Comprendre pour agir dans le sport

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L’organisation du sport ne peut se comprendre par une rencontre croisée entre des univers différents. Une table ronde passionnante qui exprime les tensions sur un sport pris entre les tenailles européennes, économique et la force de la reproductibilité sociale. Reste-t-il un espace pour que les acteurs puissent changer la tendance ? Synthèse des travaux réalisée par Jean Lafontan.


Quelle organisation du sport ? Certes, toutes les questions ne sont pas abordées dans cette séquence, du vendredi après-midi mais suffisamment tout de même pour explorer les questions qui nous tiennent à cœur, notamment celles qui constituent la colonne vertébrale de nos préoccupations, à savoir, la démocratisation, dans toute son étendue.

Rien de mieux que de questionner un économiste qui, en isolant les circuits de financement, montre qu’ils profitent magistralement au seul sport de haut niveau (W. Andreff) ; que sous le discours de la démocratisation se cache un vrai repli des pratiques, surtout féminines (D. Charrier), que les politiques publiques accentueront, sous la pression de la RGPP, la fragilisation de tous les territoires (J-P Callede) ; l’Europe, en structurant un modèle sportif à grands renforts de règlementation (A. Husting), suscite un débat entre marchandisation et politiques publiques.

Ces analyses rencontrent les préoccupations d’acteurs sportifs chargés de l’organisation des pratiques sur les territoires dont ils ont la responsabilité. Ici, des élus locaux (J-P Grandiere) confrontés à la vitalité associative et des pratiques, doivent répondre à une demande toujours pressante, que les services des sports et fonctionnaires territoriaux (S. Miled) tentent de mettre en musique. Le sport, dans les territoires est confronté à l’injonction de réussir son développement (J-P Mouillesseaux) donc de réfléchir comment la multiplicité de ses composantes peut converger dans une stratégie unifiée pour poser des principes communs profitables au dynamisme de chaque composante. Enfin, quoi de plus intéressant que de confronter l’expérience d’un club professionnel (B. Barbusse) revendiquant son adhésion avec les visions d’un sport pour tous, de tous et se présentant comme sa finalité, sinon son prolongement ?

Nous retraçons rapidement, sans relecture des auteurs, le contenu de ces approches mais nous vous encourageons à vous reporter aux enregistrements originaux que vous trouverez sur notre site !

Des chercheurs questionnés

Partout, en Europe et dans le monde, les moyens financiers destinés au sport explosent. Wladimir Andreff, affirme qu’en Europe la structure des financements est stable : 36% des ressources sont publiques et 64% privées ; la moitié du financement est assurée par les ménages. L’argent public se répartit en un tiers pour l’Etat et deux tiers pour les collectivités locales (CT).
En France, l’Etat concentre l’essentiel de son budget (70%) au sport de haut niveau (SHN), quant aux CT, 47% est consacré aux installations sportives quand 33% vont aux subventions, le sport de haut niveau ne comptant que pour 5% de leur budget sport. L’argent des entreprises provient pour 55% des droits télés et 45% des sponsors, là aussi orienté massivement vers le sport de haut niveau.
Clairement, tout va pour le mieux pour le SHN puisque Etat, entreprises et ménages financent massivement. Pour le sport amateur, la situation est plus délicate. Soutenu par les CT et le bénévolat, les moyens s’effritent. Le sport loisir ne dépend que de l’engagement des ménages. Cette situation est de plus en plus impactée par la crise financière : baisse de l’achat de biens, des adhésions aux associations, de l’engagement bénévole, des affluences au spectacle sportif ; les CT, très endettées, restreignent leur soutien dans le même temps où chez les sponsors et entreprises, des revirements peuvent apparaitre (abandon, diminution des sommes allouées, créneaux sur les sports les plus visibles). L’Etat consacre, depuis fort longtemps, un budget faible (0,15% en 2012), certes compensé par le CNDS mais assis sur des ressources qui ne sont pas garanties (taxes sur paris et spectacles). Il va devoir trouver des solutions (TVA sur les articles, mécénat des particuliers, allègement de charges pour les entreprises soutenant des clubs amateurs…) pour accomplir les missions qu’il se donne. Le conférencier abordant une analyse des programmes pour la présidentielle et, critiquant l’illusion de la revendication des 1% (proposé par le front de gauche) s’est attiré une belle polémique qui a réjoui l’assistance.

Le budget sert à la mise en place de politiques publiques (PP). Jean-Paul Callede en propose une approche sociologique. Il y a une remarquable continuité depuis la Libération, affirme-t-il, qui en a fondé les bases d’une approche concertée. Les lois successives de 1975, 1984, 2000, montrent que l’Etat s’autorise un droit de regard sur tous les aspects de la vie sportive et que, globalement, cinq axes structurent cette intervention : accès au plus grand nombre, haut niveau, santé, métiers et développement durable (plus récemment). Cela structure un ensemble de missions, vers des publics ou territoires prioritaires, sans garantir pour autant des budgets conséquents, le CNDS jouant ici un rôle important. Avec les évolutions sociétales, ces PP appellent un élargissement des interlocuteurs traditionnels (Etat et mouvement sportif), aux CT, plus large encore, avec les débats récents sur le Parlement du sport. Celui-ci demeure un enjeu conflictuel entre l’Etat et le Comité olympique qui accepte difficilement les injonctions ministérielles. Les récentes décisions de réforme de l’Etat, remodelant par la RGPP sa présence territoriale, risque de fragiliser toutes les aides publiques aux associations sportives ; ainsi la logique des suppressions de postes conduit, pratiquement chaque année, à ce que l’équivalent des emplois d’un département disparaisse. Cela conduit immanquablement à ce que le CNDS soit fortement sollicité pour faire face à toutes les insuffisances des crédits publics mais aussi cela libère les exigences du CNOSF, tenté d’apparaître comme l’opérateur incontournable des politiques européennes en France. Le débat autour de la gouvernance a traduit ce conflit avec l’Etat tant il pense que la bonne gouvernance c’est celle qui lui permettrait de gouverner ! On se rend compte donc que les PP sont l’objet de tensions venant des stratégies des différents partenaires qui visent à maximiser ses responsabilités et sa reconnaissance auprès des pratiquants et de l’opinion.

Dominique Charrier s’est intéressé à la question de la réalité des pratiques à tous les âges : « gare aux illusions !», dit-il. Ne nous laissons pas tromper par les statistiques qui voudraient laisser croire que seulement 11% de Français ne font pas de sport. Si on enlève la marche utilitaire, nous chutons à 50% de pratiquants, et cette chute n’est pas liée au hasard mais à des variables économiques : la pauvreté (plus de 8 millions de pauvres recensés), la précarité (temps partiel subi), la flexibilité (emploi du temps imprévisibles), pèsent sur le pouvoir d’achat et marginalisent, de plus, très fortement les femmes.

L’économiste conteste l’idée de démocratisation du sport parce que, dit-il, il n’y a jamais eu de dynamique.
Le « boom » des années 1970/1990 s’explique par l’arrivée des femmes et les déclins constatés, aujourd’hui, sont liés aux abandons féminins. Les besoins en financement sont donc importants si l’objectif d’implanter le sport dans toutes couches sociales est réaffirmé par l’Etat. Polémiquant avec W. Andreff, il estime que le 1% du budget dédié au sport, à conquérir en cinq ans et assis sur des recettes nouvelles stables, restait un objectif tout à fait crédible.

Il revenait à François Husting d’aborder un sujet, peu vendeur en France au moment des présidentielles : celui du rôle de l’Europe. C’est un sujet trop peu traité par le SNEP et par EPS et Société, bien qu’il mobilise de nombreuses décisions. Il s’est attaché à expliciter des pistes de réflexion pour montrer que la seule affirmation, que c’est la faute à l’Europe, est une réalité plus compliquée. La libéralisation dont on accuse l’Europe est souvent le fait de choix politiques nationaux qui, en raison du refus d’affronter l’impopularité nationale qui leur est liée, s’en remettent ainsi facilement à l’obligation de transposition des règles décidées par la commission européenne. Depuis le TFUE[[TFUE = Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne adopté le 1 décembre 2009, notamment les articles 6 et 165 concernant le sport. ]] de Lisbonne, dit-il, il s’agit moins d’une remise en question des modèles généraux de fonctionnement du sport que de sa défense contre la commercialisation et professionnalisation que ce secteur connaissait ; les règlements et organisations sportifs n’ont été remis en question que lorsqu’ils devenaient de potentiels obstacles aux règles d’organisation du marché intérieur. Cette approche n’est contestée, dit-il encore, que par tous ceux qui voudraient ne faire du sport qu’un marché. L’arrêt Bosman, est, pour partie maladroit, tant la spécificité de ce milieu a été mal appréciée et il constitue certainement un élément de commercialisation du sport. Mais que reproche-t-on à l’Europe (commission, cour de justice), ajoute-t-il ? La professionnalisation du sport, mouvement largement amorcé à l’époque et dont l’Europe n’est pas responsable, ou la nécessité de régulation en lui appliquant les règles du travail ? La professionnalisation est soutenue et organisée (régulation) pour en faire un marché plus contrôlable par les intérêts marchands en lieu et place d’un espace public, dont l’auteur, prenant l’exemple français, feint de ne pas comprendre ce curieux mélange, de public et privé et dont le montage est contestable. La question mériterait certainement un débat approfondi. Dans l’immédiat, le programme sport de l’Europe,2014/2020, doté de 240 millions d’euro, fixé autour de la promotion de l’inclusion sociale (cohésion), la santé, l’égalité des chances, ne cherche pas à se substituer aux politiques nationales mais à les soutenir. En conclusion, F. Husting voit dans les politiques européennes une promotion du sport comme un état d’esprit, une manière de vivre, n’empêchant pas le développement de politiques publiques pour le plus grand nombre.

Les réponses d’acteurs du sport

Pour Jean Paul Grandière, élu de l’ANDES [[ANDES = Association Nationale Des Élus en charge du Sport]], les communes sont au cœur des dispositifs pour élargir l’accès de tous aux pratiques sportives : scolaires, séniors, associations diverses, haut niveau, handicapés, mais aussi toutes celles et ceux qui viennent porteurs de projets particuliers et, de plus en plus, hors de l’associatif commun. C’est cet ensemble qui doit être écouté, organisé, pour éviter les crises immanquables liées à la demande d’utilisation des équipements sportifs, souvent en nombre insuffisant : optimisation des installations existantes voire, mutualisation entre les équipements utilisés par les collèges et lycées, création, réhabilitation d’installations tant la demande est pressante et que la réponse pour le plus grand nombre est prioritaire. A cela, s’ajoutent d’autres types d’intervention ; la commune fait œuvre pédagogique à l’égard des scolaires (aides à l’encadrement dans le primaire), et aussi participe à toutes les initiatives qui sont prises sur le terrain du sport (accompagnement éducatif) en même temps qu’elle soutien l’ensemble du mouvement associatif pour réaliser ses objectifs propres, et aussi les aider à élargir leur offre vers des pratiques ludiques et récréatives. Ces demandes posent de plus en plus fréquemment la question de la nature des aménagements urbains à décider (pistes cyclables, espaces de jeux) et donc inscrire ces politiques sectorielles dans un projet éducatif global rendant cohérent l’ensemble des demandes pour tous les âges de la vie. La commune s’inscrit ainsi dans une politique partenariale avec tous les acteurs du sport, à quelque niveau de pratique qu’il se mène, et revendique ainsi sa présence dans toutes les structures de gouvernance que les politiques publiques pourraient instituer.

Dans le cadre tracé par les élus politiques locaux, les fonctionnaires territoriaux mettent en pratique les options décidées. L’ANDIIS [[ANDIIS = Association Nationale des Directeurs et Intervenants d’Installations et des Services des Sports]] est l’association chargée de réfléchir à ces questions et, en même temps de défendre les métiers, portés par les fonctionnaires territoriaux, et structurés depuis 1992 (filière sportive). Sylvie Miled, s’applique à montrer que le grand nombre de communes françaises (36000) produit une grande diversité d’actions appuyées par des budgets sportifs (10% du budget communal en moyenne) et des services des sports. Le sport n’est pas une compétence obligatoire pour les CT (sauf rares exceptions) et, au nom de la clause de compétence générale, celles-ci choisissent l’action sport car l’histoire a ainsi fait que les communes et départements ont été les lieux historiques d’émergence du sport et que les lois de décentralisation (1992 et postérieures) ont laissé ouvertes l’intervention dans ce secteur. La loi impose seulement l’obligation de mise à disposition de moyens d’équipements pour l’enseignement de l’EPS. A côté, les CT mettent en place des services non marchands, liés à la notion de service public (continuité de service, adaptation à l’évolution des besoins, équité entre tous les usagers), qui offre plusieurs types d’actions que l’élu local à exposé précédemment : gestion de patrimoine et des horaires d’occupation, utilisation du sport comme passerelle professionnelle, réflexions et actions autour d’une cohérence territoriale, sachant que le sport se pratique beaucoup dans un lieu social et qu’il structure l’espace public. Le service des sports ne doit pas être perçu comme imposant seulement des normes (liées aux contraintes financières et aux règlements inhérents à une utilisation publique) mais comme un accompagnateur de projets, une boite à outils produisant de l’éducation, accompagnant les divers acteurs, jeunes ou adultes, dans le citoyen qu’ils sont sur leur territoire communal ou territorial. L’intervenante encourage à multiplier les contacts avec ces structures, et souhaite que l’UNSS soit plus visible dans ces territoires.

Qui d’autre serait mieux placé qu’Hélène Barbusse pour expliciter son expérience locale de convergence entre les intérêts d’une commune – Ivry – et un club professionnel de Handball dont elle est la présidente. D’emblée, elle reconnaît que le sport pro a mauvaise presse dans l’opinion et attribue cela au fait que le sport, en France, est une activité importé, que ce rejet est ancien, vif et court tout au long du XXe siècle. Il y a un malaise persistant, précise-t-elle, à admettre que l’on puisse gagner de l’argent en pratiquant un sport, alors que celui-ci devrait être pensé comme un métier comme un autre ! De plus, ces trois dernières décennies ont vu des bouleversements importants dans ce secteur : pratiques « libres », d’entreprises, professionnalisme qui progresse depuis les années 90, salarisation croissante, bref, multiplication d’acteurs aux intérêts qui ne sont pas spontanément convergents. On vit une période essentielle qui appelle de la remise en ordre car une partie du sport pro, avec la négligence des fédérations sportives et le désengagement de l’Etat, s’est autonomisé (Ligues pro), a prit le pouvoir en accentuant le caractère marchand et spectaculaire de ce type de pratiques. Tout cela appelle une nouvelle organisation du sport qui ne fasse pas de la pratique de masse et professionnelle d’éternels opposants. L’exemple d’Ivry montre qu’un club, qui puise ses joueurs professionnels dans les 8000 pratiquants du club de la ville, peut assurer une continuité dans le cursus de jeu en même temps qu’une rupture au niveau des exigences lorsque ceux-ci deviennent pro. Cela nécessite, pour garantir la pérennité du processus, que de nouvelles dispositions soient prises concernant les équipements sportifs, l’économie du sport pro respectant la logique sportive et que, somme toute, la totalité du sport pro soit réexaminé dans son fonctionnement.

Cohérence ? Combien de fois cette exigence n’a-t-elle pas été rappelée ! L’expérience de la Seine-Saint-Denis, avec son CDOS, est un exemple, peut-être unique en France, d’une tentative de réflexion d’actions coordonnées pour faire progresser une vision unitaire du sport. Jean-Paul Mouillesseaux a décrit cette longue marche d’une « charte » qui, partant d’un territoire particulièrement mal doté en équipements sportifs, tente de rattraper son retard en rassemblant toutes les énergies disponibles : OMS, IA, clubs haut niveau, associations, université, élus locaux, SNEP. Un diagnostic partagé a pu être dégagé sur la nature des obstacles principaux au développement du sport dans le département. Des soirées publiques, bien suivies, ont débouché sur un ensemble de cinq engagements qui valent, maintenant, référence commune dans les négociations avec les responsables publics. Pour dépasser les conflits antérieurs, nombreux et parfois violents, un comité de suivi a été mis en place. Sur les quarante communes du département, 33/34 ont déjà ou vont signer, 70 associations ont rejoint le processus, le schéma de cohérence territoriale est piloté par le CG 93 et est en cours d’effectuation, un plan de rattrapage des équipements est soutenu par l’Etat à hauteur de 15 millions d’euro. Bref, cette démarche a permis aux acteurs de retrouver le moral ; les tensions se sont apaisées, le travail ensemble a été rendu possible et l’intervenant souhaite que leur démarche irrigue d’autres départements.

Ce texte est paru dans Contrepied HS n°4 – sept 2012 – Sport demain, enjeu citoyen