Le rapport santé et sport fait tellement parti du sens commun qu’il n’est plus interrogé. Au colloque, une table ronde réunissant une représentante du sport scolaire (USEP) et deux médecins, y a été consacrée. Revue de problématiques réalisée par Christian Couturier.
Tout le monde, regardant le sport comme phénomène culturel, observe les mêmes tendances. Les enquêtes nationales et européennes mettent en évidence un lien massif entre sport et santé dans les représentations. Le dernier « Eurobaromètre » (2010) montre pour ceux qui en doutaient, que les citoyens de l’UE font avant tout de l’exercice (du sport ou une activité physique) pour des raisons de santé : pour améliorer sa santé (61%) ou être en meilleure forme (41%). Ces enquêtes ne définissent jamais les termes employés, ce sont les sondés qui y mettent le sens qu’ils souhaitent. Ça laisse planer un doute méthodologique. Le rattachement du ministère des sports à celui de la santé sous le gouvernement Sarkozy est un autre symptôme des glissements opérés, qui consistent à faire de la santé une finalité, et du sport un outil à son service. L’EPS, sans épouser encore totalement ce chemin, tend à s’en rapprocher de plus en plus, au moins dans certains discours. Le poids mis sur la santé et les activités de la « CP5 » comme outils (en lycées généraux et professionnels) dans les préoccupations et préconisations officielles est également révélateur : la santé tend à devenir une fin en soi, un but à atteindre.
Du sport-santé incontestable…
Ce colloque se devait d’interroger cette évidence. Le bilan de l’observation de ce qui se passe, effectivement, dans le mouvement sportif est assez tranché : nous avons d’un côté celles et ceux qui ne questionnent pas cet élément nouveau qui consiste à faire du sport un instrument exclusif au service de la santé, qui ne questionnent pas non plus d’ailleurs la conception de la santé elle-même, celle du sport, et qui mettent en œuvre des plans et des évènements pour des publics cibles… L’objectif se résume parfois concrètement à attirer des financements européens ou nationaux, en se gardant généralement de produire des évaluations sérieuses en terme de résultat et d’impact sur la santé. Seules quelques enquêtes de satisfaction des publics verront le jour. C’est la démarche la plus évidente. Les fédérations, les clubs, mais aussi l’Ecole à travers le sport scolaire (UNSS, USEP) tentent d’engager des programmes, au demeurant intéressants, qui interrogent rarement, dans les faits, les présupposés des politiques annoncées. A titre d’exemple l’USEP, dans un dossier de presse pour son programme « attitude santé » dont nous avons eu une présentation au colloque, rappelle : « Avec ses partenaires, l’USEP cherche à développer le goût et la culture d’une pratique physique équilibrée passant par le plaisir et aider l’enfant à devenir acteur de sa santé. Le réseau USEP au regard de ses valeurs citoyennes accorde depuis toujours une place prépondérante à la santé. Dans les limites qui sont les siennes, l’USEP veut apporter des réponses aux préoccupations publiques internationales dans ce domaine, notamment pour ce qui concerne la lutte contre la sédentarité en liaison avec la nutrition et l’hygiène de vie ». S’en suit tout un tas d’outils pratiques et concrets, fort bien faits, pour mettre en œuvre ce programme dès la maternelle (voir pour plus de détails le site de l’USEP www.USEP.org). On pourra trouver une priorité similaire sur le site de l’UNSS (www.UNSS.org) avec le programme « Bouge… une priorité pour ta santé »
Ces exemples parlent à tous les enseignants d’EPS qui à un moment ou à un autre ont été en situation de produire un projet déclinant, sur le champ des APSA, les politiques officielles.
Au sport-santé contesté…
D’un autre côté nous avons celles et ceux qui résistent, critiquent, refusent, et mettent en évidence les risques de cette politique. Il est étonnant de constater que souvent cette critique vient des médecins eux-mêmes. En 2004 au congrès du SNEP, le professeur Tubiana, sommité reconnue dans le monde médical, nous alerte en disant clairement que la santé n’est pas une finalité, mais au contraire un moyen, un outil pour se réaliser. D’une autre façon, le Professeur Rieu, invité connu pour son activité contre le dopage notamment, nous incite à faire du sport pour ce qu’il apporte vraiment sans chercher à l’instrumentaliser. S’il note des dérives certaines en matière de santé dans les pratiques de haute performance, il faut, a-t-il dit, arrêter de le « médicaliser ». Beaucoup plus radicale, à ce même colloque, Marie José Del Volgo, explique que la définition de la santé de l’OMS induit des pratiques et une conception « totalitaire » qui oblige, sous peine d’être stigmatisé, à se comporter d’une certaine façon pour bien se porter. Partant du point du vue du malade (mucoviscidose, sida, cancers…) elle dit comment peut être insupportable cette injonction quotidienne car elle renvoie à une vision unique du citoyen. Tous ceux qui s’écartent de cette norme seraient soit des incapables, soit des déviants… Elle montre d’ailleurs que la lecture, le cinéma, la peinture peuvent être aussi, voire plus, efficaces que le sport pour la santé. Son introduction lors de la table ronde est parfaitement explicite : « Le dernier livre de Roland Gori -La Dignité de penser- fait l’éloge des récits d’expériences loin des évaluations quantitatives qui sévissent dans tous les champs de la connaissance et du formatage des discours savants actuels. Notre ouvrage, La Santé totalitaire, exprime notre défiance à l’égard d’une conception de la santé qui voudrait que l’on dise aux citoyens « comment ils doivent se comporter pour bien se porter », le sport faisant partie de la médicalisation des esprits et des corps. Le sport se trouverait dans une démarche de subordination à une bonne santé, il conviendrait de faire du sport pour bien se porter faute de quoi nous serions en mauvaise santé.
Que dire alors à ceux-là qui ne peuvent pas faire de sport ? Malades, invalides, personnes très âgées, tous condamnés à être de mauvais citoyens, non performants et à la charge de la société ?
N’est-ce pas déjà une forme de totalitarisme que de distribuer ainsi les hommes et les femmes selon leurs performances physiques et mentales, voire sociales.
L’OMS contribue très tôt à cette idéologie en définissant dès son origine, en 1946, la santé comme un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Cette marche triomphante a trouvé son apogée lorsqu’en 1990, en pleine épidémie de sida et sans traitement alors, cette digne organisation promettait la santé pour tous en l’an 2000. On connaît aujourd’hui en 2012 la suite de l’histoire »
Donc, indépendamment de ce que chacun peut penser sur le sujet, et sans porter de jugement de valeur sur la qualité de l’action de chacun, la première conclusion après la table ronde tend à montrer que la phase de problématisation, dans la société, a été occultée au profit de l’affichage d’un sens commun : le sport (et on peut étendre à l’EPS), est un moyen pour développer sa santé !
Si l’on poursuit quelque peu la réflexion, les choses se compliquent, car non seulement le « sport-santé » devient une politique à part entière, au moins en apparence et en financement, mais elle est présentée comme devant s’opposer à d’autres catégories : le sport-compétition, le sport-loisir, le sport-éducatif… Autrement dit la santé serait incompatible avec la compétition par exemple. Or la découverte, l’accomplissement, le dépassement de soi, autant de notions qui font partie intégrante d’une définition moderne de la santé, peuvent tout à fait advenir dans le cadre de rencontres ou de compétitions, et, bien sûr, dans une pratique exclusivement conviviale ou dans d’autres formes. C’est ce qu’a rappelé d’ailleurs fort justement le professeur Rieu.
Un rapport paradoxal à la définition de l’OMS
Tout le monde cite aujourd’hui la définition de l’OMS : le candidat au CAPEPS, le projet d’établissement, le club…. Elle devrait faire l’objet de discussions sérieuses. Sa critique radicale par MJ Del Volgo pourrait nous amener à la rejeter en bloc au nom de son éloignement avec « la vraie vie » (maladies génétiques, accidents…). Mais, dans son application concrète, particulièrement dans notre champ du sport ou de l’EPS, elle peut rester un horizon viable car aujourd’hui on nous en montre la plupart du temps que l’aspect biologique et physiologique, souvent même réduits au « cardio-vasculaire ». La dimension psychologique et sociale peut alors nous apparaître comme une conquête à venir… Bref, la santé, comme le sport, ne sont pas des objets figés. Ils ont été, ils sont et resteront des objets de luttes pour sortir des carcans imposés.
Alors le sport-santé ?
Le « sport-santé » devient un label. Qui repose sur quelles pratiques ? En fait, lorsqu’on regarde de près, c’est suffisamment hétéroclite pour que l’on puisse considérer que la catégorie n’est pas valide. Car, ne nous y trompons pas, les campagnes de l’institution sur la santé ne parlent que de « bouger », au moins une demi-heure par jour ! Pourquoi alors investir dans le sport si au bout du compte il suffit de marcher une demi-heure ?
A courir derrière la santé, le sport (et par extension l’EPS) risque de s’épuiser. Pourquoi ne pas simplement faire campagne sur ce pour quoi le sport a été inventé : permettre le jeu de la confrontation physique avec soi, les autres, le milieu naturel, etc. pour simplement acquérir de nouveaux pouvoirs d’agir et donc participer activement à son propre développement et à celui, plus universel, de la culture sportive.
Ce texte est paru dans Contrepied HS n°4 – sept 2012 – Sport demain, enjeu citoyen