✅ [vidéo] EPS en Maternelle. Avant, je faisais des ateliers, maintenant je fais de « la gymnastique »

Ecriture à deux voix. Pascale Boyer, une enseignante de grande section à Paris dans une REP (XIXè arrondissement), membre du GFEN, et Claire Pontais, formatrice à l’ESPE de Caen, membre du centre EPS et société. Elles racontent ici leur collaboration sur la mise en place d’un module de gymnastique en référence à la pratique sociale.

Parle-t-on d’EPS, de motricité, de gymnastique ?

Claire Pontais : Au départ, il était convenu que Pascale ferait ce qu’elle avait l’habitude de faire, et ne ferait appel à moi que lorsqu’elle en aurait besoin.

Pascale Boyer : Avant de travailler avec le Centre EPS & société, je faisais ce que je nommais des « Ateliers d’EPS ». J’avais tout de même abandonné les « parcours » où les élèves font la queue leu leu et s’ennuient à attendre leur tour. Ce qui est amusant avec le recul, c’est que j’étais capable de dire « course de vitesse », « courir longtemps », « danses traditionnelles » « danse », « jeu collectif », « lutte » et là c’était juste « ateliers EPS » !
On est très imprégné par langage bêtifiant destiné aux jeunes enfants comme si un langage simplifié était plus simple pour eux que le langage adéquat. Si l’on veut s’en défaire ce n’est pas si simple d’y voir clair quand on n’est pas spécialiste de la discipline. Dans les programmes de la maternelle cela s’appelle encore « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique » sans qu’aucune pratique sociale ne soit citée, alors que pour les activités artistiques, un chapitre s’intitule : « Le spectacle vivant qui comprend danse, cirque, mime, théâtre, marionnettes. »

Pour moi, la séquence « ateliers d’EPS », c’était aménager le milieu et proposer des « exercices moteurs ».
L’idée était qu’un environnement riche permet aux élèves d’explorer tous les possibles de leurs corps et sollicite des réponses motrices. Mais j’étais un peu empêtrée dans ces problèmes de terminologie. Ta rencontre et faire référence aux APSA (activités physiques sportives et artistiques) a été la réponse à une quête dans laquelle j’avais l’impression de tourner en rond. La seule chose dont j’étais convaincue, de par ma culture du GFEN, c’était la nécessité d’une démarche d’auto-socio-construction des savoirs 1 et la mise en jeu de la pratique réflexive des élèves, ce que je fais dans toutes les disciplines.

Claire Pontais : Concrètement, tu as donc commencé ce module en faisant ta pratique habituelle…
PB : Mon premier aménagement était pensé en fonction du matériel à ma disposition (pas du tout en fonction des contenus de gymnastique) : Les élèves vont où ils veulent, la consigne est ouverte.

  1. Deux barres horizontales à 1 m de haut. Consigne : Monter, s’asseoir, se suspendre…
  2. Blocs mousse empilés avec petit tapis de réception. Consigne : Sauter en contre-bas
  3. Poutre basse et blocs de mousse (dont un instable). Consigne : Se déplacer d’un bout à l’autre sans poser le pied par terre
  4. Un gros tapis en pente. Consigne : Rouler d’en haut jusqu’en bas du tapis
  5. Un tunnel remplacé à la troisième séance par des lattes posées sur des plots. Consigne : Ramper sans renverser les lattes

CP : Pourtant, ces actions font immanquablement penser à la gymnastique, non ?
PB : Pour un œil averti, oui, mais pas pour moi ! Je n’avais aucune intention de faire progresser mes élèves en gymnastique, mais plutôt d’avoir une diversité de réponses motrices. Cette diversité, induite par la terminologie des programmes, fait que nos séances ressemblent fort à des jeux de square et que j’avais beaucoup de mal à mener les retours réflexifs (nommés « Bilans » auprès des élèves). Ils partaient un peu dans tous les sens, vu que moi-même je n’avais pas vraiment conçu « le but du jeu ».
Ce n’est qu’à partir du moment où j’ai fait explicitement référence à la gymnastique que j’ai vraiment changé ma façon de faire. La contrainte de se mettre soi-même, tout comme les élèves dans une discipline sportive est libératrice.

La contrainte de se mettre soi-même, tout comme les élèves dans une discipline sportive est libératrice.

La référence à la gymnastique change tout !

PB : A la 3è séance, j’ai senti que j’arrivais au bout des possibilités de mon aménagement. C’est à ce moment que j’ai sollicité ton aide.

CP : Mon principal apport a été didactique, notamment avec un document qui donne une définition de la gymnastique et en particulier sa signification (prendre des risques/maîtriser les risques pris et présenter ses exploits à des spectateurs) et des fiches par actions gymniques avec 3 niveaux de réponses et chaque fois le but du jeu, les critères et les repères pour les élèves (fiches : Sauter, Rouler en avant, Rouler en arrière, Rouler droit en baguette, Marcher en appui sur les mains, Roue).

PB : Nous avons convenu de changer légèrement l’aménagement pour engager les élèves dans un projet gymnastique énoncé comme tel. Cela a changé ma perspective. Identifier le but du jeu ; le sens de la gymnastique : faire des exploits, des figures avec son corps. Identifier le sens du progrès : des figures de plus en plus tournées, aériennes, renversées. Identifier ce que font mes élèves : ce qui est prometteur, source de progrès et ce qui ne l’est pas.

  • Sur les deux barres parallèles, ils s’assoient sur les barres et tentent le cochon pendu, mais les 2 barres sont gênantes→ On décide de ne mettre qu’une seule barre, et de se centrer uniquement sur le cochon pendu
  • Sauter : l’atelier leur plait, ils essaient d’arriver sur leurs pieds → On donne une consigne supplémentaire : sauter et faire une figure en l’air
  • Poutre : Se déplacer sans poser le pied par terre. (les blocs instables sont source de chutes incontrôlables, on les supprime) → On donne une consigne supplémentaire : faire une figure au milieu.
  • Rouler dans tous les sens (et pas seulement en avant) : le gros tapis a donné envie de rouler, mais incite à s’écrouler sans chercher la maîtrise. → On décide de mettre des petits tapis peu inclinés et à plat.
  • On ajoute, parce que c’est une action déterminante en gymnastique, un atelier « se renverser sur les mains » (ventre face au mur, les pieds montent le plus haut possible). Remarque : au début, il y avait un tapis épais et mou, mais cela faisait mal aux poignets, on l’a remplacé par un tapis fin)
  • Et on supprime l’atelier ramper (il ne correspond pas à des activités gymniques)

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Dans ce dispositif, je signale un petit rien qui change beaucoup de choses : On ne reste pas debout à faire la queue. Les élèves vont où ils veulent. Ils s’assoient sur le banc correspondant à l’atelier choisi pour attendre leur tour (pas plus de 3 ou 4 par banc pour ne pas attendre trop longtemps).

Sur le banc on peut discuter à voix posée pour ne pas déranger celui qui fait la figure. On ne l’interpelle pas sinon c’est plus difficile pour lui.

Non seulement, c’est plus facile à gérer, il y a beaucoup moins de conflits, on ne fait plus de discipline, mais en plus, être assis sur ce banc permet à la fois d’observer les gestes des autres et de se concentrer : attendre son tour est déjà une préparation mentale à l’activité physique de ce qu’ils ont choisi de faire.

La situation a duré 8 séances, jusqu’à la démonstration devant les parents.

CP : Tu as donc fait 8 séances sans changer d’aménagement ?
PB : Quasiment oui. Et partir de ce moment, je me suis sentie plus enseignante ! Le but du jeu était clair et le projet aussi : « On est des petits gymnastes, nous faisons des exploits difficiles et réussis. A la fin, nous ferons une démonstration aux parents ».

Pour comprendre l’idée qu’il faut impressionner les spectateurs en faisant des figures avec son corps, j’ai fait visionner des vidéos de gymnastique de haut-niveau aux élèves pour qu’ils voient des exploits et sachent que la gymnastique est un sport et aussi des vidéos d’enfants de club de 5-6 ans pour qu’ils voient des exploits à leur portée.
Les élèves ont été épatés.
De ces vidéos, ils-elles ont retenu trois choses importantes :

  • Pour progresser il faut s’entrainer ; avant de commencer, il faut se concentrer
  • Il faut quand même finir son exercice quand on est tombé (reprendre son exercice donne une notion d’erreur et non d’échec)
  • A la fin d’une figure, on lève les bras en l’air pour dire que la figure est terminée.

De mon côté, à chaque atelier, je savais où j’allais.
La contrainte de faire une figure en l’air, de ne pas mettre le pied par terre, de tenir sur les mains et monter ses pieds aide beaucoup les élèves et m’aide aussi. Je sais quelles questions leur poser, sur quoi centrer leur attention.
Je trouve cette façon de faire plus égalitaire. Cela aide plus les enfants en difficulté qui savent où on les emmène. Les enfants timorés progressent plus.

CP : Concrètement, comment t’es-tu organisée pour qu’ils-elles progressent ?

Une organisation qui alterne activité physique et activité réflexive

PB : L’organisation a été la suivante :

le lundi : on cherche à faire mieux à chaque atelier. On va où on veut pendant 15 à 20 minutes. Puis la moitié de la classe est en démonstration pendant que l’autre moitié est spectatrice. Certaines fois les spectateurs et spectatrices avaient feuilles et crayons pour faire des croquis des gymnastes. Ce passage par la représentation, entre autres parce qu’elle aide à l’observation rigoureuse, a certainement aidé à certaines prises de conscience. Ensuite on inverse les rôles.

le mardi : on va où on veut, mais il faut obligatoirement passer à l’atelier X qui sera le sujet du retour réflexif. C’est un moment d’auto-évaluation et les fiches sont une aide déterminante. Cela peut aussi être un moment où je note rapidement les réussites de chaque élève. En fin de séance on se regroupe autour de cet atelier (moment de bilan collectif) : on met des mots sur ce qu’on fait, ce qu’on n’arrive pas à faire, éventuellement certains vont refaire le mouvement devant les autres pour permettre l’analyse… toujours deux questions :

  • qu’est-ce qui est difficile ?
  • comment on fait pour réussir ?

Ce moment de retour réflexif (ou bilan) est un moment essentiel parce que la mise en mots aide à surmonter la difficulté. C’est d’autant plus indispensable pour celles et ceux qui ne formulent pas les questions tous seuls.
Avant je leur disais ce qu’il fallait faire. Là je suis parti de ce qu’ils faisaient et disaient.
Exemples :

  • A la poutre : on glisse, il faut enlever les chaussettes ; il ne faut ne pas regarder ses pieds, mais regarder devant ; il faut écarter les bras ça aide pour ne pas tomber ; il faut être dur (ne pas être tout mou) …
  • Pour la roulade latérale (je dois dire qu’ils ont adoré ce mot !). Il faut être dur ! C’est quoi être dur ? … pour conscientiser le gainage, on a comparé, un ventre dur, un ventre mou, ils se touchaient pour vérifier.
  • Pour le saut, on a comparé arrivée jambes tendues et arrivée genoux fléchis, regarder ses pieds ou regarder loin devant soi…
  • Pour se concentrer on doit attendre un peu (quelques secondes) avant chaque exercice et on pense à la figure qu’on va faire, on essaie de la « voir »

En fait, ils ont fait des exercices, et ont acquis des apprentissages techniques. On n’emploie jamais ces mots là, mais c’est bien de ça dont il s ‘agit.
Ils ont maintenant une connaissance beaucoup plus fine de leur corps.

Ils ont maintenant une connaissance beaucoup plus fine de leur corps.

A la fin de chaque bilan, une fiche avec le sens du progrès était affichée près de l’atelier (plastifiée). Cela a permis d’affiner et « d’institutionnaliser » le but du jeu et les critères de réussite : ne pas mettre le pied par terre, faire une figure au milieu (lever la jambe devant, derrière …)

On a fait ça pour tous les ateliers.

Ces moments de bilan sont aussi ceux où le vocabulaire se construit : être en équilibre, prendre une impulsion, réception, roulade latérale, gainage… Les mots arrivent des élèves ou sont donnés par l’enseignant-e quand le sens en est construit par l’expérience et qu’il y a nécessité à les employer pour être précis et compris par tous.

Ces moments de bilan sont aussi ceux où le vocabulaire se construit

Fiches didactiques proposées au fur et à mesure des bilans sur chaque atelier

De ce point de vue, les fiches sont des repères didactiques très utiles.
D’abord pour moi, pour savoir où je vais, mais aussi pour les élèves. Elles permettent d’identifier le sens du progrès en gymnastique et les figurines sont compréhensibles par les élèves. Elles peuvent être construites avec eux pendant les moments de retour réflexifs.
A mon avis, elles ne doivent pas être données avant. On risquerait de donner la réponse avant qu’ils se posent la question et avant qu’ils construisent eux-mêmes des réponses.

Les fiches des élèves utilisées ont été les suivantes :
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La démonstration pour les parents

CP : Tu as organisé une démonstration pour les parents. Est-ce très important pour toi ?

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PB : Oui ! Les parents ont été invités à venir à l’heure de l’EPS.
Le dispositif était le même que d’habitude.

Pendant 10 minutes, les élèves se sont entrainés à réussir de mieux en mieux les figures qu’ils voulaient. Ensuite, ils ont présenté oralement les ateliers par deux : « Notre atelier s’appelle … ce qui est difficile de faire ici, c’est … ; pour réussir il faut … »

Ils devaient choisir de présenter un atelier où ils se sentaient à l’aise . Ensuite, passage par demi-groupe pendant 4 minutes (sur une musique du Cirque du Soleil). Ils ont choisi de changer d’atelier en marchant sur la pointe des pieds en balançant légèrement les bras pour que ce soit « beau » (ils l’avaient découvert dans les vidéos présentées). Les élèves ont été très concentrés et les parents ont applaudi à tout rompre.

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Après ces 8 séances, les élèves, ravis, ont voulu continuer. Nous avons donc fait encore

8 séances, avec une évolution du dispositif.

Huit séances supplémentaires à la demande des élèves
PB : la situation a changé mais pas fondamentalement, on retrouve les mêmes problèmes gymniques, à un niveau plus élevé.
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  • Saut avec trampoline : faire une figure en l’air
  • Deux roulades enchainées (avant et/ou arrière)
  • Marcher, faire une figure, marcher d’une 2è manière + une figure en sortie de poutre
  • Se renverser sur les mains (face ou dos au mur)
  • Faire la roue (sur un simple tapis)

Nous avons travaillé de la même manière. Le trampoline a permis des envols plus grands, les figures sur la poutre sont devenues plus difficiles (demi-tour, saut…). Ils ont été très inventifs en tentant de reproduire ce qu’ils avaient vu sur les vidéos ! Les plus débrouillé.e.s ont fait un équilibre contre le mur (renversement dos au mur), le premier niveau de la roue est réussi par tous et environ la moitié des élèves ont réussi à arriver debout sur leurs pieds (voir fiche « La roue »). Cependant, pour un prochain module, je ne remettrais pas les deux ateliers roue et équilibre contre le mur dans un même dispositif parce que les critères de réalisation se ressemblent beaucoup et ont entrainé des confusions (mettre les mains devant/sur le côté). Je garderais l’équilibre contre le mur qui me semble plus porteur de transformation.

Une deuxième démonstration a eu lieu à la 15è séance pour Claire, comme unique spectatrice ! Un mois après la fin du module, je craignais que les élèves ne se souviennent pas bien des consignes. Eh bien, pas du tout ! ils se rappelaient le but du jeu, les critères de réussite et les critères de réalisation (excepté une confusion roue/équilibre). Ils ont été encore une fois très fièr.es de montrer leurs exploits… devant une spécialiste cette fois-ci !

Ce que nous retenons de cette expérience et de notre collaboration

Cette expérience était une deuxième collaboration entre nous. Une collaboration militante, sans aucune contrainte autre que celle d’expérimenter pour mieux faire réussir les élèves et partager nos connaissances. Pour Pascale, c’est la référence à la gymnastique, avec tout ce que ça apporte de connaissances à transmettre aux élèves qui est nouveau. Pour Claire, qui plaide pour une approche culturaliste de l’EPS dès la maternelle depuis de nombreuses années, c’est la confirmation que travailler sur les savoirs, et notamment sur la signification des activités physiques et sportives est un élément déterminant pour aider à enseigner l’EPS. C’est aussi l’occasion d’affiner ses propositions didactiques pour les rendre encore plus explicites. (Par exemple, pour l’action « sauter », la première fiche proposée mettait l’accent sur la figure pendant l’envol. Or, se centrer uniquement sur la forme de la figure a empêché Pascale de centrer ses élèves sur l’impulsion, qui elle, permet d’aller plus haut (et avoir le temps de faire une figure). La fiche a été modifiée pour être plus explicite et pertinente au plan didactique)

Les principaux enseignements que nous retenons de cette expérience sont les suivants :

  • Il est nécessaire de proposer une situation stable pendant plusieurs séances, cela permet des retours réflexifs efficaces ;
  • Les questionnements sont sources de propositions qui sont expérimentées à la séance suivante pour être validés ou modifiés ;
  • Aucun « exercice » au sens classique du terme (sous forme d’une autre situation) n’été proposé ;
  • Aucune façon de faire n’est imposée, les élèves expérimentent des « techniques » de gymnastique en fonction des observations et problèmes rencontrés et on en tire ensemble les enseignements ;
  • Contrairement à ce qu’on entend parfois, faire référence à des sports n’implique pas dressage ou technicisme en EPS, les techniques se construisent comme en arts ou en technologie ;
  • Le langage est essentiel à l’avancée dans les apprentissages en EPS. Corollaire de cela, sa mobilisation l’enrichit au fur et à mesure et met l’accent sur son utilité.

Nous voulons insister sur l’intérêt de travailler à deux (ou plus), dans la confiance mutuelle où chacun-e apprend de l’autre grâce à l’analyse de pratique et la critique constructive. Si cela vous fait envie, nous vous invitons participer au chantier « EPS en primaire » en écrivant à primaire@eps.mllevans.fr et/ou à rejoindre le GFEN qui théorise les pratiques d’auto-socio-construction des savoirs fondées sur le concept d’émancipation et le « tous capables ».

Annexes :

Les fiches par action gymnique :

  1. l’apprentissage s’il est celui d’individus relève d’une construction des savoirs menée avec les autres dans la confrontation des idées []