APPN : L’Aventure à l’école ?

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Ce numéro s’inscrit dans la logique des numéros sur les APSA ou groupes d’APSA. N’ayant pas prévu de démarche rationnelle de choix des activités, ni de les passer à terme toutes en revue, nous avons été intrigués par un certain nombre d’arguments, exprimés par le groupe, ou entendus et lus ici ou là. Ils ont pesé sur la décision de nous consacrer aux APPN :

  • ce sont des activités à la mode, en plein essor dans notre société ;
  • leur champ d’extension est devenu tellement vaste que l’on est en droit de se demander ce que recouvre finalement la notion de pleine nature. Au niveau de l’école, le sigle APPN, apparemment d’origine scolaire, couvre des activités disparates, mal fédérées par la notion de pleine nature. Le discours pédagogique qui théorise ces activités n’est pas, lui non plus, exempt de schématisations réductrices :
    • les APPN pourraient pondérer l’importance du sport à l’école,
  • Les APPN, seraient porteuses de qualités intrinsèques originales et donc plus éducatives que les autres APSA : l’incertitude liée aux milieux de pratiques permettraient un rapport au risque véritable (même s’il est maîtrisé) ; l’implication émotionnelle serait plus forte et les relations humaines plus authentiques ; en outre, les progrès des élèves sembleraient plus rapides et plus significatifs que dans d’autres APSA.

Or malgré ces qualités supposées, les APPN sont peu pratiquées à l’école.

La présentation qui suit est le résultat de discussions au sein du bureau du centre EPS et Société.

Ces discussions n’ont pas abouti à des certitudes susceptibles d’engendrer des orientations solides si ce n’est que l’EPS a à s’enrichir pleinement du développement des APPN à l’école.

La confrontation des idées a cependant abouti à ébranler quelques croyances, à quelques approfondissements et à de nouvelles interrogations.

Essor des activités sportives de pleine nature et contradictions

La diminution du temps de travail et l’allongement de la durée de vie ont donné place à l’existence d’une société où le loisir s’est imposé « comme un temps qui, tout en étant soumis à tous les conditionnements sociaux, échappe le plus aux contrôles normatifs des institutions… »[[Joffre Dumazedier : Sociologie empirique du loisir.]]. Faisant émerger avec force, dans une société libérale, la réalisation de soi pour soi, ce temps libéré crée les conditions de l’individualisme et la recherche dans le même temps d’un développement ou d’un accomplissement.

Cet essor est un phénomène indéniable, lié au changement du rapport au travail dans notre société et au temps qui doit lui être consacré ; la loi sur la durée du temps de travail et la création d’un ministère du temps libre ont été les signes institutionnels de l’importance du phénomène même si, selon les époques, la nature du phénomène change. Il apparaît aujourd’hui comme plus politique, plus idéologique aussi, que l’aspiration aux congés payés en 36 et que l’introduction du plein air en 45. Le développement d’un espace marchand tentaculaire associé à une multiplication des offres (de l’aventure au loisir encadré), l’ouverture de nouveaux espaces avec de nouveaux défis prenant les formes les plus diverses, sont les conséquences visibles de cette évolution. Alors se sont ouverts de nouveaux espaces, avec de nouveaux défis prenant les formes les plus diverses !

Mais ce temps profite a priori à toute forme de loisir. Pourquoi un développement des activités sportives de pleine nature ? Selon la lettre de l’économie du sport, deux français sur trois déclarent s’y adonner dont les trois quarts sont des citadins ! Ainsi on peut émettre l’hypothèse d’un lien étroit entre l’urbanisation exponentielle de nos société et la recherche d’un retour à la nature, et pourquoi pas, d’un souci écologique affirmé.

Conscientes de ce mouvement les municipalités, départements, régions réagissent aux traumatismes provoquées soit par la désertification, soit par la mutation importante des populations et des formes d’occupation des campagnes. S’ajoute à cela la disparition de l’emploi dans certains secteurs de l’économie. Pour valoriser les ressources locales (plans d’eau, rivières navigables, forêts…) et recréer ainsi de la vie sociale locale par la création de nouveaux emplois maintenus au pays, on entre dans de nouvelles formes de gestion des espaces ruraux « naturels ». Au plan de la démocratisation dans l’accès à ces sports, la construction de bases de plein air constitue un véritable appel d’air notamment pour ceux qui ne peuvent partir en vacances.

Mais de quelles pratiques s’agit-il ?
Marquées par la marchandisation ?

Le système marchand a bien sûr développé une stratégie de récupération des désirs des individus pour en faire des consommateurs d’une offre d’occupation de cet espace de liberté. Associant les progrès de la technologie aux moyens considérables investis on a vu se développer constructions d’équipements, d’habitats, de matériel de plus en plus sophistiqué mais aussi la destruction de sites afin de pouvoir accueillir toujours plus de « clients ». La revue Montagnes magazine par exemple cite le caractère de plus en plus élitiste du ski, les équipements immobiliers et sportifs voués à la rouille et les impressionnantes quantités d’eau gaspillées pour alimenter les canons à neige. Le rapport à la nature, dans sa rusticité, sans doute premier au début, s’est ainsi progressivement éloigné des pratiques de masse !

Aux catastrophes écologiques sont associées des pratiques de bas niveaux où les pratiquants sont mis hors jeu des enjeux « historiques » des activités : incertitude du milieu, gestion du couple risque-sécurité… Seuls une infime minorité d’experts entrent dans des pratiques d’ailleurs qualifiées d’extrêmes et sont instrumentalisés pour servir d’image de héros modernes fortement sponsorisés ! Marquées par la recherche de l’originalité à tout prix ! Autant dans les formes de pratique, que dans les lieux où elle s’exerce, la créativité, l’invention, semble marquer l’évolution de ces pratiques ces dernières années. C’est l’entrée en jeu (grâce en partie aux médias et sponsors) de la provocation dans le rapport aux interdits, le jeu avec les limites sécuritaires avec la mise en scène d’un rapport paroxystique à la mort (free ride en ski, surfs sur vagues géantes…) et en même temps celle de l’épreuve, du défi pour jouer différemment avec les éléments et s’y déplacer (kite surf, parapente, parcours sous marin…).

Dans ce panorama, il faut souligner, fait paradoxal si l’on s’attache à l’attrait de la « pleine nature » que c’est l’utilisation des progrès technologiques qui autorise à la fois les défis les plus audacieux et en même temps favorise l’entrée en activité de populations jusque là écartées en leur facilitant la tâche (skis paraboliques, planches à voile de toute dimension, mini bouteilles de plongée, embarcations multiples, vélos tout terrain…). Les activités de pleine nature ne sont donc plus naturelles du tout !

On assiste même à un chemin inverse, nous y reviendrons plus loin : aujourd’hui pour des raisons de sécurité, de distance des villes à la nature, d’intempéries… les activités de pleine nature se transforment peu à peu pour venir à la rencontre des populations urbaines (murs d’escalade, patinoires, pistes de ski artificielles…). Activités à fort niveau symbolique, elles peuvent être souvent hélas à bas niveau de pratique ! Mais ce mouvement donne naissance dans le même temps à des disciplines nouvelles guidées elles aussi par l’exploit (Yamakasi…) ou bien par le simple plaisir (acrobranche, randonnées citadines en roller…).

Souvent qualifiées d’une « culture fun ou de la glisse » comme par opposition ou comme alternative au sport jugé par trop « compétitif », les activités de pleine nature ne portent-elle pas des contradictions, on l’a vu, pour le moins aussi discutables ? Largement pratiquées, particulièrement par les classes aisées, elles n’échappent pas à l’idéologie dominante tendant à priver les individus de la pleine responsabilité de l’activité qu’ils déploient pour se l’approprier.

Comme certains l’ont fait pour le sport, on pourrait ainsi dénier à ce type de pratique toute valeur utilisable par l’école. Pourtant elles font partie de la culture commune officiellement affichée dans les programmes en EPS.

Quelle définition pour ces pratiques ?

Nos débats passionnés, pour construire ce numéro, à propos de la caractérisation des APPN, de l’ambiguïté du sigle, de ce qui les différencient des autres APSA, semblent justifier, au plan scolaire, depuis 1967, de définir des ensembles d’activités pour organiser la programmation et fonder « une EPS complète et équilibrée ». Le concept d’APPN est peu usité dans le champ des pratiques sociales où chaque activité ou groupe d’activités, au gré de l’histoire, en concurrence avec les autres, cherche plutôt à mettre en exergue sa spécificité, ses valeurs, bref à se rendre attractifs.

Pourtant, socialement, culturellement, institutionnellement il existe bien une entité, un genre, du moins formel, de pratiques qui se reconnaissent spontanément comme faisant partie d’un même ensemble et s’organisant autour d’un rapport déterminant à la nature, au naturel et à ses risques (météo, éléments…).

Mais qu’est-ce, aujourd’hui en France, qu’un milieu naturel ?

Alors que toutes les régions en sont au stade d’équiper leurs espaces naturels pour en faire des produits touristiques…

Tout en annonçant que ce qui les distingue des autres, c’est le respect ici ou là du caractère « naturel » de leur patrimoine.

Que dire encore des bases de « plein air », censées répondre à tous les besoins du citadin en transit, des espaces « d’aventure » qui s’ouvrent à proximité des hypermarchés, des rivières, des lacs, des ports, des fosses marines, des pistes de ski artificiels, des murs d’escalades, des piscines à vagues, des parcs citadins aménagés pour le « plein air », « du naturel » qui s’installe dans la ville, telle l’équitation libre du parc de la Courneuve…

Que dire toujours de pratiques qui s’approprient et créent un autre usage du milieu naturel urbain, pourtant habituel, pas incertain du tout, a priori pas dangereux.

Dame nature semble nous jouer des tours.
Les paradoxes, les contradictions s’accumulent, ils se prolongent même dans les discours qui sont tenus.

Ici l’on parle « d’activité(s) de pleine nature, là de « sport(s) de pleine nature », ici « d’activité(s) de plein air » ou encore de « sports de plein air », là bas s’annonce un « tourisme sportif de nature », une sorte de « post-tourisme » et des « sports de nature » et même en Limousin « des pratiques sportives de pleine nature ».

Derrière tous ces termes se cachent sans doute des histoires, des expériences des innovations sûrement pas encore écrites, des intentions non encore révélées.

Le CERMOSEN nous livre ce qui semble pour lui une certitude : « les espaces de nature sont depuis le 19e siècle investis par les pratiques sportives… », les terrains de jeu ne cessent d’évoluer au cours du temps. Et l’éducation physique et sportive se pose à nouveau la question du sens des APPN particulièrement dans les espaces confinés des écoles, des collèges et des différents lycées.

Les APPN scolaires : éléments de réflexion

Quelques faits permettent une première approche. L’enquête de la DEP 2 (2006) montre qu’à côté des quatre types d’APSA qui paraissent incontournables : sports collectifs, natation, athlétisme, gymnastique, les enseignants souhaiteraient pouvoir utiliser les « activités de pleine nature », par ailleurs plébiscitées par les élèves, notamment quand elles se déroulent sous forme de stages permettant un dépaysement et une vie de groupe. Les APPN apparaissent aussi comme des activités « modernes », moyen de se démarquer d’activités dites obsolètes. Une enquête pratique faite au congrès du SNEP auprès d’une soixantaine de collègues permet d’approcher les représentations et les modes de pratiques : dans le sigle APPN, c’est la notion de pleine nature qui apparaît comme la plus importante. Or c’est sous la forme de cycle dans l’établissement que se déroule souvent l’enseignement (donc rarement en pleine nature), bien que le couplage cyclestage soit cité comme étant la solution satisfaisante. Deux activités apparaissent majoritaires : la course d’orientation, l’escalade. L’objectif recherché en priorité est la découverte du milieu associé à l’apprentissage de la sécurité.

Quels sont les obstacles à la pratique des APPN ?

La plupart des établissements scolaires sont le plus souvent éloignés des milieux de pratique. Outre les déplacements longs et coûteux, la pratique en milieu naturel contraint à une préparation et à une vérification du matériel plus importante que dans les autres APS ; les espaces, même aménagés, ne sont pas forcément adaptés et adaptables aux niveaux de pratique diversifiés des élèves ; les problèmes relatifs au couple risque/sécurité sont enfin omniprésents. Les conditions de pratique doivent donner aux élèves la sensation de prendre des risques mais ceux-ci, en cas d’erreur, ne doivent pas avoir de conséquences graves.

Les APPN sont-elles adaptables au milieu scolaire, sont-elles « scolarisables » et si oui comment ? Telle est la première question à se poser. Une question préalable reste cependant à examiner : la légitimité et donc la nécessité des APPN dans les programmes scolaires.

Pour nous, et malgré les contradictions relevées plus haut, ces activités nous semblent incontournables dans une programmation scolaire : leur intérêt éducatif, l’irruption des thèmes écologistes et de l’environnement dans notre société les imposent, à condition bien sûr que l’accès à « la pleine nature » reste bien une visée essentielle et que les contenus proposés préparent sur tous les plans cette perspective. Leur nécessité est d’autant plus grande que la plupart des élèves sont des citadins et que les conditions coûteuses de la pratique en priveront les plus défavorisés.

Des raisons plus fondamentales plaident en leur faveur : ces pratiques, lorsqu’on s’attache aux plus anciennes ont une dimension historique et anthropologique, avec une histoire qui leur donne sens (la conquête, l’aventure, la découverte… par exemple). Elles investissent la personne du pratiquant dans toutes ses dimensions, notamment au plan imaginaire et émotionnel. Elles imposent des façons de faire inhabituelles exigeant, sur tous les plans, des réorganisations profondes. Certaines portent des valeurs d’autonomie, de responsabilisation et de solidarité compatibles avec les valeurs de l’école. À condition, bien sûr, et c’est là une deuxième question, de proposer des formes de pratiques scolaires pertinentes dont on trouvera des exemples dans ce numéro, mais aussi les précédents. Bernard Jeu présente, sous le terme « épreuve » les activités (dont les activités de pleine nature) qui ont pour perspective de poursuivre un exploit : « elles permettent d’accéder au domaine du merveilleux, de l’extraordinaire. Mais l’exploit, c’est le risque ; on baigne dans l’atmosphère du conte, celle de la mort côtoyée et menaçante mais avec la volonté d’en revenir vivant et régénéré ». Il y a, chez cet auteur, l’idée d’un rapport symbolique à la mort : se faire peur en se confrontant à la mer, à la montagne, aux entrailles de la terre en sachant que le pire ne se produira pas.

Le problème, en milieu scolaire, comme pour d’autres disciplines, est de taille :
comment côtoyer le risque avec un impératif plus incontournable qu’ailleurs : la sécurité ?
Comment, sous prétexte de sécurité absolue ne pas vider ces activités de leur sens profond ?
Les conséquences graves, largement médiatisés, de certains accidents, en milieu scolaire accréditent l’idée pourtant fausse que les APPN seraient des activités plus dangereuses que d’autres APSA ; c’est à la formation des enseignants de répondre à cette inquiétude.

Ne pourrait-on pas dire que les APPN sont des activités de maîtrise, de contrôle du risque et non de prise de risque ? « Les APPN comment ? » est enfin la dernière série de questions qu’il faut se poser.

Ne pourrait-on pas dire que les APPN sont des activités de maîtrise, de contrôle du risque et non de prise de risque ?

Quelles APPN programmer dans un groupe disparate dans ses finalités et dans ses formes ?

Le retour à Bernard Jeu et au double sens de l’épreuve : sens anthropologique de confrontation de soi aux éléments et sens sociologique d’un retour sécurisé et reconstituant vers la nature, s’impose et reste l’orientation fondamentale. Mais, à partir de là, et pour concrétiser, ne pourrait-on dire, à titre d’hypothèse qu’une des visées des APPN serait la construction d’un itinéraire dans des milieux et des conditions inhabituels en appréciant le risque acceptable et en sachant renoncer si ce risque acceptable est dépassé ? L’organisation scolaire adoptée par certains établissements, à savoir un cycle préparatoire et un stage hors établissement, est une formule qui permet de préparer les élèves et de les confronter à des conditions réelles de pratique même si les problèmes de concentration des horaires, de déplacement, de responsabilités et de financement sont actuellement difficiles à résoudre.

Quels contenus d’enseignement ? Quelle progressivité des apprentissages ?

La découverte des activités n’est évidemment pas suffisante dans le cadre de l’EPS. La pratique des APPN doit mettre en perspective des apprentissages spécifiques : connaissance du milieu, apprentissage de l’usage d’un matériel spécifique, des relations aux autres ; ces dernières revêtant une importance décisive dans la sécurité. Mais comme pour les autres APSA, l’enseignement doit s’attaquer aux problèmes techniques et technologiques que la confrontation homme/milieu fait émerger avec deux questions : quels objets d’étude et quelle progressivité des apprentissages ? Cette planification des contenus, souvent décriée dans le milieu scolaire existe pourtant dans de nombreuses fédérations. La progression des pratiquants est organisée en niveaux, validant des compétences donnant accès à certaines prérogatives.

Au total les multiples interrogations que nous faisons émerger au cours de ce survol posent des problèmes aux enseignants qui doivent se traduire dans des choix pédagogiques et didactiques explicites.
Partant de l’idée de l’accès de tous à la culture physique et sportive de notre temps, l’école doit donner l’occasion à chacun, par les APPN en milieu scolaire, de se développer de façon originale.

Cet article est paru dans le Contrepied n° 22 – APPN Sports de Nature – L’aventure pour tous !