Le tennis de table comme la majeure partie des activités duelles est souvent à tort pour de mauvaises raisons d’ordre culturelle réduit à une activité d’opposition de 2 joueurs et parfois de 2 couples de joueurs. Il y a là une confusion fréquente qui est d’assimiler pratique culturelle d’une APSA et forme de compétition, ce qui signifierait que n’est considérée comme porteur d’une culture que le temps du match du week-end ou les fins d’entraînement lorsque les joueurs s’affrontent lors moments de jeu « libre ».
Avec une telle conception, la majeure partie du temps de l’entraînement ne serait pas porteuse d’une culture de l’APSA or c’est durant ce temps de l’entraînement que l’on s’imprègne de la culture de l’activité, du club. Cette idée que la culture d’une APS ne peut être réduite au temps de la compétition est particulièrement évidente si l’on observe ce que relate Loïc Wacquant (Corps et âme 2001) à propos de la formation du boxeur qui passe le plus clair de son temps seul, sans opposition dans le « gym ». Il nous faut alors considérer que l’appropriation de la culture d’une APSA se déploie dans le temps de l’entraînement et dans le temps de la rencontre programmée par l’institution sportive, avec et plus ou moins contre l’autre.
Ce temps de l’entraînement, c’est celui de l’apprentissage, de la préparation. Le temps de la compétition est davantage soit un temps d’acquisition d’expériences ou le point de départ pour ajuster, modifier, corriger ce qui a été appris. L’apprentissage est le temps du détour, il s’oppose en cela à la réussite immédiate. Il faut donc distinguer le faire ensemble, le faire avec, qui renvoient davantage à des buts d’affiliations ou de valorisation d’image de soi et le apprendre ensemble. La différence tient en ce qu’au CEDREPS nous nommons un objet d’étude qui doit être ciblé et placé au cœur de ce « apprendre ensemble » ; pour cela le détour est indispensable, détour pour faire mieux ensemble, détour pour comprendre ensemble le faire. Oublier cet objet au profit du « ensemble » même au nom de valeurs ou de principes, c’est mettre la motricité au service de… Les formes de pratiques sociales de l’entraînement sont donc fortement imprégnées de cet « apprendre ensemble » et cette entrée peut donc se révéler fort intéressante pour regarder d’une autre manière l’accès à une culture des pratiques corporelles ou former un pratiquant cultivé.
Plus généralement, B Jeu (79) caractérisait le sport comme une « anti-société » car le lieu de pratique sportive est un lieu « où l’on se réunit pour s’opposer ». Pour s’affronter il faut accepter et partager un cadre commun d’affrontement ; ce cadre commun prend appui sur les règles du jeu mais également sur du non-explicite, du « attendu culturel ». Ici se dégage une autre piste, celle de la négociation, la construction des règles du jeu. L’évolution de notre réflexion au sein du CEDREPS, groupe ressource de l’AE-EPS, nous a conduit à placer au centre de l’EPS, la notion de Forme de Pratique Scolaire (FPS). En quoi cela constitue t’il un nouveau positionnement ? Ces FPS ne sont pas transitoires, elles sont une fin en soi. Comme les règles du jeu sont différentes de celles de la pratique sociale, il s’avère nécessaire de construire, de partager ce nouveau cadre d’affrontement.
Dans l’univers de la classe en EPS, de récentes recherches menées ici à Nantes démontrent qu’opposition et coopération sont étroitement imbriquées dans le temps de jeu de pratique mais également autour du jeu. Des alliances se nouent et se dénouent, dans le jeu en utilisant les règles prescrites (jeux traditionnels ; jeux de barres…), dans le jeu de manière implicite ou dissimulée (coopération entre élèves lors de matches en situation d’évaluation) et hors du jeu explicite (coach) ou dissimulée (aide de l’observateur neutre). Nous sommes ici très proche d’un concept assez nouveau dans le domaine du management, la coopétition. Notion formée à partir des mots coopération et compétition, elle est définie comme une stratégie originale de gestion de la compétition sur les marchés. Il s’agit de collaborer avec certains de ses compétiteurs pour tenter de capturer un bénéfice commun ; stratégie opportuniste mais qui n’est pas sans rappeler celles de nos élèves lors des évaluations. L’USEP reprend cette notion pour mettre en place ce qu’elle nomme les « défis coopétitifs » où interdisciplinarité, citoyenneté, équité sont les maîtres-mots. Il s’agit de s’interroger sur comment gérer l’opposition sportive sans pour autant instaurer une compétition qui affaiblisse les perdants et, bien souvent, ne propose rien à apprendre aux vainqueurs. Il s’agit là d’équilibrer l’opposition par l’utilisation de carte « coups d’éclats » (handicap) et « coups de pouce » (avantages). Nous voici revenu sur un des aspects fondamentaux des sports de raquettes, l’équilibre du rapport de forces. Si le rapport de force est équilibré, les matchs s’enchaînent, le perdant demandant son droit à une revanche. Par contre, si le match est trop déséquilibré, aucun des deux protagonistes n’éprouve beaucoup de plaisir dans l’affrontement et l’un des deux laisse la place à un autre joueur. Cette piste du « ré-équilibrage » du rapport de forces a été largement explorée par les enseignants d’EPS, mais elle est fondée sur l’idée que le plaisir en SDR naît de l’affrontement équilibré (compétition au sens de B Jeu) et non de la coopération.
La piste que nous souhaitons explorer pour traiter le thème « apprendre ensemble » ne prend pas comme point de départ une posture éthique (sensibiliser à des valeurs humaines ou républicaines), ou l’hypothèse de compétences méthodologiques transversales du type « apprendre à apprendre » mais se propose à partir d’une réflexion sur la culture des pratiques physiques de repérer ce qui dans cette culture et plus particulièrement dans le temps de l’entraînement peut permettre de passer du « pratiquer ensemble » à « apprendre ensemble ».
En prenant appui sur la distinction entre le temps de la rencontre et celui de l’entraînement, la différence entre rôles sociomoteurs et sociaux empruntée à Parlebas, nous pouvons alors repérer différentes manière d’aborder ce thème du apprendre ensemble.
Pendant ce temps d’entraînement se construit cette capacité à s’aider à progresser ensemble, à faire progresser l’autre, c’est-à-dire à « bien » coopérer même si cette coopération prend la forme d’une opposition conciliante voire gênante, momentanée ou continue. On remarque alors que la maîtrise des contraintes de la tâche est essentiellement dépendante des capacités de l’autre à adapter les trajectoires de balle aux ressources du partenaire plutôt que des contraintes posée par l’enseignant. C’est davantage l’autre, celui avec qui je joue qui détermine la nature du décalage optimal que l’enseignant. Alors apprendre ensemble c’est apprendre les conditions pour que l’autre apprenne et cela nécessite à la fois une attention à l’autre mais une forme de sensibilité motrice, perceptive qui révélatrice d’un important niveau de maîtrise. Mettre en avant cette capacité plutôt que celle à gagner le match pourrait alors constituer une autre voie d’excellence dans l’activité. Cette réflexion nous conduit à poser la question de l’évaluation du apprendre ensemble, de son intégration dans les dispositifs d’évaluation qui sera l’occasion de débats.
Les séquences pratiques s’inspireront de formes de pratique d’entraînement ou d’innovations scolaires pour illustrer la réflexion. Voici quelques exemples de situations qui seront proposées :
– Le « Ping-show » : produire à deux ou plus des trajectoires spectaculaires et contrôlées.
– Le test de vitesse : aider l’autre à donner de la vitesse et/ou du rythme à l’échange.
– La routine « fermée » : construire un enchaînement de coups compatibles et nettement reconnaissables.
– Le panier de balle :
– Le 2 contre 1 : être deux pour mettre au point et réguler un schéma tactique.
– Le « sers vice compris » : forme de pratique scolaire proposée par Blanchard (Cahiers CEDREPS 12).
– Le catch à quatre : forme adaptée du badminton proposée par Leveau (EPS en Poche).
Les rôles sociaux, notamment celui de l’observateur, du coach, seront intégrés dans certaine situation, mais ici le choix sera de mettre l’accent sur les rôles sociomoteurs.
Article signé S. Testvuide.