Ce qui importe, c’est avec qui je grimpe !

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Liv Sansoz a été double championne du monde d’escalade en 1997 et 1999, vainqueur à trois reprises de la coupe du monde et la deuxième grimpeuse à réussir un 8c+. Elle revient sur l’entraînement opiniâtre qui la conduite à l’excellence avant d’investir les activités d’alpinisme qu’elle distingue ici avec l’escalade notamment par la symbolique de la cordée !

Quelles sont les grandes étapes de votre parcours de grimpeuse ?

Ma rencontre avec l’escalade se fait à l’occasion d’un spectacle, celui de la coupe du monde d’escalade à Lyon en 1991. C’est une véritable révélation pour moi. L’année suivante, inscrite dans un petit club local, je participe à mes premiers championnats de France, au lendemain d’une ascension du Mont Blanc ! J’y découvre l’importance d’avoir un mur à disposition, de pouvoir s’entraîner régulièrement. Il m’en faut un ! J’y passerais beaucoup d’heures avec une démarche totalement empirique : mon objectif était par exemple de rester le plus longtemps sur le mûr. D’abord 25 mouvements, puis 50, puis … ainsi j’accumule les victoires et la FFME via son conseiller technique, Mr Billon, me sollicite pour participer à la coupe du monde d’escalade de Toulon, puis de Bulgarie (Black Sea) en 1993. J’intègre alors l’équipe de France. A partir de là, je m’entraîne avec des gens plus forts, je rencontre l’une des meilleures grimpeuses au monde, Robyn Erbesfield, qui m’accueille chez elle. J’apprends des techniques puis je travaille mon mental. Au début, je n’avais pas confiance en moi mais j’ai appris à me dire « t’es entraînée comme les autres, les voies sont faites pour sortir et toi, tu peux aller au sommet ». S’entraîner physiquement et apprendre mentalement à être forte, cela va constituer le socle de ma réussite ultérieure. Lorsqu’en 1993, je termine deuxième à la coupe du monde de Laval, je me dis « dorénavant, tu es capable ». Cela change tout pour la suite et un an plus tard, je suis championne du monde junior à Leipzig. Je sors alors de ce que j’appelle la première étape de ma carrière. Celle où j’étais l’outsider, où j’avais peu de pression, si ce n’est la mienne, celle où personne nous m’attendait, où j’avais envie de tout donner, celle aussi où j’avais peu de référent sur mon niveau et beaucoup de doutes ! Commence alors la deuxième étape, celle où l’on se sait performant, capable de résultats brillants et fragile à la fois, celle où la moindre erreur peut couter très chère. Pour moi, c’est l’étape la plus difficile ; j’étais sur le fil à chaque fois ; cela demande beaucoup d’énergie mentalement. Je sors de cette deuxième étape lors des championnats du monde de Paris en 1997. La pression est énorme, j’ai peur de perdre, je suis mal mais d’un coup, j’accepte l’idée de perdre même si je vais tout faire pour gagner. Et là, je deviens très forte. La troisième étape commence, celle du défi. Je viens aux compétitions pour les voies de super finale, pour l’ultime plaisir… jusqu’à un accident en falaise aux USA en 2001, où une erreur d’assurage aurait pu me coûter très cher…. Accidenté je ne peux pas me présenter aux premières compétitions de la saison. Personne n’a vraiment réagit, c’était très dur. J’étais victime d’une faute extérieure et je me retrouvais seule à gérer une interruption brutale de carrière. J’arrête de grimper en compétition.

Aujourd’hui, j’ai retrouvé de l’intérêt à grimper par l’alpinisme. Ma motivation n’est plus de faire des voies très dures en falaise mais d’être en montagne, de faire des voies historiques, des faces nord qui m’ont fascinées enfant. J’ouvre des voies, je combine des activités, j’ose de nouvelles sensations.

Quelles sont les spécificités et les points de rencontre de ces deux activités ?

Les deux ont une symbolique très forte d’élévation : monter, franchir des obstacles, des murs, des montagnes. Mais l’escalade, c’est aussi une gestuelle, merveilleuse, qui offre beaucoup de liberté de mouvement. Les mouvements sont magnifiques, la gestuelle est forte. Et bien sûr, il y a ce combat intérieur avec la difficulté. En escalade, le fait d’avoir le droit de tomber autorise à essayer des choses dures, à se dépasser. J’adore cet aspect de dépassement. Je suis au pied de la voie, j’ai du doute, mais je vais essayer, je vais tout donner. C’est le dépassement, gratuit, personnel. L’alpinisme implique plus d’engagement. Bien sûr, il y a plusieurs façons de faire de l’alpinisme mais il faut être lucide, le risque zéro n’existe pas. A partir du moment où on met les pieds en montagne, on apprend à réduire les risques mais de l’imprévu demeure. En escalade, s’il y a un accident, même en falaise, c’est une erreur humaine, c’est que la personne a mal fait son nœud, a mal mis son harnais ou l’assureur n’a pas fait son boulot. En montagne, il faut accepter le risque. Dorénavant j’aime y être pour vivre de belles choses avec un compagnon ou une compagne de cordée qui m’est important-e. C’est fou, j’ai passé des années à penser à mes objectifs, mes techniques, mon entraînement et maintenant ce n’est pas de savoir quelle voie je vais réussir qui importe mais avec qui je l’ai faite. Et ça, c’est vraiment différent. La symbolique de la cordée et du partage n’est pas la même en escalade sportive. C’est sûr.

Quelles sont les conditions pour permettre à une femme d’atteindre le haut niveau en escalade ?

Il faut une dynamique, une structure avec des gens compétents et bienveillants, qui donnent de l’énergie. Mais, je suis mal à l’aise pour répondre car j’ai eu un parcours atypique, j’ai échappé aux structures ! Si je regarde ma pratique actuelle en alpinisme, je vois souvent qu’une femme a tendance à s’effacer dans la prise de décision si elle pratique avec un homme. Il y a moins de reconnaissance des compétences. Beaucoup d’hommes pensent encore que les femmes n’ont rien à faire en montagne. En escalade, on voit de plus en plus de filles en falaise, dans du 8, on sait que des filles peuvent faire des voies difficiles. Je crois que leur présence est dorénavant mieux acceptée. C’est vrai qu’il y a encore 10 ans à peine, la difficulté des voies réalisées par les meilleures femmes pouvait être remises en cause ! Moi, en 2000, on discutait l’une de mes voies en 8c+ (Mont Charleston, Nevada, USA), je pense que cela arrive moins maintenant !

Dans une démarche de haut niveau, il faut être capable de tout donner. On n’y va pas à moitié. Ainsi, il faut que la personne comprenne qu’on gagne avec la tête et pas avec les muscles. Il faut être fort-e
. Souvent les filles ont moins confiance en elle, elles n’osent pas, mais justement le sport, par les réussites qu’il autorise, fait tomber ça. Tout part de l’envie, l’envie de réussir, il faut leur donner l’étincelle, leur montrer qu’elles sont capables, les aider à oser, leur faire vivre l’expérience de la réussite, voilà ce qui permet de prendre confiance.

Que transmettre en EPS ?

L’encadrant a un rôle fondamental. J’ai adoré mon prof d’EPS au collège qui m’a fait découvrir des activités sportives que je ne connaissais pas dans le cadre de ma famille. Je me suis mise à faire du cross, du volley, du hand avec des compétitions UNSS, c’était une explosion. Le prof d’EPS transmet aussi une passion, la passion du sport, de l’effort, du partage. Pour l’escalade, il faut savoir s’adapter à la personne qu’on a en face de soi. Bien sûr, il y a plus de dépassement de soi lorsqu’on est en tête, du coup, si une jeune manque de confiance, ou n’est pas très bien dans sa peau, elle peut prendre confiance en expérimentant des sensations plaisantes en moulinette. L’important est de cerner la problématique du pratiquant-e. Il faut savoir s’adapter. La progression est alors déterminante. L’essentiel est de connaître des succès et de commencer au bon niveau, ni trop bas, ni trop fort. L’escalade doit être un jeu, un élément de découverte de sa gestuelle, le corps est libre, il est beau, si on peut faire ressentir ces émotions d’un corps qui bouge sur du vertical, c’est beau et cela donne envie de continuer. Le type de structure artificielle est alors essentiel, il faut faire attention à l’ouverture des voies : penser à créer de belles gestuelles en limitant les mouvements trop loin, utiliser des prises ergonomiques et esthétiques. Je constate régulièrement l’effet de nouvelles prises, avec de nouvelles couleurs sur mon envie de grimper. Ça doit pouvoir marcher chez d’autres !

Cet entretien réalisé par Cécile Ottogalli est tiré du Contrepied Escalade (Hors-Série n°11 – Janv 2015).

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