Asthme : Jouer sur l’intensité, la durée des exercices et leur environnement

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Claire de Bisschop est Maître de Conférences en STAPS où elle enseigne la physiologie. Elle a aussi enseigné l’EPS en établissement. Ses travaux de recherche en physiologie intéressent la fonction respiratoire et l’exercice. Elle revient ici sur la problématique de l’asthme induit par l’exercice (AIE), à laquelle elle avait consacré sa thèse. Elle avance des explications et fait des propositions favorisant la prise en charge des élèves souffrant d’asthme au sein d’une classe normale. Elle organise ses interventions en formation initiale et continue à partir de ces expériences.


Pour un prof d’EPS il est important d’avoir un minimum de connaissances sur l’asthme induit par l’exercice (AIE) et tous les facteurs qui vont pouvoir favoriser le bronchospasme.
Quand les conditions sont défavorables, il est nécessaire que l’enseignant puisse proposer une adaptation des pratiques physiques.

Du point de vue de l’exercice lui même, toutes les APSA ne sont pas équivalentes quant au risque de déclenchement d’une crise d’AIE. Celle ci est provoquée par l’hyperventilation qui entraine un refroidissement et un assèchement des bronches, stimulant les récepteurs de leurs parois. Les bronches réduisent leur calibre par contraction des fibres musculaires qui les entourent et c’est le bronchospasme. L’écoulement de l’air se fait ainsi moins facilement et entraine une gêne respiratoire.
Plus l’hyperventilation est importante plus il y a risque de bronchospasme car l’air qui est inhalé à température et à hygrométrie ambiante, par exemple une vingtaine de degré et une hygrométrie de 50%, arrive ensuite aux alvéoles, à 37° et à 100 % d’hygrométrie. Cela veut dire, dans ce cas, que les voies aériennes vont devoir donner 17° à l’air qui est inhalé et également l’humidifier.
Pour résumer, si on ventile au repos à 5-6 litres par minute, on aura une quantité d’air relativement faible à réchauffer et à humidifier, mais si on ventile à 80 litres par minute, ce sont les voies aériennes qui vont devoir donner toute cette chaleur et cette humidité et du coup se refroidir et s’assécher.

Le premier déterminant est donc l’exercice lui même et son intensité, mais l’environnement joue également un rôle important par les conditions atmosphériques puisque selon la température de l’air et l’hygrométrie, les risques seront plus ou moins importants. C’est le second déterminant.
Ensuite l’air peut être chargé de particules plus ou moins irritantes et allergisantes…

Une fois le processus décrit, comment s’y prend-on et est-on toujours confrontés aux « interdits médicaux » concernant la pratique physique pour les asthmatiques ?
En fait, quand on sédentarise un asthmatique et que son aptitude physique s’altère, son débit ventilatoire est augmenté pour une charge d’exercice donnée et ce même pour les faibles intensités ce qui va favoriser le déclenchement de la crise d’AIE.
Il faut donc gérer ce paradoxe : diminuer le risque d’AIE à moyen terme, en améliorant l’aptitude physique aérobie mais en prenant le risque de déclencher un bronchospasme lors de la pratique de l’exercice.
Faire pratiquer des exercices sans déclencher de bronchospasme exige des techniques et des précautions de départ.
On sait que certains environnements ou contextes sont défavorables : pics de pollution, activités à ventilation importante comme l’endurance par temps froid et sec, pollens au printemps, salles de sport à tapis poussiéreux etc… et aussi les piscines dont on a pensé que l’air chaud et humide était un contexte plutôt favorable alors que les chloramines présentes à la surface de l’eau sont irritantes et peuvent augmenter l’hyperréactivité bronchique pour les nageurs assidus .

Pour ce qui est des activités connues pour être asthmogènes, la course prolongée par exemple, quels moyens pour limiter le risque de déclenchement de crise ?
Ce sont les modalités d’exercice intermittentes. Quand on utilise ce type de modalité, pendant les périodes d’exercice, il se produit une augmentation de la ventilation qui est susceptible d’entraîner un refroidissement et un assèchement des muqueuses des voies aériennes, mais pendant les périodes de récupération , la ventilation diminue ce qui permet de réchauffer les voies aériennes et ce d’autant plus efficacement que l’on effectue une inspiration nasale.
Le nez est en quelque sorte le radiateur des voies aériennes supérieures mais à partir d’une certaine intensité d’exercice il devient obligatoire d’inspirer par la bouche pour faire face à la demande ventilatoire.
Dans les modalités d’exercices intermittents, il est possible d’utiliser un mode de récupération mi-active / mi-passive pour favoriser le contrôle de la respiration et préserver les bronches.
Il est également possible de jongler avec les intensités et les durées d’exercice et de récupération en fonction des aptitudes physiques des jeunes, de leur tolérance et de leur progression.
Par exemple : allonger les périodes d’exercice de 30sec à 45 sec, augmenter la distance à parcourir en un temps donné, diminuer le temps de récupération ou le rapport temps d’exercice/ temps de récupération ou encore augmenter le nombre de répétitions ou des séries etc…

A ces conditions donc, l’exercice physique est favorable …
Pas seulement, mais il est certains qu’en augmentant l’aptitude physique aérobie on limite le risque d’AIE. On connait aussi tout le bénéfice de l’exercice physique chez l’enfant sur tous les plans. Il y a longtemps d’ailleurs que les médecins ne dispensent plus les élèves asthmatiques d’EPS.
Du côté pharmacologique, les traitements ont aussi évolué et il existe des moyens maintenant de mieux contrôler l’asthme. Pour la pratique de l’exercice, des médicaments visant à protéger contre l’EIA peuvent aussi être pris de manière préventive ou seulement curative selon les cas et la fréquence des symptômes.

Pour revenir aux risques de l’exercice , on a tous les cas de figure en matière d’activités physiques. C’est le couple intensité-durée de l’exercice qui est déterminant par rapport au risque de déclenchement : plus une activité est intense plus elle va générer un débit ventilatoire important et donc augmenter le risque de crise, mais plus l’exercice est intense plus il est bref (ex : sprint) donc le risque de crise est plus limité.
En revanche, des activités moins intenses peuvent durer plus longtemps ce qui est défavorable. En fait, les activités qui sont les plus asthmogènes sont celles qui sont assez intenses et qui se prolongent plusieurs minutes, mais un footing maitrisé aussi peut être pratiqué sans risque. Tout cela n’est pas simple !

Pour les activités intermittentes, comme les sports collectifs où il y a des temps de récupération mais qui ne sont pas forcément contrôlés, les conditions environnementales vont être importantes : le FB l’hiver le soir, avec des périodes de courses un peu longues sera beaucoup plus à risque que le VB pratiqué à l’intérieur par exemple.
Ces activités sont finalement très différentes à la fois tant en ce qui concerne la sollicitation ventilatoire que de par l’environnement dans lequel elles se déroulent.

Des solutions à proposer ?
Oui, il est possible de limiter le risque de déclenchement d’un AIE en jouant sur les modalités d’échauffement.
Des exercices intermittents, en échauffement, présentent peu de risque de déclenchement de bronchospasme et peuvent protéger partiellement pour l’activité qui suit.
Les modalités d’échauffement que nous avons testées étaient constituées de périodes de course de 30 sec et de périodes de récupération de 1min 30sec mi-passive et mi- active. On sait également que lorsqu’un asthmatique déclenche un bronchospasme, à la suite, dans la majorité des cas, il entre dans une période réfractaire qui peut durer plusieurs heures, pendant laquelle il est protégé contre une nouvelle crise ou bien le bronchospasme est atténué.

Comment sont reçues vos interventions en formation initiale et continue ?
Quand les enseignants d’EPS comprennent les causes de la crise et les mécanismes de déclenchement de l’AIE, ils sont beaucoup moins angoissés à l’idée de prendre en charge des asthmatiques. Il en est de même des asthmatiques et de leur proches pour qui les crises d’asthme sont également très anxiogènes .
Les enseignants d’EPS sont très demandeurs de formation et nous avons du dédoubler certaines sessions il y a quelques années. Les étudiants aussi y sont particulièrement attentifs.
La difficulté d’adaptation des contenus d’enseignement afin de tenir compte des asthmatiques est souvent liée aux effectifs importants de certaines classes, dans ce cas le travail intermittent peut être utilisé pour l’ensemble du groupe. Cette modalité est d’ailleurs largement utilisée dans l’entraînement habituel en athlétisme.
Par ailleurs, il faut souligner que les enseignants d’EPS qui connaissent bien leurs élèves sont en mesure d’anticiper un certains nombre de problèmes liés à l’asthme, en renseignant bien les fiches de début d’année.

Quelles sont les rapports entre les filières en Staps (APAS/ EM) pour gérer ce type de problème ? Concurrence ou complémentarité ?
Les débats sont inévitables et nécessaires pour une organisation évolutive et optimisée des formations. Pour ce qui me concerne, je considère qu’il faut faire en sorte que les étudiants relevant de la filière éducation et motricité, et pas seulement de la filière APAS, puissent bénéficier d’une vraie formation initiale sur ces questions et qu’elle doit être poursuivie en formation continue.

Entretien réalisé par Jean-Pierre Lepoix et paru dans Contrepied HS N°16 – L’EPS est santé