Le sens de l’activité « acrosport » : d’abord des acrobaties !

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Carine Charlier, vient de rentrer des championnats du monde en Chine où elle a officié comme juge à la difficulté. Nous l’avons questionnée sur les évolutions de la gymnastique acrobatique de haut niveau. Conseillère technique nationale à la fédération française de gymnastique et par ailleurs membre de la commission mixte nationale UNSS-FFG, elle a travaillé avec Françoise Barthélémy, responsable des activités gymniques à la direction de l’UNSS, pour faire le point sur les relations entre les deux secteurs de pratique : UNSS et fédération. Elle a contribué à la rénovation du code UNSS de gymnastique acrobatique.

Carine Charlier, pouvez-vous revenir sur votre parcours ?

J’ai commencé en faisant de la gym artistique. J’ai fait partie de l’équipe de France et participé aux JO en 92. J’ai découvert le monde de l’acrosport avec mon frère et ma sœur qui faisaient du trampoline. A l’époque la gym acrobatique faisait partie de la fédération de trampoline et sports acrobatiques (FFTSA). Lorsque je suis entrée en STAPS, j’ai commencé à entraîner dans un club d’acrosport pour donner un coup de main notamment sur les aspects acrobatiques. Je suis professeure de sport depuis 1996, j’ai basculé ensuite comme CTS à la fédération française de gym en charge de la gym acrobatique qui, vous le savez, a pris cette appellation depuis 2005.

Nous avons pris le parti, dans notre numéro, de la dimension prépondérante de l’acrobatique par rapport à « l’artistique ». De retour de Chine pouvez-vous nous dire comment se travaille cette tension dans les compétitions internationales ?

Au début de l’acrosport dans les années 70/80, le code de pointage faisait état de deux critères : un premier sur la difficulté (qui permettait de déterminer une note de départ) et un deuxième sur la note d’exécution. Dans les premières compétitions, les quatuors garçons devaient présenter pour leur exercice statique une pyramide unique. Ils entraient sur le praticable pour réaliser leur pyramide et sortaient. Cela montre bien que le cœur de l’activité historiquement ne prenait pas en compte la dimension dite « artistique ».
En 2000, la fédération internationale a introduit la note artistique. Nous avons conservé une note d’exécution sur 10 points et une note artistique sur 5 points. Mais là encore, nous avons une prédominance de la note d’exécution. Aujourd’hui dans les compétitions nationales et internationales, les 3 notes difficulté, exécution et artistique, sont séparées.

La notion « d’artistique » en gymnastique acrobatique fédérale fait appel à plusieurs critères :

  • la composition et la qualité de la chorégraphie
  • le choix des éléments dans leur variété et leur difficulté. La dimension artistique n’est pas coupée de la dimension acrobatique.
  • Le rapport musique mouvement et l’expression
  • Le partenariat

Les championnats du monde de Chine ont confirmé que le choix des pyramides a un impact sur la note « artistique ». L’équipe chinoise garçons qui est devenu championne du monde réalise plusieurs triple saltos, des rattrapes extrêmement complexes et des éléments sur un bras en quatrième hauteur. On constate une évidente tendance à valoriser la dimension acrobatique.

«La volonté est vraiment d’affirmer que le sens de l’activité est de produire de l’acrobatie. La note « artistique » est là pour mettre en avant l’acrobatie. »

L’évolution règlementaire confirme nettement cette tendance. Dans le prochain code de pointage de l’an prochain, la note d’exécution va être multipliée par 2. La volonté est vraiment d’affirmer que le sens de l’activité est de produire de l’acrobatie. La note « artistique » est là pour mettre en avant l’acrobatie.

Qu’en est-il dans les compétitions françaises ?

Au niveau français, la note artistique est évaluée à partir des critères évoqués ci-dessus. Nous avons mis en place une progressivité des critères en fonction du niveau de la compétition car nous estimons qu’il y a beaucoup de critères qui ne peuvent être acquis qu’avec une certaine expertise. Les premiers critères sont centrés sur la composition et la réalisation « chorégraphique » afin que les gymnastes soignent la qualité de leur chorégraphie. Dans un deuxième temps, une intention expressive liée à la musique doit être recherchée. Ces critères nécessitant une maitrise importante de la chorégraphie, la gestion des émotions, l’expression, le rapport à la musique, seront réservés au plus haut niveau de compétition.
Lors des championnats du monde en Chine, les équipes capables de produire la plus grande émotion articulent, en général, une forte maitrise technique et les acrobaties les plus compliquées, avec la plus grande amplitude. La tendance est vraiment de se consacrer à la dimension acrobatique et de mettre l’artistique à son service.
Quel que soit le niveau de pratique, la nécessité de consacrer un temps important à l’entraînement des difficultés, en sécurité, afin de préserver au mieux l’intégrité physique des gymnastes, impose en quelque sorte qu’ils, elles ne soient pas perturbé·e·s par des acquisitions trop importantes sur le plan artistique.

Devenez-vous de plus en plus des acrobates ?

La finalité du sport est la compétition, avec des règles du jeu précises, auxquelles les gymnastes vont se conformer et s’adapter. L’enjeu pour les gymnastes n’est pas de produire de l’émotion chez les spectateurs/trices (même si ce peut être la conséquence d’une performance réussie), mais d’avoir le plus de points possible à partir du code de pointage et des critères de notation.
Actuellement c’est le monde du spectacle qui vient recruter dans le monde sportif et non l’inverse. Pendant les championnats du monde, comme dans toutes les grandes compétitions internationales, il y a des recruteurs des grands cirques contemporains et notamment du Cirque du Soleil.

« Actuellement c’est le monde du spectacle qui vient recruter dans le monde sportif et non l’inverse. »

Du point de vue de la pratique du haut niveau, pensez-vous qu’il faut valoriser les pyramides statiques ou dynamiques ?

Le travail statique c’est la base du travail. En ce moment, la fédération internationale souhaite remettre en avant le travail du mains à mains. Elle considère que ce type de pyramides constitue un fond culturel important de la gym acrobatique et qu’elle doit retrouver sa place au sein des choix de pyramides. D’un point de vue biomécanique, pour réaliser une pyramide dynamique, il faut générer des envols donc synchroniser des actions de poussée. C’est plus compliqué que pour un individu seul, comme par exemple en gym, qui va, à chaque fois, prendre appui sur un support de même nature. Lorsqu’il y a plusieurs partenaires à synchroniser, la difficulté consiste à construire ce qu’on appelle le tempo, déterminant pour pouvoir réaliser des pyramides dites dynamiques.

Dans le cadre scolaire ou dans les tous premiers niveaux de pratique, nous avons aménagé une règlementation adaptée où les pyramides dynamiques correspondent essentiellement à des éléments que l’on fait en mouvement : on les appelle des éléments accompagnés. C’est le cas par exemple du flip avec partenaires. Elles sont très intéressantes car elles permettent de travailler la synchronisation entre partenaires et favoriser l’apprentissage des éléments d’acrobatie.
à ces niveaux, il y a ¼ de pyramides dynamiques et ensuite, plus l’expertise augmente, plus le nombre de pyramides augmente pour arriver à un ratio de 50/50.

Quelles sont les épreuves du sport scolaire ?

À la commission nationale mixte UNSS, où je suis depuis 2002, nous travaillons sur un code de pointage à la fois pour le niveau excellence et pour les équipes d’établissement. Nous essayons de créer des passerelles entre les deux mondes. Non pas simplement selon un mode descendant du monde fédéral vers le monde scolaire mais au contraire, la fédération fait évoluer sa règlementation en matière de gymnastique acrobatique en fonction des retours que nous avons du monde scolaire. Ainsi le programme excellence UNSS est aujourd’hui entièrement commun avec la règlementation des premiers niveaux de compétitions fédérales. Ces épreuves sont consultables sur le site de l’UNSS avec une présentation précise. Dans les grandes lignes, l’épreuve de compétition par équipe d’établissement concerne entre 4 et 6 élèves sur le praticable. Ils, elles peuvent réaliser des pyramides en duo en trio ou en quatuor. Cela permet d’introduire le rôle de pareur·e et d’aide. Les gymnastes ne sont pas obligé·e·s de maitriser la complexité de toutes les pyramides, cela facilite donc la gestion de l’hétérogénéité des pratiquant·e·s.

Nous avons également harmonisé la notation entre la pratique fédérale et scolaire.

Le jugement prend en compte une note d’exécution sur 10 points.

Les critères d’exécution sont l’alignement, l’amplitude, la stabilité… à chaque pyramide les équipes peuvent perdre des points si l’exécution n’est pas correcte.

L’exécution est pour nous importante car elle traduit la maitrise de la pyramide. Cette logique est identique à tous les niveaux de pratique.

Une autre partie sur 7 points concerne la difficulté. Les équipes se réfèrent à un code de pointage qui classe les pyramides en 4 niveaux (A, B, C, D).

Enfin, une note artistique sur 3 points, qui prend en compte les aspects essentiels de la chorégraphie : d’une part la variété et d’autre part la qualité de la chorégraphie (amplitude gestuelle et synchronisation des partenaires).

Il existe une réelle volonté de faire avancer ensemble la discipline dans le cadre scolaire et fédéral avec une nouvelle ouverture et une plus grande richesse de pyramides pour le prochain cycle.

Entretien réalisé par Bruno Cremonesi et paru dans la revue Contrepied Acrosport

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