Entretien avec M. C. Barrand, proviseur du Lycée Turgot à Paris 3é, réalisé par Jean-Pierre Lepoix
Quand David Bérillon est venu vous présenter son projet, que vous avez soutenu, qu’est-ce qui vous a convaincu ?
Le projet de David Bérillon s’est inscrit dans la poursuite d’un travail que nous avions entrepris sur le Lycée Turgot pour relancer cet établissement peu apprécié sur Paris et dans lequel existait une mixité sociale et scolaire réelle. Ce lycée comprend une classe préparatoire, la meilleure de France dans son domaine, et on comprend que d’emblée certains jeunes qui arrivent ici depuis leur banlieue puissent se sentir déstabilisés. En fait, dans les classes du lycée, la rupture sociale est moins nette.
L’idée était donc de rendre ce lycée plus attractif, par un allègement des effectifs par classe en seconde et des études encadrées en fin d’après-midi, afin de rassurer les familles quant aux conditions d’étude de leurs enfants.
Du côté EPS, David Bérillon animait une option EPS au bac, danse-hip-hop, et sa question était d’avoir plus de moyens pour aller plus loin avec son AS qui marchait bien, avec des élèves doués qui le méritaient. Il fallait donc des moyens horaires pour augmenter le nombre d’heures d’encadrement des élèves, ce qui nous a amenés à avoir un échange sur chacun de nos objectifs :
Lui, concernant l’EPS et la danse avec cette dimension sportive et artistique, moi engagé pour la réussite des élèves par la mixité scolaire, parce que je suis convaincu que notre société ne sortira des ornières actuelles que si on joue pleinement la carte de la mixité scolaire, de la tolérance et de l’enrichissement culturel. C’est notre mission de service public.
On s’est donc mis d’accord sur un projet qui s’appelait : classe ambition scolaire-danse.
Mon objectif étant de faire rentrer les jeunes avec leurs origines et leurs trajectoires, dans la société telle qu’elle est, mais avec les outils pour faire face à la compétition de la vie, et dans un système scolaire qui n’est pas toujours accueillant pour la diversité.
Il fallait passer un accord sur ce paramètre d’ambition scolaire qui est le pendant d’une ambition concernant la danse et le sport. Et on explique d’emblée : pas de résultats scolaires pas de danse, avec la volonté d’amener chaque élève à son niveau d’excellence. On a joué ensemble sur ce terrain-là et je dois dire qu’on a gagné, puisque les jeunes nous ont renvoyé exactement ce qu’on a essayé de leur donner : l’exigence qu’ils avaient eux-mêmes vis-à-vis du sport et de la danse pouvait être mise, aussi, au service des résultats scolaires et déboucher sur la réussite. Quand David dit à ses élèves, danser pour danser ne nous intéresse pas mais penser pour mieux danser, de mon côté je leur dis que nous aurons réussi quand vous serez capable d’écrire votre chorégraphie.
On a joué l’un avec l’autre ! On voulait leur donner l’ambition d’aller le plus haut possible, valoriser les plus belles qualités humaines, travailler leurs capacités et les concrétiser aussi sur le plan scolaire, pour déboucher sur une formation leur permettant de construire leur vie de façon éclairée et d’avoir une relation apaisée avec l’école. Pour cela le sport, la danse sont une des clefs si on tient compte de l’histoire de ces jeunes et qu’on est capable d’accepter cette culture qui nous vient de la rue. Chacun dans notre responsabilité spécifique, nous avons accompli notre mission de service public.
Avec le recul, que tirez-vous comme enseignement de cette expérience ?
C’est le produit de mon expérience professionnelle : j’ai très rarement été trahi par les jeunes ! A partir du moment où vous leur faites confiance, que vous leur donnez de l’ambition, que vous leur dites d’être exigeants avec eux-mêmes, sans leur mentir, tout en restant disponibles, bienveillants, ils jouent le jeu. Quand on se revoit, il y a un respect mutuel. On n’est pas de la même génération mais ce n’est pas un obstacle : mon exigence en contrepartie de ma disponibilité et de ma bienveillance.
Quelque chose que vous retenez particulièrement ?
Il y a quelque chose qui m’a marqué et qui est très spécifique à cette danse hip-hop, au battle, c’est aussi ce que j’avais retrouvé quand j’étais instituteur et que je faisais de l’Ultimate à l’école. C’est une confrontation sans contact, il y a une opposition mais sans violence, il y a surtout un respect permanent. Ce qui m’a toujours surpris c’est qu’après chaque battle, chaque chorégraphie, il y a toujours des applaudissements, du respect et de l’admiration. Les élèves viennent les uns vers les autres pour essayer de comprendre, de partager, avec le respect y compris du meilleur que soi, avant, pendant et après la confrontation. Sans doute parce que c’est artistique, que c’est aussi du sport, on a là quelque chose de très enrichissant sur la socialisation et la présentation très diverse des cultures. J’ai franchement été bluffé par le comportement de ces jeunes dans cette activité.
Il y a enfin quelque chose de formidable dans le battle, c’est l’égalité parfaite garçons-filles. La fille peut mener la confrontation aussi bien qu’un garçon, ce peut même être la fille qui mène l’ensemble de l’équipe tout en se confrontant à un garçon qui mènera l’équipe adverse. C’est une mixité acceptée, revendiquée et respectueuse puisqu’une fille peut faire gagner le battle. Et c’est d’autant plus fort que ça provient d’un milieu traditionnellement considéré comme porteur d’un machisme dominant, voire sans partage.
En tant que proviseur, vous êtes président de l’AS. Tous ne sont pas investis comme vous, comment promouvoir une meilleure dynamique de cette fonction ?
Un chef d’établissement s’appuie d’abord sur ses enseignants, à Turgot j’ai eu la chance d’avoir 3 enseignants d’EPS investis, dont deux de façon particulièrement forte, notamment sur l’AS, et capables de prendre en compte mes contraintes, ce qui m’a permis d’être sensible aux leurs. L’AS dans un tel établissement ne peut constituer la préoccupation centrale, mais là j’étais en présence de deux enseignants extraordinaires, à l’écoute de mes obligations et ils m’ont beaucoup aidé à prendre ma place dans leur AS, en préparant les dossiers notamment. Ce n’était pas seulement une demande d’aide, on a travaillé en équipe. Ce sont des profs qui m’ont aidé à mieux appréhender les activités sportives et la nature de l’AS. Au-delà de nos accords sur l’essentiel, nous avions aussi des débats, par exemple sur les sports collectifs qui, à mon sens, n’étaient pas assez représentés, j’aimais bien aussi l’escalade pour laquelle nous avons aménagé un mur d’escalade. Il y a donc beaucoup de spécificités qui expliquent, pour l’essentiel, l’investissement que nous allons consentir ou non pour l’AS.