui arrache et le pose très vite au sol.
  4. Je donne un coup de pied dans le ballon devant moi, cours en le regardant en l’air et le récupère en le bloquant devant mon ventre.
  5. Je lance le ballon de la touche.
  6. Je lance le ballon dans la mêlée.

Entraînement 5mn pour créer son solo.
Critères de réussite : 3 actions que mon spectateur pourra reconnaître. L’ensemble représente un trajet d’au moins 3 mètres (éviter un solo statique).
Le spectateur donne des conseils sur la lisibilité des actions qu’il y a à deviner.

Atelier sur les vitesses de réalisation
En danse, un « atelier » est un exercice qui n’a pas obligatoirement un rapport direct avec la chorégraphie de référence, l’enjeu est de travailler un aspect technique particulier.
L’objectif est de tester différentes vitesses de réalisation pour un même mouvement : le ralenti a été suggéré la semaine précédente pour rallonger la chorégraphie ou pour éviter de se faire mal. Il a un autre intérêt : il donne une sensation de lenteur calme qui peut vous rappeler la beauté d’un ralenti à la télé.
L’enseignement se fait en collectif, plusieurs lignes face à l’enseignant qui compte les temps sur le tempo des secondes d’une montre.

  • Descentes au sol et remontée
    Descendre au sol pour s’allonger sur le flan à droite en 10 temps et remonter a la verticale en 10 temps. Même chose à gauche. Puis en 4 temps, puis en 2 temps, puis 1 temps (le « 1 est précédé d’un « et » avant la 1). La technique de la descente en 1 temps est apprise (descendre sur son axe pour se rapprocher le plus possible du sol en appui sur le dos du pied, puis s’allonger sur le flanc). Travail du ralenti à la grande vitesse « TVG ».).
  • L’arrêt image
    Dans la descente en 10 temps, l’enseignant provoque un arrêt surprise en frappant dans ses mains (à 6 par exemple), 3 secondes d’arrêt puis reprend le compteur. Même chose avec d’autres chiffres puis à gauche jusqu’à ce que les élèves réussissent l’arrêt.
    Bilan : Au cours de cette phase de travail les élèves sont très concentrés et disponibles pour réagir instantanément. Le TGV 1 temps est considéré comme un exploit !

Ateliers du ralenti

  • Le miroir
    Par 2 face à face espacés d’1mètre, les élèves doivent faire exactement la même chose. On ne peut pas deviner qui est le leader. Cela suppose de faire des gestes simples et lents ; (musique du grand bleu pour que la copie instantanée par le partenaire du modèle soit possible).
  • Le solo à différentes vitesses
    On réalise tous ensemble son solo en vitesse 1-normale, 2- ralenti ,3- Tgv , 4-avec arrêt image(5 sec) pendant le ralenti , 5- avec arrêt image(5 sec) pendant le TGV . Le signal d’arrête est donné par l’enseignant.

Reprise du solo
Chaque élève doit intégrer dans son solo un ralenti, un arrêt image (5 sec) et un TVG qu’il placera où il veut pour créer et exercer ainsi sa propre musicalité. Il est suggéré d’apporter une modification sur chaque action (phase de travail tous en même temps).
Montrer son solo avec ces nouvelles contraintes : 3 actions + 3 qualités temporelles sur un trajet de 3 mètres
A cette étape, certains élèves sont capables de danser seuls devant leurs pairs, mais pas tous. Les élèves sont donc venus présenter leur solo à l’enseignant, puis ont répété la dernière version du duo pour ne pas l’oublier, voire l’améliorer avec ce qui venait d’être travaillé

Bilan : le ralenti et l’arrêt image sont trop courts pour certains élèves. Le critère de réussite est précisé : les arrêts ne sont validés que s’ils durent au moins 3 secondes.

SÉANCE 4 – Le regard, le comptage à l’unisson et le HAKA

« Jusqu’à maintenant, les présentations ont eu lieu devant un seul ou deux spectateurs, et en plus, vous avez évolué dans de multiples directions. Aujourd’hui nous allons danser devant plus de spectateurs et face au public. On va donc vivre 2 ateliers pour se préparer à être en scène, et à se concentrer pour danser à plusieurs la même chose sans être perturbé »

Ateliers pour être à l’écoute, tenir le regard et faire ensemble

-* La rencontre, tenir le regard
La situation : les élèves, par 2, sont disposés face à face sur 2 lignes d’élèves à 10 m l’une de l’autre. Ces 2 lignes représentent des coulisses dans lesquelles on va entrer/ sortir (apparaitre /disparaitre). Les élèves doivent avancer ensemble et marcher l’un vers l’autre, s’arrêter en face à face le plus près possible (sans contact) et se regarder 3 sec, puis repartir dans sa coulisse.
Lors des premiers passages, les lignes sont des vagues, les élèves rient en se regardant. Une fois que c’est compris, on peut jouer sur les variables : vitesse (de la marche à la course) / changement de partenaire par décalage d’une des lignes. Les consignes de départ, de variations des vitesses et de décalages sont données par l’enseignant.
A la fin, les élèves sont capables de courir, s’arrêter équilibré proche du partenaire, et tiennent le regard sans se déconcentrer

-* Même dispositif sous forme de concours de concentration
Chaque ligne passera l’une après l’autre. L’autre, en face est spectatrice. Il s’agit de sortir de sa coulisse et s’arrêter au milieu en marchant tous ensemble. L’enjeu est de réussir mais sans aucun signal de l’enseignant ni « aide » visuelle (on ne tourne pas la tête), sonore (on reste en silence), contact (on ne se donne pas la main).
Il est expliqué aux élèves qu’ils ont une vision périphérique très large qui leur permet de percevoir tout mouvement dans ce champ de vision à 180 degrés et qu’ils peuvent se mettre « à l’affut » en faisant fonctionner leurs qualités d’écoute, de vigilance et de disponibilité, comme s’ils avaient des petits capteurs invisibles à la surface de la peau en éveil, dans le silence. « Oui, c’est comme de la télépathie » disent des élèves !
Là encore, lors des premiers essais, on voit une vague et non une ligne, il y a toujours un ou des retardataires, qui n’étaient pas prêts, ou un « chef » qui démarre trop tôt.
On s’amuse à donner une note qui lance un défi, et le désir de progresser pour dépasser l’autre. Puis on détermine un code de communication non verbale (se donner du temps, faire une inspiration ensemble et poser le 1er pied, se déséquilibrer légèrement vers l’avant et poser le pied, marcher sur le même rythme, construire ce rythme)
Le « concours » entre les deux lignes les motive et fait que les élèves prennent de plus en plus de temps pour se concentrer dans le silence et la verticalité, pour « sortir » en même temps. Ils construisent l’idée de «présence sur scène» en réussissant à enchainer sortir, marcher, s’arrêter à l’unisson sans signal. Elle/ils sont fiers !

-* Atelier du comptage – mémorisation
Pour garantir l’unisson, à savoir faire la même chose en même temps, on a quand même parfois besoin de repères temporels.
Ce principe déjà utilisé pour la descente au sol sur 10 temps, est repris pour préparer le haka. Une musique rythmée, une phrase de 8 temps est proposée aux élèves (Every room on every floor 1-art to breathe, Kojak).les élèves doivent intérioriser le rythme et la succession de phrases de 8 temps répétant la boucle simple marche 8t /arrêt 8t / course 8t plusieurs fois.

Fabrication du HAKA
Rappeler le sens du HAKA pour préciser l’activité tonique préparatoire à l’affrontement, le rituel de l’équipe comme le cri de guerre en geste
On teste tous ensemble, le prof est modèle : « À partir de la position bien stable pieds parallèles écartés et genoux pliés au départ, vous ajoutez des mouvements brefs, d’un coude, vers le haut, vers le bas ou vers l’avant, vers un côté ; des 2 coudes idem, on peut maintenant tourner la tête d’un côté puis de l’autre, une main sur un genou, puis l’autre main sur l’autre genou ; on peut soulever un pied et pivoter sur l’autre pour changer d’orientation et revenir, idem l’autre pied ; on peut menacer en symbolisant la gorge tranchée par un faire semblant en 4 temps. »
En solo : « Avec ces exemples et ce que vous connaissez du HAKA, chacun d’entre vous va créer sa phrase en 8 temps. » 5 mn de recherche : le prof guide les élèves timorés.
En quatuor : « 2 duos se regroupent pour nous présenter un HAKA en quatuor (compilation des 4 phrases enchainées à votre choix) » 15 minutes de préparation puis passages placés en 1 ou 2 lignes devant les autres.
Bilan : Les élèves utilisent surtout les bras. La synchronisation reste à travailler ainsi que la mémorisation. Un groupe trouve la solution de la répétition d’une même phrase placée en 1 et en 3.

SEANCE 5 – L’ASCENSEUR et écriture de la chorégraphie

A cette étape, les élèves ont compris le fonctionnement : on prend une action du rugby et on la danse. Danser ça veut dire : jouer sur les vitesses, le rythme, les déplacements, les parties du corps etc. On ajoute aujourd’hui la phase aérienne du rugby : le porté à la touche.

Atelier porté
Il est rappelé aux élèves portés le sens de ce porté pour la récupération du ballon dans les airs (forme des mains) et aux porteurs l’entraide nécessaire pour retrouver le sol en accompagnant le porté y compris dans la descente
Ce qu’il y a à apprendre : chaque élève va se faire porter tour à tour par les 3 autres. Il doit conserver son corps à la verticale, regarder devant lui. Les porteurs se placeront 1 derrière sur la montée du bassin et 2 sur le coté sur la montée des cuisses. L’élève porté engage l’action par une flexion, signal pour les autres de se coordonner en complétant, dès son impulsion, son élévation par leur force. On n’hésite pas à se servir des vêtements pour les prises. On passe à tous les rôles.
Bilan : Un groupe a lâché l’élève une fois en l’air (la montée était une fin en soi !!). Un autre a essayé de se maintenir en l’air pour produire un arrêt image.
Chaque groupe montre (souvent le porté est l’élève le plus léger de chaque groupe). C’est réussi quand le porté est vertical les mains prêtes à recevoir le ballon regard fixé vers l’avant, et une dépose sécurisée accompagnée, l’arrêt image en haut est un plus.

Écrire la chorégraphie
Les différentes parties ont été révisées en chaque fin de séance et maintenant on va tout réunir.
Écriture de la partition puis passage devant le public pour répétition générale sur la musique de MATRIX.
Chaque groupe construit sa propre chronologie et la mise en scène des différentes parties. Devront figurer : les 2 duos scénarios, les 4 soli (ils sont intégrés dans la chorégraphie, on n’est pas obligatoirement seul sur scène), le HAKA, l’ascenseur et une surprise. Durée : 1’30 à 2 mn sur une scène de 8 m x 10 m. Le début et la fin doivent être clairs. Il faut donner un titre à la chorégraphie.

SÉANCE 6 – Répétition et spectacle

2 absents la semaine dernière sont intégrés dans un groupe de 4 qui devient 6.
Passage 1 : durée de 1’13 à 2’50. Retours de l’enseignant à chaque groupe concernant la mémorisation, précision des espaces, connaissance de son rôle, liaison d’une séquence à l’autre
Passage 2 : durée de 1’35 à 2’50. Les spectateurs doivent identifier pour chaque chorégraphie l’ordre des parties et donner des avis, conseils pour améliorer.

Bilan du cycle de danse

« Alors, si c’est ça la danse, ça va ! »

Cette remarque d’un élève au cours du cycle nous a confortés dans notre choix !
Globalement, les élèves ont bien réagi y compris les réticents. Le cycle « leur a plu » (pas de retour négatif), « c’était nouveau ». Ils sont heureusement surpris dès la première séance et satisfaits de leurs productions, fruit de leur travail collectif. Cependant Ils ont souvent eu l’impression que le travail était abouti, alors qu’il ne l’était pas, d’où la nécessité des nombreux retours d’observations et d’évaluations, y compris pour entretenir la mémoire de ce qui était construit.

Quel est l’originalité de ce travail et pourquoi est-il abordable par un prof non spécialiste ?

Les 3 étapes sont claires : 1ère étape : réalisme / 2ème étape, on transforme, on choisit / 3ème étape : on compose.
Le scénario représente l’intention que l’on va exprimer. Il est prescrit et représente une référence commune. On pourrait dire « chorégraphie de référence » qui revient à chaque séance (ou quasiment) ce qui n’exclut pas les ateliers, mais ceux-ci pour avoir du sens doivent être décidés après des observations partagées. L’enseignant sait où il va, même si évidemment, il va devoir prendre en compte les réponses des élèves pour faire avancer leur chorégraphie.
Les objets d’étude lient intention (toujours liée au rugby) et apports techniques (les élèves ont appris à occuper l’espace, varier les vitesses, des rythmes, l’unisson, des chutes, des contacts, le regard, l’écoute de l’autre, les portés et ont tenu des rôles chorégraphiques). Toutes les composantes de la danse sont présentes.
Les élèves ont des critères de réussite précis qui leur permettent de s’évaluer eux-mêmes et de se conseiller.
Du point de vue de la démarche (processus de création), les élèves cherchent leurs réponses dans un cadre très contraignant. Ce sont ces contraintes qui leur permettent d’une part d’entrer dans la danse et ensuite d’enrichir leurs réponses et composer avec les autres.
Les chorégraphies sont des duos et des quatuors à la fin, mais de nombreux moments de travail sont collectifs (plus facile à gérer pour le prof). Le solo est un choix ambitieux (pas facile) mais nécessaire pour que chaque élève s’implique dans un projet à lui au sein de la chorégraphie collective

Remarque : les élèves étant en terminale, l’évaluation a une grande importance pour eux, y compris la tenue des fiches d’observateurs (jouant selon les cas, le rôle de chorégraphe ou de spectateur). Les élèves savent toujours avant si la présentation « compte » (évaluation formative) pour le bac ou pas.

Si nous avions 2 séances supplémentaires, nous aurions pu prendre le temps de visionner les chorégraphies intermédiaires, améliorer la concentration, améliorer la mise en espace, mieux styliser pour se différencier, créer une nouvelle phase avec les supporters par exemple.

Les deux paramètres conjugués (danser le rugby, une APSA qu’ils connaissent et une évaluation très perceptible pour eux) ont participé à donner du sens à ce cycle de danse, qui au départ ne les enchantait guère. Une prochaine fois, nous penserons à recueillir leurs représentations sur la danse avant et après le cycle.

« Danser le rugby » est le fruit d’une recherche INRP années 95-98 coordonnée par D. Motta. Un des enjeux était de faciliter l’enseignement des APA par des non spécialistes à des élèves en difficulté. Expérimentée au départ avec des élèves de 6ème -5ème en milieu difficile, elle a ensuite été proposée à tous les niveaux de la scolarité, y compris en classes préparatoires et en STAPS.

Cet article est la version longue d’une production parue dans le Contrepied HS n° 27 – Osons la Danse (oct 2020)