Cet ouvrage est un travail très documenté à l’allure d’un compte-rendu de recherche dont la thèse principale pourrait se résumer par : « Le travail gratuit comme la forme moderne insidieuse du néo-libéralisme économique. Le titre interrogatif masque mal l’option dénonciatrice de l’auteur (e).
Précautions : il ne faudrait pas, par ignorance uniquement, réduire le travail gratuit au travail domestique et de ce fait, en faire une question de femme. Le travail gratuit se niche partout et il tend à se généraliser.
En 2010 il représente entre 33% et 71% du PIB en fonction de la méthode d’investigation retenue. Il est effectué par les femmes à 64 %. Ainsi le travail domestique représente-t-il 48 milliards d’heures contre 41 milliards pour le travail professionnel. Il prend des formes multiples et s’intègre dans les rapports sociaux capitalistes.
L’importance du sujet est souligné par le nombre de publications (livres ou articles) qui traitent du travail gratuit, du travail bénévole, du travail invisible, du travail domestique,
Le travail para- professionnel,… chacune d’elles prenant le sujet sous un angle particulier : difficulté de circonscrire et définir sa nature de travail – dénonciation de l’exploitation sous le fallacieux prétexte de sa valeur citoyenne – dénonciation du patriarcat dans l’attribution du travail gratuit ou rémunéré.
L’ambition de cet ouvrage est d’analyser les différentes formes de travail gratuit qui nous interpellent aujourd’hui en plus des tâches ménagères et du travail domestique : bénévolat associatif, service civique des jeunes, travail non rémunéré sur internet, travail obligatoire pour les allocataires de l’aide sociale … pour chercher leur principe commun en repartant des grandes leçons de l’analyse féministe du travail domestique .
Les débats autour du travail gratuit tourne autour de la définition du travail gratuit (activité non rémunérée, activité invisible, activité non reconnue ; faut-il toujours parler de travail) ; autour de sa fonction sociale et économique intégré au processus d’exploitation capitaliste. De ces débats des questions qui sont soulevées se dégagent des éléments centraux de compréhension et d’analyse du travail domestique :
Leçon 1 : La première leçon a trait à la valeur du travail domestique. Le travail domestique est bien plus qu’un travail sans rémunération, c’est un déni de travail, une non reconnaissance comme travailleuse au nom d’une reconnaissance comme femme, mère, épouse. Le travail gratuit, celui qui a préoccupé les féministes, est tout à la fois gratuit et invisible comme travail parce que visible comme amour. La notion de travail gratuit telle qu’elle se dégage de cette perspective féministe est donc une appropriation comme travail d’une activité qui n’est pas vécue comme telle parce qu’elle est exercée au nom de l’amour, au nom de là générosité et de la citoyenneté.
Leçon 2 : Toutes les formes d’exploitation ne passent pas par le marché. Elles ne se mesurent pas toutes par le profit monétaire. Elles ne se conçoivent pas toutes comme une différence comme une soustraction ; elles ne se mesurent pas toutes par le profit monétaire.
Leçon 3 : Les travaux féministes sur le travail domestique mettent en lumière combien le travail gratuit est pris dans des rapports sociaux, de sexe bien sûr mais aussi de classe et de race.. Il l’est à la fois dans les processus d’assignation (le travail gratuit est principalement assigné aux femmes et dans ses usages sociaux ) il n’a pas le même sens pour les femmes blanches des classes moyennes et les femmes racisées des classes populaire..
L’ouvrage de Maud Simonet est intéressant pour le soin qu’il prend à montrer comment s’articule le travail gratuit et le libéralisme capitaliste ; comment sous le prétexte de citoyenneté éthique, le travail gratuit est proposé aux jaunes particulièrement ; comment il trouve sa place dans le marché du travail intégré au processus d’invisibilisation, de gratuitisation, et de déréglementation du travail public.
« On travaille gratuitement certes par passion mais aussi de plus en plus, en vue de cet emploi futur sur lequel ce travail futur pourrait déboucher. »
Le système en arrive à faire payer le demandeur d’emploi pour qu’il obtienne un travail pour lequel il ne sera pas rémunéré. Le comble de l’exploitation !
En conclusion, deux scénarios sont proposés : le premier résumé par la formule : « dissoudre le travail gratuit dans le salariat » (Les luttes pour faire reconnaître l’activité comme travail et bénéficier de la protection légale) s’inscrivent dans cette perspective ; le second résumé par la formule : » dissoudre le salariat dans le travail gratuit « (l’idée du revenu universel appelé aussi revenu de base s’inscrit dans cette perspective.). Scénarios discutés aussitôt formulés. Ce qui fait de ce livre une invitation à poursuivre la réflexion. Dernière phrase du livre : « La seule chose que l’on puisse souhaiter, c’est faire en sorte que personne ne travaille gratuitement pour quelqu’un d’autre. »