La formation de joueurs de handball – ou la conquête de la complexité

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Notre collectif vient de « fêter » 25 ans de réflexions consacrées à la formation de jeunes choisissant l’activité handball. De nombreuses productions, sous des formes très différentes (ouvrages, articles, DVD), jalonnent ce parcours et tentent de faire s’approprier, par les formateurs, des visées de formation mais également un certain nombre d’options et propositions didactiques conçues en cohérence.

Ces visées (voir Portes) sont fondées sur nos conceptions de l’activité handball et de «l’activité adaptative» requise chez un joueur confronté à ce contexte singulier, puis traduites en propositions cohérentes constituant une axiologie de formation.

Conception du Handball et de l’activité adaptative – premier type de réflexions possible.

Le handball, pour nous, est un objet culturel évolutif, du fait des interactions réciproques (elles-mêmes évolutives) entre attaque et défense. Cette « dialectique » attaque/défense peut assez bien être représentée par le système [[« SPORTS-CO » en milieu scolaire », des stages Amicale au nouveau bac. Equipe d’animation des Rencontres de Montpellier, 1984.]]
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L’adaptation, dans ce contexte, suppose en permanence le déclenchement, chez les joueurs, d’une « activité tactique» mais également « d’une activité technique» (voir : F. Rongeot).

Ces deux activités, nous les considérons comme indissociables.

L’activité technique en handball est semblable à toute activité technique humaine, elle répond momentanément à un problème identifié. Le produit de cette activité est retenu s’il présente des caractéristiques de fiabilité et d’efficacité reconnues. Il est lié au problème qui lui a donné du sens. Cette conception de la technique influence radicalement notre présentation d’outils techniques au joueur.

L’activité adaptative du joueur, en jeu, ne peut donc se réduire aux comportements observables, produits des interactions. Elle suppose une analyse approfondie, bien qu’hypothétique, des activités internes responsables de ce qui s’observe. Convaincus de cette nécessité, nous avons proposé d’analyser les prestations des joueurs, engagés dans les interactions avec leur adversaire, à partir d’un petit nombre restreint de conduites typiques appelées « modes de jeu » (document 1).

Lors d’un duel, le mode de jeu choisi par le joueur apporte des informations sur ses possibilités actuelles s’agissant de prises d’information, de connaissances et de savoir-faire. La présentation des modes retenue, par statuts inter-agissants (porteur de balle/partenaire du porteur- adversaire direct du porteur de balle/adversaire éloignée- tireur/gardien), nous paraît en cohérence avec la conception dialectique du handball telle que présentée ci-dessus. Pour notre collectif, la formation en handball, ne peut donc se résumer à la présentation « externe » d’outils tactiques ou techniques organisés en programme d’apprentissage (passes, tirs et autres formes de un contre un). Nous visons au contraire l’auto-construction «assistée» du joueur par mise en jeu de son activité adaptative, elle-même complexe, articulant intimement activité tactique et technique.

Le schéma ci-dessous permet d’envisager l’ensemble, provisoire, des éléments en interaction influençant notre dossier.

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Nous nous proposons de développer les divers éléments constitutifs de ce « système de formation ». Le lecteur devra, cependant, toujours avoir à l’esprit que ces éléments sont interactifs. Ce sont bien les relations entre ces cadres de réflexion qui génèrent nos contenus.

Conception du handball et activité adaptative requise – Second type de réflexions possible.

L’analyse en terme dialectique du rapport de forces présentée plus haut ainsi que l’importance des activités internes responsables des comportements des joueurs doivent se compléter de réflexions renforçant l’importance du « décisionnel ».

Le handball propose, en effet, de ce point de vue, un environnement mouvant, changeant, contradictoirement caractérisé par la « stabilité/instabilité » [[PORTES (M) « la formation initiale des joueurs et joueuses en question »]] :

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Le système de règles et ces diverses initiatives imposent aux joueurs de

– s’adapter dans trois grands contextes (voir : M. Portes) en tentant d’assurer une dominance sur le rapport de forces adverse. Cette dominance peut être recherchée collectivement ou individuellement mais sans que les initiatives prises ne compromettent la cohérence collective.

– de transformer l’environnement à leur avantage en « réduisant leurs incertitudes » et en « produisant des facteurs d’incertitude » sur leur(s) adversaire(s).

Dans ce contexte, le joueur pour être dominant dans le rapport de force doit « augmenter les plages de temps » au cours duquel il « anticipe » par rapport à celles où il ne peut que « réagir ». Il doit déployer, pour cela, une « activité de lecture : processus d’attribution de sens à des indices organisés en système par le joueur lui-même et non comme simple et passive prise d’informations » afin de prédire l’évolution probable des situations, de choisir parmi des possibles. Il doit, simultanément, concrétiser ce choix par une modalité technique efficace prenant la forme d’un outil tactique ou technique.

Un exemple pour concrétiser nos propos : Le partenaire du porteur de balle, pour enrichir le « réseau d’échanges, ne peut se contenter de regarder le ballon mais doit mettre en relation des indices sur le duel opposant le porteur à son vis-à-vis : distance de combat, crédit d’action ainsi que des indices sur l’espace offensif/défensif, indices également sur son propre duel avec son vis à vis. Cette activité de lecture doit lui permettre d’anticiper l’évolution possible de ces duels et de décider de jouer un rôle d’appui, de soutien, de fonctionner suivant un mode relayeur ou libérateur.

Il devra produire une modalité technique lui permettant d’être efficace dans ses choix, par exemple : un trajet variable en orientation et moment de déclenchement ; formes possibles de ce trajet ; changement éventuellement de secteur ; bloc ou écran.

Conception de la formation du joueur et conception du progrès.

Cette problématique nous a conduits à concevoir une entrée dans la formation par le « perceptivo- décisionnel ». Le schéma, ci-dessous, représente une synthèse de nos réflexions actuelles sur cette entrée.

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Transformation de l’activité de lecture.

Nous visons, en permanence, la transformation de l’activité de lecture du joueur, telle que nous l’avons définie. Chaque situation de formation doit être l’occasion de solliciter et d’optimiser un processus de mise en relation d’indices par le joueur afin de lui permettre la prédiction de l’évolution probable des interactions [[ESPOSITO (M) « accéder à la qualité de « lecture » des situations » in approches du handball 132,2012]] . Le passage de la seule prise en compte « d’objets » matériels (ballon, lignes but) à la prise en compte d’autres objets (moins matériels) : couloir de jeu direct, crédit d’action du porteur de balle, réseau des échanges possibles, espaces offensifs et défensifs est au centre de notre formation (ex 1 de situations).

La formation doit « assister » le joueur dans la recherche de prise en compte de l’état actuel de ces objets mais surtout dans la recherche de la prédiction de l’évolution possible de leur état.

Conception des compétences spécifiques en handball.

La lecture pertinente de l’évolution possible des objets n’est pas une fin en soi, le joueur devant opérer des choix parmi des modalités techniques efficaces concrétisant son intention, susceptibles par exemple selon leurs statuts :

  • d’enrichir ou de perturber un réseau d’échange,
  • d’exploiter ou d’interdire un couloir de jeu direct,
  • de produire des trajectoires mettant hors de portée un gardien ou d’interdire certains pans de la cible.
    Pour cela, la formation prévoit la construction progressive de compétences spécifiques et efficaces. Des compétences ont, ainsi, été définies, en petit nombre (document 2) statut par statut, dans les trois types d’affrontement. La conquête d’une compétence individuelle (efficacité) doit se comprendre, également et simultanément du point de vue tactique (opportunément) et du point de vue de la cohérence collective (participe à …)

Système Effet(s)-Objet(s)-Outil(s)

Rechercher, le plus souvent possible chez le joueur un fonctionnement lui permettant d’obtenir un effet sur un objet en recourant à des outil(s)disponibles est en cohérence avec la nécessité de prises d’initiatives et de création d’incertitude sur le rapport de forces adverse. Un défenseur éloigné (partenaire du défenseur proche du porteur de balle adverse) peut, par exemple, décider de réduire les possibilités d’échanges du porteur et augmenter les chances de récupération de (effet) en perturbant le réseau d’échanges (objet) par un déplacement le rapprochant du réceptionneur potentiel (outil).

Ce fonctionnement nous paraît, d’ailleurs transversal, et devrait être « sollicité » tout au long de la formation et chez le champion [[ESPOSITO (M) « réflexions préalables » in approches du handball 97, 2007 et Brest 2006 in approches du handball 95, 2006]]

Les compétences, telles que définies ci-dessus, doivent être mobilisées en jeu en cohérence avec des effets à obtenir sur le rapport de forces (lors de tel ou tel affrontement). Cette orientation forte de la formation renforce ainsi encore notre postulat d’une relation indissociable entre « tactique et technique ».

La recherche de la sollicitation permanente de ce système, doit présider à la conception de chaque situation (exemple 2 situations). L’enjeu est pour nous important. Il s’agit de viser: l’autonomie décisionnelle (initiative), la prédiction (un effet à produire, n’est pas une réalité actuelle mais un futur proche), la signification des apprentissages techniques (l’outil tactique ou technique est intimement lié à un ou des effets à produire envisagé par le joueur ; ces outils ne peuvent donc être présentés comme solution externe par un formateur mais, ainsi rendus signifiants ; leur amélioration, leur affinement, rencontrera l’adhésion active du joueur) et, enfin, la «cohérence collective» (les partenaires « reconnaissant » la recherche d’un effet, par un porteur de balle, par exemple, pourront faire « fructifier » dans le même sens cette initiative prise et ou l’exploiter ; ils pourront également décider de l’interrompre et de reprendre à leur compte une nouvelle initiative)

Notre conception du progrès.

La nature des problèmes rencontrés, du débutant au champion, ne varie pas. Par contre le niveau des contraintes rencontrées change. Nous envisageons donc une « progression en spirale » (continuité/rupture).

Dans le « gagne-terrain », le partenaire du porteur de balle contribuant opportunément et de façon coordonnée à la progression du ballon vers la cible (compétence) en se déplaçant en appui (outil) pourra, dans un premier temps, réinvestir ce mode de manifestation de sa compétence lorsque la densité augmentera et que l’échange devra se faire dans un espace plus restreint. Mais la résistance du rapport de forces le conduira à construire de nouveaux outils (écran, bloc par exemple).

La même compétence s’exprimera ainsi à des niveaux qualitatifs différents selon les acquisitions du joueur et du rapport de forces. Par contre les modes de jeu choisis sont différents dans un cas « relayeur », « libérateur » dans l’autre.

C’est toute l’activité adaptative qui doit, donc être « réorganisée » suivant ce modèle en spirale en vue de l’adaptation à l’évolution des contraintes (réinvestissement d’acquis/nouvelles acquisitions) :

  • Le fonctionnement perceptivo-décisionnel est inchangé mais doivent être requises une vitesse accrue de l’activité de lecture et des pertinences de plus en plus grandes des prédictions
  • Les compétences restent inchangées mais leurs manifestations devront se faire à des niveaux supérieurs (voir : M. Portes)
  • Les effets à produire, dans les divers affrontements, ne varient pas fondamentalement mais les outils tactiques et techniques, eux, seront évolutifs (6).
  • La conquête de l’adaptation passe donc pour nous par la possibilité offerte aux joueurs de réinvestir » des compétences, des outils ayant déjà démontré leur efficacité pour atteindre certains effets puis leur possibilité d’activité technique avec invention de nouveaux outils en cas de « résistance » et donc de manifestation de niveaux supérieurs de compétences.

Conception des situations

Les situations doivent « déclencher l’activité adaptative singulière de handballeur », viser l’autonomie décisionnelle et être en cohérence avec la conception d’une progression en spirale des acquisitions. La pertinence des situations peut donc être évaluée grâce à un « argumentaire » explicitant les choix des formateurs. Quelques éléments de cet argumentaire sont présentés ci-dessous et sont illustrés par les exemples de situations proposées.

Les formateurs concevront, à partir d’observations initiales (modes de jeu « actuels »), une visée de transformation exigeant une réorganisation partielle ou totale de la conduite. Seront exprimés : le ou les modes de jeu cible, les conséquences sur l’activité de lecture (nouveaux indices à prendre en compte), les manifestations d’un niveau supérieur de telle(s) ou telle(s) compétence(s), la participation de ce(s) compétence(s) à l’atteinte de tel(s) ou tel(s) effet(s) par recours à tel(s) ou tel(s) outil(s) agissant sur tel(s) ou tel(s) objet(s).

Ces préalables argumentés, les situations de «résolution de problème(s)» respecteront un certain nombre de critères : des choix seront offerts aux joueurs parmi des possibles (sollicitation de l’activité tactique) ; des couples pourront interagir dans tous les types d’affrontement (voir Portes).

Une véritable résolution de problème par le joueur sera conçue afin de lui permettre de réussir ou de réussir autrement.

Cette activité de résolution prendra la forme d’un guidage assisté avec :

  • une régulation matérielle en jouant par exemple sur les contraintes de la situation : la densité, l’emplacement d’un plot.
  • une régulation « cognitive » au cours de laquelle il s’agit de déclencher des verbalisations sur l’action soit individuellement soit collectivement (recours à l’interaction sociale). Le but de cette régulation est de permettre de nouvelles confrontations au problème avec une stratégie, un plan d’action individuel ou collectif différent à tester. Le formateur n’apporte pas de solution mais alimente la verbalisation [[ESPOSITO (M), FLAMENT (R) « Régulation et activité adaptative du joueur, de la joueuse de handball » in approches du handball 61, 2001]]
  • L’alternance de processus différents d’apprentissagesera également prévue afin de respecter la nécessaire activité propre du joueur dans la conquête de son adaptation. Les situations proposées illustrent ces processus: adaptation autonome au problème posé, assistance guidée (régulation), moments d’autonomie au cours desquels le joueur peut agir sur le dispositif (sécurité contrôlée par le formateur) et tenter, par des défis » de faire basculer la dominance à son avantage. Parvenir, par exemple, à prendre de vitesse un gardien par un défi suppose que le joueur ait compris quelques conditions de réussite dans le duel tireur/gardien.

Un article signé Max Esposito à retrouver dans Contrepied HS n°6 – HandBall