Patrick Veysserre enseigne à l’Ufrstaps de Clermont-Ferrand. Professeur en EPS il est également titulaire d’un brevet d’état de second degré en Hand-Ball. Il a soutenu une thèse en 2008. Avec un regard plutôt bienveillant à l’égard de la profession, il en renvoie une image tirée de plusieurs centaines de récits sur des situations d’apprentissage tant sur les contenus que sur les manières de faire en HB.
Les traces écrites ne peuvent se résumer à des outils d’aide à l’intervention. Elles sont l’histoire écrite d’une profession. Ces écrits intimes disent la vérité pratique sur la façon dont les enseignants comptent s’y prendre pour enseigner. Dans leurs raisons fonctionnelles ces écrits laissent apparaître que les enseignants d’EPS combinent intelligemment les choix techniques et didactiques qu’ils opèrent. L’alternance dans les leçons entre sérieux et jeu, entre une géométrisation de l’action motrice (la passe face à face) et l’action spontanée (jeu réduit en effectifs et surface), entre contraintes et sens, entre obligations et activité décisionnelle de l’apprenant, entre dire et faire savoir, entre prescription et liberté, entre technique et problème à résoudre, entre objectifs axiologiques et contraintes didactiques, montrent que les enseignants d’EPS sont plus dépendants du contexte d’enseignement et des élèves que de références programmatiques ou techniques concernant l’activité handball.
L’écrit fixe le sens et la richesse d’une raison professionnelle. Les résultats obtenus permettent de mieux comprendre l’enseignement de l’EPS et posent d’une manière ouverte la problématique de l’identité d’une discipline et des savoirs qu’elle enseigne. Telle est par exemple la faible considération qu’ont les enseignants d’EPS pour envisager les conséquences motrices de leurs propositions d’enseignement, alors que l’on serait conduit à penser qu’il s’agirait d’une préoccupation première en regard de leur formation.
Les démonstrations de quelques savoirs professionnels consignés dans les écrits de planification des enseignants qualifient d’une autre façon cette partie de leur activité et font état d’un réel travail de conception conduisant à la construction de « situations à savoirs », c’est-à-dire des situations qui permettent aux élèves de faire pour savoir et de savoir-faire pour comprendre.
D’une façon plus générale, nous avons essayé de décrire, de comprendre et d’interpréter les phénomènes d’élaboration et de transmission de contenus d’enseignement en handball par l’intermédiaire des traces écrites spontanées de ces enseignants. Il s’agissait pour nous d’ouvrir un nouvel espace didactique. Nous posons que les agencements ‘’irréfléchis’’ des écrits dissimulent un ordre muet sur la façon d’enseigner et que les énoncés planifiés sont déjà des actions d’enseignement.
Lorsque l’on analyse la hiérarchisation des situations d’apprentissage dans une leçon nous obtenons ces types de scénarii :
– Les situations d’apprentissage ne vont pas simplement du simple au complexe, mais aussi de l’individu à la culture (de l’échauffement à la stratégie handball).
– Les premières situations sont contraignantes et progressivement les élèves sont de plus en plus libres (de la montée de genoux au jeu libre).
– Lorsque l’enseignant s’adresse au mouvement, à l’aspect technique, il impose le savoir-faire technique, lorsque l’on s’éloigne du geste vers l’action plus complexe, le savoir stratégique est dissimulé moins voyant, il est plus à comprendre qu’à faire. Au fur et à mesure de la leçon, il y a un déplacement du savoir-faire vers le savoir (de la technique aux principes ou logiques d’actions). C’est-à-dire plus on s’éloigne du geste spécifique vers l’action complexe, plus on va de la contrainte à la liberté, plus on va de l’imposition au choix, plus on va du muscle au cerveau.
– L’ordre des situations dans la leçon ne suit pas seulement un axe de complexification, mais un axe de compréhension.
Les enseignants d’EPS ne planifient pas une connaissance handball à apprendre. Ils planifient des conditions de son expression en construisant une situation d’apprentissage faite de contraintes et de règles. Le sens de ce qu’il y a à savoir se justifiera dans le questionnement du sujet en action. Les enseignants d’EPS n’annoncent pas un savoir, ils construisent des « situations à savoirs », c’est leur principale préoccupation.
Les enseignants d’EPS ne transposent pas simplement l’activité handball, ils transposent aussi leurs pensées liées à l’action d’enseignement. Lorsqu’ils planifient, ils enseignent déjà. Ainsi, nous relevons trois formes de discours dans les traces écrites.
– L’enseignant se parle à lui-même : « étirements 5’, je montre, puis séances suivantes… ».
– L’enseignant se parle à lui-même et aux élèves : « attention l’équipe qui n’a pas la balle perd 2 joueurs ». En écrivant l’enseignant est déjà en action d’enseignement ; avec l’intonation requise.
– L’enseignant parle aux élèves et ou en tant qu’élèves : c’est le cas de l’écrit « je me déplace jusqu’au défenseur et je passe la balle a) devant ou b) derrière ». Son discours devient celui de l’élève ; l’enseignant dit, se dit et fait dire. Les enseignants d’EPS ne planifient pas ils disent et vivent leur enseignement futur. Ces écrits ont une fonctionnalité de terrain.
Les enseignants d’EPS conçoivent des contraintes ou règles qui interagissent tout en laissant un espace de liberté non réglementé entre deux ou plusieurs règles ou contraintes. C’est cette espace pensé finement par l’enseignant qui permet l’émergence de ce qu’il y a à apprendre. Ainsi, le conflit entre deux règles ou plusieurs règles conduit inéluctablement les joueurs à prendre en considération l’espace d’action libre, le déficit de défense, etc. Cet espace autorise les élèves à découvrir ce que les enseignants veulent valoriser, « l’intervalle, le jeu en mouvement, le jeu en appui, l’activité de la défense, etc. ». En EPS le savoir n’est pas dit, il est convoqué comme agent permettant la réalisation et la réussite de la situation.
En ce qui concerne les conceptions relatives à l’enseignement des sports collectifs nous découvrons que les enseignants pianotent dans un cycle ou une même leçon sur différentes conceptions (technicistes, aménagement du milieu, situation ludique, situation problème, etc.).
Valorisent-ils la conception techniciste ? Nous comprenons, en croisant plusieurs outils de notre analyse de contenu, il apparaît que les enseignants ne sont pas technicistes parce qu’ils sont spécialistes de l’activité handball, mais parce qu’ils sont poussés par le souci de l’organisation et la gestion de leur groupe classe. Ils ne décident pas d’enseigner « la passe face à face » en handball aux élèves parce que la passe doit s’appendre comme ceci. Ils gèrent d’abord l’organisation et la maîtrise de leur groupe classe, afin de maintenir l’ordre, d’éviter les situations turbulentes et la dispersion des élèves.
Notre étude en tentant de redéfinir les processus didactiques relatifs à la planification et à la transposition didactique de l’activité handball expose ce travail discret et peu voyant des enseignants d’EPS. Les traces écrites étudiées gardent mémoire d’une pensée professionnelle qui se forme au quotidien dans la succession des décisions, observations et réflexions.
Les écrits recueillis ont été utilisés sur le terrain sans commande préalable. Dix enseignants d’expérience, dix enseignants débutants (intervenant en collège et lycée) et six experts fédéraux en handball (intervenant en club, en stages et à l’Université) sont concernés. Il est question ci-dessus de quelques points choisis à l’intérieur d’une analyse de contenu qualitative portant sur 590 situations d’apprentissage en handball planifiées par ces enseignants.
Ces écrits volontaires, deviennent un registre libre de pensées professionnelles jusqu’alors oubliées dans l’évolution disciplinaire. Les traces écrites de planification transforment le savoir-faire impensé de ces enseignants en savoir professionnel, et notre étude consiste à rendre public ce travail de conception et d’élaboration de situations d’apprentissage en handball.
La diversité des écrits de planification étudiés dépend aussi bien de la forme que du fond et il n’existe point à l’issue de notre travail de prescription sur la façon de planifier et d’enseigner. Nous avons tenté de rompre avec les « allants de soi » sur le travail de planification pour comprendre une partie de cette profession et éclairer le praticien sur son travail. Nous pensons, par exemple, qu’il n’y a pas une conception de l’enseignement des sports collectifs qui prédestine l’intervention sur le terrain. Ce sont des contraintes inhérentes au contexte d’enseignement qui conduisent à une façon d’enseigner le handball.
Propos recueillis par Y. Léziart et parus dans Contrepied HS n°6 – Handball