Les enjeux de l’EPS à la lumière des APPN

Temps de lecture : 9 mn.

Les sigles ont parfois une vie propre… et plusieurs sens. Ce qui est étonnant c’est l’impression, entre professionnels, que lorsqu’on utilise celui d’APPN, on sait de quoi on parle. Pourtant dès que l’on discute plus de cinq minutes, on s’aperçoit qu’il n’en est rien. Non seulement on ne parle pas forcément de la même chose, mais en plus on n’est pas d’accord. Les textes officiels, IO, programmes, textes régissant la certification… devraient avoir comme fonction de clarifier certaines ambigüités. Christian Couturier pense que bien souvent, ils répondent à des questions que la profession ne se pose pas, et ne répondent pas à celles qu’elle se pose.

Les textes officiels : la tentation des « domaines ».

Tous les textes officiels passent par une définition des activités dites de références. Leur écriture dans les IO ou programmes témoignent de l’intérêt que la société leur accorde, mais également des préoccupations du législateur quand aux orientations à donner à l’enseignement. Qu’en est-il des APPN ?

Les propositions de programmes actuelles, en particulier ceux de collège, s’attachent à définir les compétences attendues dans des spécialités précises. Même s’ils sont rappelés dans la programmation, les « groupements d’activités », terme consacré en 1996, n’ont plus de statut véritable. Ils sont ainsi une survivance des précédents textes. Mais on y retrouve : « les activités physiques de pleine nature ou en reproduisant les conditions ». Officiellement donc, le groupe change de dénomination et introduit une nouveauté : « ou en reproduisant les conditions ».
Ce simple ajout permet formellement d’englober l’escalade en SAE et la course d’orientation en milieu urbain (parc…). L’occasion de cette réflexion sur les APPN, et sans entrer dans les détails, montre toute l’ambiguïté des perspectives de l’institution sur la question des APSA et leur mode de regroupement.

Il s’agit rarement d’une analyse sérieuse sur la culture physique et sportive et d’un regard anthropologique pour en tirer ce qui a fait sens pour l’homme, mais plutôt d’un bricolage dont on ignore parfois l’intérêt.

C’est quoi en effet reproduire les conditions de la pleine nature ? Si l’on prend comme exemple l’escalade en intérieur, on ne reproduit ni le vent, ni l’eau, ni le froid… on reproduit quoi alors de la « pleine nature » : les prises ?

Autrement dit, ce qui constitue un des repères des APPN (dans les documents institutionnels et didactiques), à savoir le milieu varié, changeant et incertain, est passablement malmené.

Rajoutons à cela la préoccupation sécuritaire, et l’euphémisation de la pleine nature risque de tourner à l’usurpation d’identité. Dans ce qui est attendu, on peut voir que l’institution a tranché sur ce que l’on continue d’appeler « la logique interne ».

À titre d’exemple : Escalade niveau 1, Choisir et conduire un déplacement pour grimper, en moulinette, deux voies différentes à son meilleur niveau en privilégiant l’action des membres inférieurs. Assurer un partenaire en toute sécurité. C’est donc la notion de déplacement qui est retenue, couplée avec celle de sécurité.

Est-ce vraiment ce qui caractérise le mieux les APPN (nous continuons d’utiliser ce sigle par commodité) ? Au spécialiste de répondre mais, il est légitime de se demander si ce qui caractérise la pleine nature trouve ici un prolongement scolaire.

La spécificité des nouvelles propositions de programme est d’une certaine manière de renouer avec le principe des IO de 67, à savoir un couplage des activités, groupes ou familles avec un groupe d’objectifs, domaine ou compétences.

Les APPN font partie de la compétence : se déplacer en s’adaptant à des environnements variés et incertains. Dont la particularité est d’ailleurs de se résumer à ce groupe, contrairement aux autres compétences.

Quelques retours en arrière

En 1945, puis en 59, le terme utilisé est celui de « plein air ». Il s’agit d’un type de séance qui comme son nom l’indique doit se passer dehors. Mais il y déjà un regroupement d’activités : « C’est au cours du plein air que trouveront place l’entraînement sportif et les rencontres sportives (notamment les rencontres interclasses) », mais aussi : « C’est encore au cours du plein air que seront pratiqués, chaque fois que ce sera possible, la natation, les sports nautiques, le ski, les sports de montagne… et que sera organisé le contrôle des résultats (examens trimestriels, brevets divers, notamment BSP etc.). »

La circulaire en donne aussi le fondement ou le sens éducatif : « Partant de ce « massif central » d’activités physiques et sportives s’offrent enfin la liberté des contacts avec la pleine nature, la recherche du dépaysement, la découverte du milieu, les grands jeux scouts, etc. C’est là, notamment que naissent et se développent chez les élèves des goûts et des intérêts profonds, souvent durables, et de nature à soutenir jusqu’à la vieillesse de bonnes habitudes de vie physique. »

C’est donc le type de « leçon » et le fait qu’elle se passe dehors qui sert de lien. Et toutes les APS se déroulant à l’extérieur offrent ainsi un contact avec la pleine nature !

En 67 on change de registre et on crée le couplage (que l’on voit revivre aujourd’hui) d’un objectif (appelé maintenant compétence) avec des APS ou un groupe d’APS : « 1° maîtrise du milieu (…)

b) la confrontation avec des obstacles naturels : elle permet de mettre les jeunes dans une situation qui exige une adaptation libre et spontanée ; à cette occasion, il convient de solliciter et d’améliorer les grandes fonctions (circulation, respiration, élimination) en exigeant des élèves une somme de travail correspondant à leurs possibilités ;

c) les activités de pleine nature pratiquées ou non sous forme sportive répondent aussi à cette première finalité; les randonnées, les parcours de toutes sortes, l’escalade, le nautisme, l’aviron, le ski, le patinage peuvent intéresser les jeunes et faciliter leur adaptation au milieu ;

C’est désormais « le milieu » qui organise, sans que l’on sache très bien ce qu’il signifie. On se doute qu’il s’agit d’un milieu « naturel ». Mais on ne trouvera aucune définition ni de la notion de maîtrise, ni bien-sûr ce qu’il convient de maîtriser : nous avons seulement les « APN ».

En 86, les instructions sont très lapidaires. Elles consacrent le groupe APN : « 1. Activités de pleine nature Les activités abordées au collège seront poursuivies selon les possibilités locales (ski, course d’orientation, escalade, varappe, nautisme, randonnées…). Des difficultés plus grandes seront graduellement introduites donnant chaque fois l’occasion de renforcer les mesures de coopération nécessaires à la sécurité des pratiquants ».

Toujours très peu d’indications, mais apparaissent la coopération et la sécurité. Mais c’est à l’intérieur du groupe que commencent à se décrire les objectifs.
Les APS commencent à intégrer dans leur définition les éléments devant leur donner sens. Puis en 96, curiosité non expliquée à ce jour, on passe du sigle APN, à celui d’APPN. Pourquoi le rajout du P de physique ? Par peur d’activités de pleine nature non physiques ?

Dans les programmes pour les lycées (Gilles Klein est le président du groupe d’experts), en 2000, on observe le refus des groupes du collège comme mode de classification, et la prise en compte, activité par activité, des compétences attendues, concrètes. Le groupe APPN n’existe plus officiellement. Pourtant c’est la circulaire sur le bac, un peu plus tard (pilotée par A. Hébrard) qui ré- accouple objectifs et activités. C’est donc une re-création du groupe APPN, mais qui s’appelle maintenant : « adapter ses déplacements à des environnements multiples, variés, nouveaux » ! Et qui comprend course d’orientation, escalade, sauvetage.

Au bout du compte, mis à part l’épisode des programmes lycée, on est toujours dans la logique des principes de 67 : on est simplement passé de « maitrise du milieu » à « adapter ses déplacements à l’environnement ».

Finalement les textes officiels n’aident guère les enseignants à la compréhension des activités qu’ils auront à enseigner. À l’issu de ce rapide survol on peut se poser la question : que reste-t-il de la « pleine nature » dans les programmes ? Pas grand-chose. Y a-t-il eu un renouveau de la prise en compte de ces activités dans les programmations ? Pas vraiment non plus, essentiellement d’ailleurs à cause des problèmes d’équipement et d’accès aux sites. Ayant été présent depuis 95 à toutes les opérations « programmes » au titre du SNEP, j’ai pu me rendre compte à quel point l’implicite est trop souvent le moteur des productions textuelles. Partant de là, je livre quelque hypothèse sur la place des APPN en EPS.

Valeurs et idéologie.

Je formule l’hypothèse que les APPN ont un rapport paradoxal à l’EPS.
D’une certaine manière elles sont constitutives de la discipline et même des sports qui peuvent être considérés comme une « déréalisation » du plein air. Après tout l’athlétisme, et plus encore la natation sportive, ont d’abord été une « maitrise » du milieu et des obstacles naturel.

Les IO de 45 et 59 sont assez parlantes, l’EPS est constituée de deux parties, une partie « construite » et une partie en plein air, voire en pleine nature. Ces leçons étant un prolongement ou une ouverture de la leçon d’intérieur. Mais étonnement leur légitimation tend à s’inscrire dans une alternative culturelle à la dominante sportive de l’EPS. Ce qui n’est jamais explicitement mentionné par le législateur, bien que revendiqué par les promoteurs de ces activités.

Les APPN sont à ce propos dans le même cas de figure que la danse ou l’expression corporelle à une époque, que les activités dites nouvelles à une autre, et aujourd’hui que les activités dites d’entretien et développement personnel. Les auteurs ne se cachent d’ailleurs pas de cette approche idéologique. La naissance du courant « expression corporelle » affichait clairement son orientation anti-sport. Les activités « d’entretien » qui font l’objet un intérêt récent, jouent la même partition, mais de façon plus soft (Tribabat : revue Hyper n°222).

De la même façon les APPN ont été soutenues par la promotion d’une culture alternative (dont la glisse a été emblématique dans les années 90), une culture non sportive ou plutôt a-sportive. On peut comprendre ces propositions d’un double point de vue. Le point de vue des valeurs véhiculées (il est d’ailleurs assez étonnant de constater que souvent ceux qui ne trouvent pas de valeurs intrinsèques dans les activités sportives en trouvent aisément dans d’autres). En l’occurrence dans les APPN, ce qui revient le plus souvent : liberté, émotion, plaisir, écologie, non compétitivité, solidarité, entraide, défi, aventure… On peut les comprendre plus pragmatiquement dans un désir de renouvellement des pratiques usuelles ou dans celui de sortir du cadre scolaire. Mais dans tous les cas, l’idée d’une alternative au cadre sportif est présente. L’autre paradoxe, et pas des moindre, est finalement le mouvement inverse entre le processus scolaire d’intégration de ces pratiques, s’appuyant sur une idéologie alternative au sport, et le processus sociétal, qui lui, sportivise et marchandise de plus en plus ces activités, toutes les activités physiques.

Démocratisation !

Évidemment les idées, aussi bonnes soient-elles, sont retoquée par une question très pratique : l’obstacle principal à l’enseignement plus massif des APPN repose sur un triptyque bien connu : temps-formation-infrastructure. Ce qui n’est pas vrai par exemple pour la danse, ou seule la question de la formation domine.

La profession est, sur le fond, prête à prendre les APPN comme objet pour une raison bien simple : elle est elle-même une très grande consommatrice de ces activités. Plus largement elles sont largement investies par les classes moyennes et aisées.

Sociologiquement, les APPN d’aujourd’hui ne correspondent pas à une culture populaire, même si « le plein air » est lui, d’essence populaire. De plus si l’on retire les activités familiales de balade, qui ne peuvent constituer un enjeu de formation, elles sont coûteuses en temps et en équipement.
Autrement dit ce sont des activités de classes, distinctives ! Dès lors, et au-delà même de leur potentiel éducatif, apparaît fortement un enjeu de démocratisation : l’accès de tous et toutes à cette culture.

Ce seul argument suffit presque à rendre les APPN obligatoires à l’école : si les plus défavorisés en sont exclus, seule l’institution scolaire est capable d’offrir une culture commune. Il s’agit en alors de faire de l’EPS une véritable « éducation sportive populaire ». Le mot sportive étant défini de façon extensive, et le mot populaire signifiant pour le peuple, au sens noble.

Dans ce cadre les APPN doivent jouer à plein leur rôle : faire entrer tous les jeunes et bien sûr d’abord ceux des classes défavorisées dans une culture et la pratique d’une culture, dont ils sont globalement exclus aujourd’hui. N’entretenons pas trop d’illusions sur les vertus parfois exagérées accordées aux APPN. Mais accordons sur l’objectif de les faire rentrer durablement dans notre culture commune. Ça demande des moyens, évidemment !