Rencontre avec Luc Abalo, un des meilleurs ailiers de HB du monde, dans la salle de Kiné au sous-sol du stade Coubertin à Paris. Ça dit déjà beaucoup de ce sport et de ce genre de sportif, à la fois dans l’excellence internationale et en même temps en contact avec la vie ordinaire. Très concentré sur sa table de soin, il évoque ce qu’est ce sport dans le monde de la haute performance et les qualités qu’il requiert pour en être partie prenante.
Actuellement tu marques en moyenne 6 buts par match, à quoi attribues-tu cette réussite ?
Je n’ai pas toujours marqué autant, en général je me contente d’en marquer 3 ou 4 et réaliser d’autres choses par contre comme essayer d’attirer par mon jeu, deux adversaires sur moi et donner la balle, créer un peu de jeu
Un jeu plus créatif ?
Le but du jeu c’est de créer le surnombre d’un côté pour qu’il y ait un espace de l’autre : par exemple si je gagne le 1C1 un équipier va venir m’aider pour poursuivre ; j’essaie de faire venir 2 joueurs sur moi et dès que je vais lâcher la balle il y aura surnombre, à partir de là c’est gagné et ce n’est pas forcément moi qui vais finaliser l’action. Il y a des joueurs plus finisseurs que moi et de toutes façons, si je mets 6 buts dans un match je ne les mets pas tout seul. C’est vrai par contre que je ne me contente pas de rester à mon aile et de marquer toujours de là.
Lors des contre-attaques, on a l’impression que tu cours de tous les côtés, as-tu un projet défini, une stratégie de déplacements ?
C’est pensé avant le match, je l’ai déjà fait auparavant, je sais donc ce que je vais faire : soit j’appelle la balle pour marquer, soit je me déplace pour attirer des défenseurs sur moi pour offrir des solutions à mes équipiers. Ce sont des choses que l’on travaille à l’entrainement, il est nécessaire de savoir ce que vont faire les autres.
Tu travailles plus à essayer d’identifier ce que font partenaires et adversaires que de travailler ta technique individuelle ?
Il y a des registres sur lesquels on ne progresse plus, des qualités acquises qu’il s’agit d’entretenir. Mon travail aujourd’hui porte sur la précision, dans le tir par exemple, et le travail collectif en fonction des caractéristiques des équipes adverses et de mes co-équipiers : arrivé à un certain niveau technique, on travaille presque exclusivement sur le collectif. C’est pourquoi on ne peut parler de création, je n’invente rien, en fait je fais juste mon travail pour essayer de créer une zone de danger pour l’adversaire.
En disant cela tu dis le contraire de ce que disent certains sportifs centrés sur leurs réalisations personnelles. C’est toi qui n’es pas centré particulièrement sur ça ou bien c’est le HB moderne qui exige cela ?
Le HB est un sport collectif, le but c’est de gagner collectivement. Je pourrais penser à mes statistiques, et au bout du compte j’aurais bien joué, mais mon but c’est de gagner le match, je ne joue pas pour briller mais pour faire briller l’équipe. La « roucoulette » d’accord je la fais bien, mais d’abord ce n’est pas moi qui l’ai inventée. En contre-attaque je pousse la balle dans ma course en conservant la main en bas quand le gardien s’attend à ce que je monte en suspension pour tirer. C’est un de mes trucs, je ne le fais pas systématiquement, je l’ai travaillée, mais je la fais de manière instinctive, quand je sens que ça va être efficace : en match on travaille aussi !
En contre-attaque, dans un match, est-ce que tu reproduis un schéma travaillé à
l’entrainement ou bien, en fonction, de la lecture du jeu que tu fais, tu vas décider de ça ou autre chose ? Tu reproduis ou tu essayes quelque chose de nouveau ?
En match tu as 4 ou 5 alternatives qui s’ouvrent devant toi, mais en fait ce sont toujours les mêmes. Pour que ça marche il faut souvent faire les mêmes choses. Dans ma tête j’ai 5 ou 6 possibilités, après il suffit de regarder le comportement du défenseur et je choisis. La marge de créativité dans ce genre de situation est relativement limitée. La créativité ne fait rêver que ceux qui n’y connaissent pas grand-chose. Dans le port de haut niveau il n’y pas tant de surprises que ça. C’est plus une question de rapidité, de précision du joueur, de son style, ses qualités personnelles… mais pour les combinaisons c’est à peu près toujours les mêmes.
Que dirais-tu du jeu actuel ?
Des entrainements sans doute plus efficaces, des coordinations de joueurs plus travaillées et encore ça dépend de l’entraineur. J’ai joué à Ivry, en Espagne et à Paris. En Espagne on m’a appris l’inverse de ce que j’avais appris à Ivry. Par ici on me disait de ne pas dribbler parce que la balle est petite et difficile à contrôler. Là-bas on me demandait pourquoi j’arrêtais de dribbler, qu’il fallait continuer. Ici il fallait que j’arrête mes chichis que je ne fasse pas de feintes de passes ; la bas il fallait que je rende fou mon adversaire… Maintenant ça va vite, le jeu gagne en intelligence collective.
Entretien réalisé par B. Cremonesi et JP. Lepoix et paru dans Contrepied HS N°6 – Handball