De l’EPS à la section sportive, en passant par l’AS

Temps de lecture : 8 mn.

Guy Josseron est un spécialiste de l’enseignement de l’escalade. Confronté à une nouvelle hétérogénéité au collège de Cognin(73), il propose une démarche qui l’amène jusqu’à la section sportive avec, à chaque niveau, des préoccupations qui prennent en compte la sécurité mais aussi la responsabilisation des élèves, dans le but de parvenir aux progrès pour chacun(e) et à leur émancipation.


Depuis que j’enseigne (une trentaine d’années), j’ai constaté une évolution sensible de la population scolaire caractérisée par la cohabitation, dans la même classe, d’élèves de plus en plus sédentaires en surpoids ou obèses, et d’élèves sportifs de plus en plus spécialisés et surentrainés. La gestion de cette nouvelle hétérogénéité interroge, au delà des procédures pédagogiques, les choix des contenus d’enseignement. A cette réalité s’ajoute une particularité qui est forte dans les APPN (cf CP Foot) : l’augmentation de l’absence de jeunes issus des couches populaires dans la pratique volontaire, y compris après des cycles d’enseignement où une réelle motivation pour l’escalade était présente.

La démarche qui suit s’efforce de tenir compte de ces constats : enseigner en EPS un savoir grimper que tous et toutes doivent maîtriser en bloc et moulinette corde molle, puis à l’AS l’escalade sportive finalisée par des rencontres compétitives sur SAE, de bloc ou de difficulté (grimpé en tête avec corde) et des voies d’une longueur en falaise. La section sportive permet d’acquérir une autonomie complète en falaise (enchainement de voies de plusieurs longueurs) en plus du développement du niveau de performance.

L’enseignement est programmé pour deux cycles en 6e et 5e avec pour objectif le développement maximum de la motricité en bloc et l’escalade en moulinette corde molle avec l’apprentissage de la chute et de son assurage dynamique . Ces choix correspondent, si on est guidé par la réussite de tous, à la nécessité de passer par des apprentissages qui relèvent de la psychomotricité élémentaire pour certains : sauter, rouler , se déplacer en quadrupédie sur des supports d’inclinaisons variées, agrès…, pour parvenir à dépasser des blocages quasi phobiques : j’ai installé des échelles de longueurs différentes sur le mur pour faire grimper des élèves jusqu’à 7m : leur performance !

L’AS c’est la découverte de l’escalade sportive et du milieu naturel.

  • 1er trimestre : préparation aux compétitions de blocs et apprentissage du grimper en tête au premier trimestre, pour les débutants ; pour les plus experts c’est la recherche de performances en tête, avec un travail sur des voies de plus en plus difficiles, associé à des exercices d’endurance, de force, de lecture, de placements, de rythme et de gestion de l’effort.
  • 2d trimestre : compétitions de difficulté sur SAE et formation de jeunes officiels (objectif :3 ou 4 équipes qualifiées pour le championnat académique).
  • 3ème trimestre : sorties en falaise
  • Débutants : moulinette installées par les experts ou GET sur des voies faciles suréquipées
  • Experts : grimper en tête dans une recherche de performance (connaitre son niveau réel en milieu naturel en fonction du type de voies, dalle/mur/dévers)

L’AS est donc la gare de triage : ses formes de pratiques spécifiques suffisent à certains élèves, perfectionnement, rencontres compétitives, initiation falaise. En falaise : les experts posent les moulinettes. On utilise prioritairement des sites sportifs conventionnés par la FFME où l’équipement est vérifié.

En site découverte ( cf FFME) il suffit de savoir faire la manœuvre de sommet de voie. Ces manœuvres peuvent s’apprendre en pied de voie et en gymnase. En salle de pan, la protection des tapis permet beaucoup plus d’expérimentation par les élèves puisque l’erreur est permise. En falaise comme les accidents arrivent le plus souvent avec les meilleurs, j’utilise des jumelles pour vérifier avant chaque départ si cordes et mousquetons sont bien en place avant de donner mon accord. Pendant la manip je demande à l’assureur de faire une queue de vache après le descendeur ce qui lui permet de se déconcentrer sans conséquences. Il faut obliger les élèves à associer systématiquement une consigne, une indication, au prénom de l’assureur pour éviter les confusions entre deux cordées proches.

La section sportive
12 élèves par niveau (5e, 4e, 3e), s’adresse à ceux qui veulent s’engager dans une recherche de performance (qu’ils peuvent poursuivre au club de Chambéry) et qui veulent acquérir une autonomie complète en falaise. Nous disposons d’un mur extérieur et d’une salle de pan ainsi que d’une falaise d’initiation à proximité. Un accord avec le club permet aux 3ème de s’entrainer le jeudi AM dans une grande salle de pan (Croizat).
Le samedi matin une salle privée au Bourget nous accueille lorsque la météo ne permet pas les sorties sur site naturel.
Nous essayons de participer à certaines manifestations organisées par le comité pour que les élèves découvrent un peu la montagne (raquette à neige – recherche DVA – via cordatta). Les élèves participent à l’entretien et au désherbage de la falaise proche du collège pour essayer d’éviter de n’être que de simples consommateurs (nous avons pu ainsi équiper 7 nouvelles voies). Il faut donc apprendre les manœuvres spécifiques pour travailler sur corde. L’apprentissage des relais et des réchappes (sur broche ou plaquette- rappel-remontée sur corde, mouflage) permet leur réelle autonomie finalisée par un stage d’une semaine à Orpierre fin juin qui se termine par l’ascension d’une voie de 5 longueurs par cordée de 2 élèves.

Le grimper en tête ça s’apprend.
Il repose au moins sur trois fondamentaux : la maitrise de l’équilibre sur trois appuis en sécurité, le mousquetonnage et le vol avec assurage dynamique.

Pour le premier, les jeux de blocs vers des équilibres de plus en plus instables sont utilisés pour favoriser des positions extrêmement variées qui vont rendre nécessaires l’utilisation de prises de pieds d’orientation variées (carres externes, internes, adhérence…), des prises de mains de formes et d’orientations variées (verticales, inversées, obliques, plat, crochetantes, des pincettes, des réglettes…). Les sensations kinesthésiques sont sollicitées et l’équilibre doit être préservé pour pouvoir libérer une main. La lecture doit s’apprendre en même temps pour repérer les prises et les positions de mousquetonnage (au début je mets un scotch ou un trait de craie dessus ou je demande à l’élève de montrer au laser ses choix) et associer la position du corps par rapport à cette prise. Pour améliorer les placements je questionne ou fais amplifier les erreurs pour optimiser les positions et éviter les mousquetonnages à bout de bras également très dangereux car ils augmentent les hauteurs de chute.

Le mousquetonnage : on commence en moulinette : avec une corde à sauter nouée sur le pontet ou en démousquetonnant en second de cordée, idem pour poser ou retirer les dégaines du porte matériel. La dégaine doit être correctement orientée, doigt courbé en bas, ouverture opposée à la direction du grimpeur. Un apprentissage gestuel spécifique des doigts est nécessaire pour passer la corde dans le bon sens (sangle non vrillée). Des circuits de blocs équipés de dégaines avec une corde à sauter fixée au pontet permettent une grande quantité de répétitions.

La chute doit être maîtrisée. On commence en moulinette corde molle, c’est à dire avec un ventre, une brassée de corde jusqu’aux genoux de l’assureur. Le grimpeur doit accepter de se lâcher dans l’espace arrière. L’assureur doit évaluer la hauteur de la chute en fonction du mou donné. Rapidement il faut dynamiser l’assurage, ne plus bloquer la chute mais l’amortir en sautant ou en avançant, souvent l’assureur peut monter plus haut que le grimpeur en fonction de la hauteur de la chute et du poids respectif des grimpeurs. La bonne appréciation des différents paramètres ainsi que la bonne synchronisation doit être bien maitrisée en moulinette ce qui permettra, lors du grimper en tête, de transformer la trajectoire circulaire en trajectoire plus verticale pour éviter les chocs sur la paroi. Ce travail d’expérimentation en moulinette peut se faire à partir de la 2è dégaine. Cet apprentissage diminue également les chocs subis par le dos du grimpeur. En tête on peut aménager un par terre avec des tapis de chute, et un autre tapis contre le mur. Si blocage, le grimpeur arrive sur le tapis posé contre le mur. On demande alors à l’assureur d’avoir les jambes fléchies : lors de la chute il attend la tension de la corde et saute, ou avance, si trop dynamisé le grimpeur arrive sur le tapis au sol. Le grimpeur doit valider. Il faut permettre l’essai-erreur pour transformer ça en sensations, en faire un réflexe, afin de le reproduire ailleurs, dans un autre contexte et ne plus vivre la chute comme un accident.

Cet apprentissage de l’assurage dynamique, constitue pour moi un prérequis avant d’envoyer les grimpeurs en tête.

L’apprentissage des techniques de sécurité ne doit pas « vampiriser », pendant le cycle, le temps consacré à la quadrupédie. Une bonne motricité reste la meilleure des techniques de sécurité. 

Ces apprentissages acquis, la durée des mousquetonnages dans la voie diminue (moins de sueurs froides pour le prof), la chute est vécue avec davantage de sérénité et donc plus de plaisir.( j’ai remarqué que les progrès de l’élève à l’assurage entrainent réciproquement une meilleure acceptation de la chute)

La sécurité en falaise 
il faut que l’élève sache s’adapter quelque soit la situation rencontrée. Il faut donc qu’il apprenne souvent plusieurs techniques et il faut qu’elles soient adaptables. La façon dont l’apprentissage s’est fait est importante. Si l’élève est un simple applicateur, souvent il panique lorsque la situation en falaise varie alors que s’il a « bricolé » pour apprendre il s’adapte plus facilement. Pour cela une salle de pan aménagée en conséquence, permet de travailler toutes les manipulations sans danger, expérimenter toutes les techniques de sécurité avec du matériel et des configurations les plus variées possibles. L’élève sera moins démuni en falaise s’il raisonne selon des principes de sécurité et n’applique pas des consignes sans en comprendre le sens.

Les contenus  
manœuvre de maillon avec ou sans mousqueton à vis, cabestan, demi cabestan à savoir faire des deux mains, remontée avec cordelette et machard ,descente en rappel auto assurée, réchappe sur broche ou plaquette, remontée avec gri-gri et jumard pour pouvoir travailler sur corde fixe lors du nettoyage de la falaise, relais en réversible et en flèche, mouflage de la civière de secourisme, installation de tyrolienne ou de pont de singes!

Le but visé est de créer les conditions d’un accès à l’autonomie des jeunes désirant escalader sans encadrement lors de leurs loisirs sans les mettre en danger. Astuce : apprendre le rappel auto-assuré en partant du pied de la voie en remontant avec le machard de la cordelette et la corde enroulée autour du pied ( ils se vachent à la première ou seconde dégaine pour installer leur descendeur). Vous êtes surs que les élèves qui remontent sont donc en sécurité car leur auto assurage est efficace ce qui n’est pas le cas lorsqu’ils partent du sommet de la voie !

Entretien réalisé par JPLepoix

*guy.josseronducoeur(@)wanadoo.fr
4 rue du Mt Cenis 73000 Chambéry
Collège Henri Bordeaux 73160 Cognin

Cet article est tiré du Contrepied Escalade (Hors-Série n°11 – Janv 2015).