Comment les élèves abordent -ils leur premier cycle boxe savate ?
Les élèves abordent généralement cette nouvelle activité avec émotion, car ils sont soumis aux représentations des boxes que véhiculent les médias. La boxe, qu’elle soit pratiquée avec les poings ou avec les poings et les pieds, est un spectacle théâtral dramatique dans lequel deux combattants mettent en jeu leur peau dans un carré de lumière devant un public anonyme avec comme point culminant, souhaité et probable, la mise hors combat d’un des pugilistes, telle une mise à mort symbolique.
En quoi les représentations des élèves concernent-elles l’enseignant en abordant un cycle savate ?
Les représentations des élèves doivent être considérées avec attention, car elles organisent en grande partie leurs conduites motrices, en ce sens qu’elles indiquent en quelque sorte les buts à atteindre. Certes, la morphologie des boxeurs, leurs qualités propres et leur tempérament y participent, mais quiconque a vu les combats de Mohammed Ali et de Mike Tyson, s’aperçoit néanmoins que ces deux combattants n’avaient pas la même représentation du but à atteindre et par conséquent n’avaient pas les mêmes façons de boxer tant sur le plan stratégique que technique. Mohammed Ali disait « je vole comme le papillon et je pique comme l’abeille ». Boxer, c’est être insaisissable, mobile, esquiver et décocher des frappes cuisantes. Mike Tyson, quant à lui, déclarait que lorsqu’il montait sur le ring, c’était pour » exécuter son adversaire ».Boxer, c’est aller droit au but et frapper pour mettre hors combat. Ces deux grands boxeurs, usant tous deux de métaphores savoureuses, n’avaient pas visiblement la même approche de leur art et ne poursuivaient précisément pas les mêmes buts.
L’enseignant qui aborde un cycle boxe savate avec une classe se retrouve confronté à une diversité de comportements, induits pour une part par les différentes représentations des élèves, qu’il doit identifier pour bien les gérer.
La première chose qu’il a à faire est de mettre de l’ordre dans son regard.
Ainsi pourra t-il constater que les élèves sont partagés sur les buts à atteindre.
Ceux-ci peuvent se décliner sur une échelle allant du souci prioritaire de soi à la volonté affirmée de causer un gros souci à son adversaire.
Certains se perçoivent en priorité comme une cible. Le but est alors de « sauver sa peau » ce qui se traduit par des comportements de fuite, d’évitement, d’esquive, de mobilité, de défense, de maintien à distance de l’agresseur avec une attitude de garde haute et fermée, plutôt de profil et une charge prédominante sur l’appui arrière.
D’autres, au contraire, moins inhibés par leur instinct de conservation, vont percevoir l’adversaire d’abord comme une cible. Le but est alors de coincer cette cible pour l’ajuster et la bombarder avec une joie non dissimulée, ce qui se traduit par un comportement offensif, d’avancée vers la cible, de rapprochement, de cadrage avec une attitude de garde plutôt de face, facilitant la disponibilité des quatre armes, et une charge prédominante sur l’appui avant, tel le félin prêt à bondir sur sa proie.
D’autres enfin vont profiter de la situation, quand toutefois le rapport de force leur est favorable, pour « faire le beau », épater le public en produisant des techniques spectaculaires ou esthétiques, ce qui est du reste parfaitement compatible avec l’assaut en savate.
Les apprentissages pendant le cycle savate boxe consisteront donc en partie à transformer les représentations initiales des élèves.
Certes, mais pour quelles autres représentations ?
En premier lieu vers des représentations compatibles avec les valeurs que véhicule notre système scolaire. Il faut donc que l’enseignant agisse d’emblée pour que l’activité savate boxe ne soit plus perçue par les élèves comme une immolation publique possible, avec ses risques physiques et psychologiques, mais comme un jeu d’opposition à base de touches aux pieds et aux poings où c’est l’habileté et l’intelligence tactique qui priment et non la puissance physique. On boxe en assaut, on touche, mais on ne frappe jamais. En aucun cas, l’impact doit être traumatisant. Le bon boxeur est donc celui qui contrôle ses actions et avec qui on ne courre aucun risque.
Il faut donc installer dans la classe un climat sécurisant, stimulant et ludique propice à l’entrée en activité pugilistique de tous les élèves. Pour y parvenir, l’autorité affirmée mais néanmoins bienveillante de l’enseignant est absolument indispensable. Les élèves doivent respecter l’esprit de l’assaut et surtout les consignes de l’enseignant (statuts, initiative, attente, armes, cibles etc.). En l’absence de cette condition préalable, toute mise en œuvre didactique sera non seulement vouée à l’échec mais en plus exposera la classe à des risques de percussions cuisantes.
En deuxième lieu, il faut acheminer la classe vers une représentation claire et globale du but à atteindre : toucher sans se faire toucher et ne pas se faire toucher et toucher.
Etre un corps cible qu’il faut protéger tout en attaquant le corps cible de l’adversaire qui le protège lui aussi, hélas.
Ainsi, les représentations initialement partielles des élèves doivent converger vers une représentation englobant les buts contradictoires d’attaquer et de défendre dans la même action.
En outre, réaliser en combattant des formes techniques contrôlées et esthétiques, adaptées à la situation d’opposition ne saurait que valoriser les prestations.
Facile à dire, mais comment procéder concrètement pour y parvenir ?
L’enseignant peut faire vivre aux élèves les différents scénarii que sont amenés à jouer obligatoirement les tireurs/boxeurs durant une rencontre. Le nombre de scénarii est relativement restreint.
Toute la savate/boxe tient en l’alternance de trois grands scénarii : attaquer, défendre, contre attaquer pour reprendre l’initiative.
Dans chaque scénario, il y a un rôle à tenir. Les combattants doivent connaitre leur texte. Celui-ci se structure à partir des buts à atteindre. Ceux-ci doivent être clairs pour organiser les conduites et contribuer à développer la pensée tactique et les apprentissages techniques correspondants.
Par exemple, dans une situation d’assaut à thème, A est l’attaquant qui a l’initiative, B est le défenseur qui est en situation d’attente.
En tant qu’attaquant, le but de A est de toucher sans se faire toucher. A va donc apprendre à organiser ses attaques et à acquérir les outils techniques nécessaires comme suit:
– préparer l’attaque sans s’exposer: apprendre à se placer à distance, à avoir une garde, à limiter les déplacements de son adversaire, à feinter le moment, l’arme, la cible, à identifier et à construire le moment propice pour déclencher l’offensive etc.
– développer l’attaque : apprendre à toucher avec contrôle et précision, à enchainer les touches pieds poings et poings pieds
– conclure l’attaque : apprendre à rompre, à effectuer un pas de retrait ou un décalage.
En tant que défenseur, le but de B est de ne pas être touché et toucher. B va donc apprendre à organiser sa défense comme suit :
-se protéger : apprendre à adopter une garde, à se déplacer, à conserver sa mobilité, à sortir de la ligne de mire de A, à décaler, à esquiver, à parer les attaques.
-exploiter les esquives et les parades pour riposter : apprendre les esquives en retrait, les esquives latérales, les esquives rotatives, les parades bloquées, les parades chassées.
-neutraliser l’attaque : apprendre à riposter, à effectuer des coups d’arrêt et des contres.
Pour conclure sur ce point, l’enseignant doit veiller à structurer les situations d’apprentissage tactique en donnant à chaque élève un but clair, un dispositif précisant l’espace de combat, matérialisé au sol, le temps de combat, des consignes précises sur les statuts (qui attaque, qui défend ?) les armes, cibles etc.
Quelle importance faut-il accorder au développement de la pensée tactique dans un cycle savate boxe?
Il nous est demandé d’amener les élèves à devenir des «citoyens éduqués et lucides » .Dans cette visée, le développement d’une pensée tactique s’impose pour ne pas les faire boxer idiot.
Elle se développe en situation dans des assauts à thème, mais aussi par la tenue de rôles sociaux, comme par exemple le rôle du second, qui analyse, conseille son tireur pendant les temps de repos. En outre, un rapide débriefing immédiatement après l’assaut peut également s’avérer très productif.
Par quoi commencer dans ce domaine ?
Les débutants en assaut s’agitent dans un brouillard émotionnel qui leur interdit d’agir avec lucidité. Il peut arriver alors qu’ils se conduisent comme des « barbares » explosifs ou à l’inverse, comme des victimes sacrificielles totalement paralysées. La première chose à faire est donc de dissiper ce brouillard, sévissant à l’aube de tout cycle pugilistique, pour que les élèves y voient plus clair, ce qui aura comme conséquence immédiate de diminuer massivement le stress, de faciliter la décision et le contrôle du geste.
L’apprentissage du contrôle de la touche, évacuant tout risque de traumatisme doit être immédiat, car il est non seulement inconcevable que l’intégrité physique et psychique de nos élèves soit compromise en cours d’EPS (ou en UNSS) mais il est avéré en plus qu’enseigner dans un climat anxiogène est inefficace. Conjointement, l’alternance des rôles de partenaire et d’adversaire dans des situations d’apprentissage technique et des situations d’opposition régulée comportant peu d’incertitude, dans un climat sécurisant et ludique, contribuera à apaiser rapidement les apprentis pugilistes.
Cette première étape fera passer les élèves du stade de « barbare explosif » à celui de partenaire/adversaire fréquentable. Il est envisageable à partir de maintenant de penser tactique.
Quelles seraient alors les étapes suivantes?
En cours d’assaut, les tireurs sont amenés à changer de statut en fonction de l’évolution du rapport de force. Excepté en cas de domination constante d’un des tireurs, le cours de la confrontation leur fait vivre alternativement des situations où ils sont dominants et/ou dominés, attaquants et/ou défenseurs. Ils doivent donc identifier leur statut momentané et apprendre les partitions correspondantes à jouer. La pensée tactique se construit alors sous forme d’algorithmes.
Par exemple, si je m’identifie attaquant, alors je mets en œuvre la partition tactique adaptée :
– je fais pression, je me place à distance des coups les plus longs de mon adversaire
– j’organise par mon placement et mes déplacements ma domination territoriale (cadrage)
– je développe l’attaque : préparation, enchainements pieds-poings-pieds,
– je conclus mon attaque en me replaçant hors d’atteinte.
Cette étape se caractérise par l’identification en situation des deux grands schémas attaquer/défendre et l’acquisition des connaissances tactiques adéquates à mettre en œuvre.
Après cette étape, constituant les premières fondations, il faut passer à la phase d’affinement de la pensée tactique par l’acquisition de connaissances plus fines permettant l’adaptation à des situations diverses.
=>Amener les élèves à différencier la domination territoriale du score.
Contrairement aux apparences, un tireur peut être « dos aux cordes », défendre, mener au score et gagner. L’alternance des rôles sociaux, comme juge devant désigner le vainqueur en comparant les touches valables, se montre enrichissante à ce stade.
=>Amener les élèves à changer de tactique à partir de la connaissance du score et de l’état de fatigue de l’adversaire.
Exemple : B mène au score, B est épuisé, il reste une reprise. Que doit faire A ?
Comportement attendu : A attaque sans relâche pour marquer le maximum de points dans le temps restant en se méfiant néanmoins des contres de B qui va combattre avec ses dernières forces comme un fauve blessé.
Enfin, il s’agira d’apporter les connaissances tactiques permettant de combattre avec finesse et efficacité n’importe quel type d’adversaire.
Exemple : B est attaquant, B est plus petit, B est gaucher. Que doit faire A ?
Comportement attendu : A se déplace à l’inverse des armes arrière de B, il tient B à distance avec des coups rectilignes, il utilise en priorité ses armes arrières (segments droits).
A ce stade, l’enseignant veillera aux changements réguliers d’adversaires dans les assauts pour ne pas laisser les élèves s’installer dans un confort stérile.
Cet article est paru dans Contrepied Hors série n°13 – La boxe française – Oct 2015