Le yoga et la relaxation au lycée

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L’auteur, nous livre quelques clés techniques dans ces deux activités. Professeur à l’INSEP puis en lycée , il pense que le yoga mériterait d’être enseigné comme une activité de performance et de combat. Quant à la relaxation, elle est pour lui une activité de performance.

Le yoga, une activité millénaire de performance et de combat. Marcel Coissard a acquis une expérience avec des athlètes de haut niveau à l’INSEP, des jeunes de collège comme avec des lycéens. Il s’étonne qu’une telle activité soit si peu considérée par les enseignants d’EPS alors que le yoga mérite d’être enseigné comme une activité de performance et de combat.

Le yoga que je fais pratiquer peut être globalement assimilé à l’ensemble suivant apprentissage du place­ment (le légendaire gainage), renforcement musculaire, étire­ment articulaire. Mais la spécificité technique du yoga réside sur le vécu conscient de la relaxation et de la res­piration associée à toute sollicitation biomécanique.

Un yoga scolaire

J’ai importé progressivement sous forme de modules et toujours en jumelage avec une autre APSA, diffé­rentes techniques de yoga, peu nombreuses, qui me semblent perti­nentes pour des enfants ou adoles­cents de la 6e à la terminale. Je ne propose jamais un cycle entier de yoga si ce n’est avec les volontaires des classes préparatoires aux grandes écoles ou dans le cadre de l’association sportive.
Les élèves y apprennent la concision du choix de l’exercice, la précision au moindre détail des étapes qui conduisent à la posture.

Ils apprennent à intérioriser, à dépasser la douleur première de tel ou tel exercice par le vécu conscient de la relaxation et de la respiration. Ils apprennent ce double mode d’entrée dans l’exercice que constitue l’expérience du lâcher prise et du souffle qui, par sa perma­nence, devient transversal à tout acquis gestuel proposé ultérieure­ment.

Ils apprennent à se concentrer, à reculer leurs limites et dans une certaine mesure réaliser une perfor­mance sur eux-mêmes.

Grâce à la version moderne et collective du yoga, ils apprennent à s’aider et porter attention à l’autre, développer une inhabituelle em­pathie.

La posture du « demi cobra » ou la situation de la fente avant

1-5.jpgCet exercice peut être adopté aussi bien en préalable à un travail de course en athlétisme (vitesse, relais, haies, etc.) qu’en fin de séance comme récupération active.
En règle générale, on propose un certain nombre d’exercices de déplacements, répétitions segmen­taires, sursauts, temps ressort, ten­sion maintenue, etc.

En yoga, le principe d’approche est différent. Il y a une seule posture, précise, dite archétypique, com­plétée par sa contre-posture. L’élève est guidé et incité à la prolonger, voire la reprendre inlassablement pour obtenir une authentique aug­mentation d’amplitude.

Des procédures très précises doivent être suivies

Première étape : adopter en 30″ la position en fente avec une extrême précision.
Les élèves sont debout, pieds large­ment écartés et parallèles pour une bonne stabilité. Ils posent les deux mains de chaque côté du pied avant, fléchissent la jambe avant pour que le bassin soit le plus près possible du sol, pied à plat, étendent le plus pos­sible la jambe arrière, les deux pieds toujours dans le même axe. La tête est dans le prolongement de l’axe vertébral avec un recul du cou très accentué. Le tronc est collé contre la cuisse avant et visualisé dans le pro­longement de la jambe arrière ten­due. La colonne vertébrale est ainsi étirée du coccyx à la fontanelle.

Quand la position voulue peut être maintenue, je demande aux élèves d’avoir quatre inspirations et expi­rations égales dans la durée, acquis vérifiable par l’expression détendue du visage.

Deuxième étape: redressement progressif et graduel du tronc (une minute)

2-5.jpg1er degré (20″) : prendre appui sur la jambe avant avec les deux mains et pousser sur les bras pour redresser le buste tout en inspirant. Expirer sans rien perdre de l’extension ainsi obtenue de la hanche.
2e degré (20″) : nouer les mains, retourner les paumes vers le haut et étirer les bras vers le haut pour recu­ler davantage le cou et le buste. Aller le plus loin possible en arrière.

Cela fait déjà 40″ d’étirement spéci­fique. Cela commence à devenir dif­ficile. La douleur vient perturber la respiration, les visages se crispent.

3-3.jpgLa seule solution pour dépasser la douleur est d’insister sur la respira­tion, c’est alors qu’on entre dans la posture. Ceux qui n’y arrivent pas se remettent debout, s’ébrouent, chan­gent de jambe, et recommencent.
3e degré (20 à 30″) : la posture. Lâcher les mains, redescendre les bras par l’arrière le long du corps, bras en rotation externe, paumes orientées vers l’avant et essayer de toucher du bout des doigts le sol en arrière du plan de la verticale. Il faut environ 1` 30″ depuis le début pour accéder à la posture.

4.jpgTroisième étape : la contre-posture. De cette position, remettre les deux mains de chaque côté du pied avant et essayer en levant le bassin de ramener le pied arrière à côté du pied avant en gardant les jambes tendues. Enfin, il conviendra de mar­quer cette posture de fermeture sur plusieurs respirations régulières.

Le rôle du travail respiratoire

Au début, peu d’élèves réussissent car ils se laissent hypnotiser par la douleur apparente de l’étirement du psoas iliaque et des ligaments anté­rieurs (Bertin et pubo-fémoral). La douleur se dissipe grâce au travail respiratoire. D’une respiration spas­mée, il faut parvenir à une respiration régulière dont l’inspiration et l’expira­tion sont égales dans le temps et si possible par le nez. La respiration par la bouche est un signe de tension musculaire et de détresse émo­tionnelle. La tension entraîne une dépense énergétique excessive, l’élève a besoin de plus d’oxygène et ne maîtrise pas le passage de l’air dans le conduit nasal. A ce stade, seul le contrôle respiratoire peut per­mettre le lâcher prise.
Le yoga permet avec cette posture de réaliser des étirements au delà des possibilités habituelles et d’ex­périmenter un nouveau ressenti du bassin afin d’optimiser l’appren­tissage de la foulée.
Cet étirement dure au maximum dix minutes. Les élèves recommencent plusieurs fois la posture suivie de la contre-posture à droite et à gauche. Au bout de trois à quatre séances, ils l’ont apprise et elle est mémorisée comme une constance récurrente de préparation physique.

Le binôme pour s’aider mutuellement

Les élèves en difficulté se mettent en binôme. Par exemple, pour préser­ver la stabilité de son camarade qui est positionné en fente, le buste déjà redressé, l’aide se place debout devant lui et avec ses jambes lui coince le genou de la jambe avant.
Il peut aussi aider à respirer réguliè­rement en scandant d’une voix douce un rythme de respiration binaire régulier. Il peut encore saisir son camarade par les flancs pour éti­rer le buste vers l’arrière, il peut aussi exercer une légère pression sur le bassin pour le faire descendre.
5.jpgCe sont souvent les garçons qui sont le plus en difficulté. Je suis là pour sécuriser et induire un travail en finesse et subtilité, évitant ainsi des pressions trop fortes, des manipulations outrancières ainsi que des réactions émotionnelles intem­pestives.

La relaxation : une activité de performance

Cette recherche de relaxation est envisagée ici comme optimisation du bilan de séance et transition la plus positive possible pour le cours sui­vant.
Les élèves sont répartis dans une salle, l’écart entre eux est suffisam­ment important pour qu’ils ne se gênent pas. La recherche de l’état de relaxation n’est pas un abandon de l’individu, passif, comme une vul­gaire serpillière sur le sol. Cette démarche de relaxation équivaut à un réel exploit, une authentique per­formance, facilement repérable voire évaluable.

L’apprentissage de la posture allongée

J’assiste un élève pour une démons­tration devant les autres et j’explique avec des mots précis la progressivité de la mise en place de la position. Les élèves sont sur le dos, appuyés sur les coudes. Je leur demande de replier les jambes, pieds à plat, à la largeur du bassin, les genoux s’ap­puyant l’un contre l’autre. Puis ils doivent pousser avec les pieds, ce qui entraîne une rétroversion du bas­sin afin d’imprimer les lombaires sur le tapis.

De cette position, je convie les élèves à allonger les jambes: les plantes de pied sont en contact l’une contre l’autre, les genoux tombent vers l’ex­térieur, les pieds glissent sur leurs tranches jusqu’à ce que les jambes s’écartent afin d’accéder au meilleur confort du bassin, évitant ainsi la cambrure et les tensions musculaires qui peuvent en résulter. Il est néces­saire que chacun trouve l’écartement le plus confortable pour lui et qui per­met aux pointes de pied d’être les plus ouvertes grâce à la rotation externe de la hanche. Les jambes doivent s’abandonner, mais souvent les élèves sont réticents à l’ouverture des jambes dans la hanche pour permettre la rotation externe.
Puis, en laissant le haut du buste relevé, prendre sa tête entre ses mains comme pour l’encapuchonner et tirer celle-ci en avant pour dérou­ler et étirer la colonne vertébrale et surtout cervicale.
Déposer délicate­ment sa tête sur la surface du sol. Je recommande une extrême délicates­se et attention tout en préservant la fermeté d’intention. Éveiller cons­tamment à cette qualité d’attitude permet d’instaurer à la fois une éthique, une logique, une cohérence dans les actes.

Puis vient le placement des bras.
Le but est de trouver l’angle optimal par rapport à l’axe du tronc pour ne plus sentir ses bras. Les paumes des mains sont tournées vers le plafond et même orientées vers l’extérieur, la racine du pouce venant effleurer le sol. Être capable d’une telle rotation du bras est la preuve d’un grand relâchement de l’épaule et d’une disponibilité thoracique et respi­ratoire optimale.

La relaxation: une aventure de l’extrême comme « 20 000 lieux sous la peau »

L’objectif est de se débarrasser des tensions musculaires parasites qui empêchent la meilleure mobilité et sont grandes consommatrices d’énergie. Je demande aux élèves de fermer les yeux, ce qui déjà ne va pas de soi. Certains clignotent des paupières, d’autres n’y arrivent pas, incapables de se passer de repères visuels, certains se tortillent comme des asticots sur le sol, d’autres encore ne parviennent pas à couper le contact verbal avec un copain proche.
Bref d’une voix monocorde et majestueuse, utilisant des mots savamment choisis, exploi­tant à dessein les silences, j’ai recours à quelques images : laisser tomber les paupières comme un rideau devant le globe de l’œil, aban­donner le muscle de la langue au fond du palais.
Alors, les élèves sont prêts pour la grande expédition.

Il ne s’agit surtout pas de les laisser gam­berger aussi bien dans la somnolen­ce que dans la rêvasserie! Mais ils doivent par le truchement de la relaxation se transporter dans un état d’une extrême vigilance et se transformer tel un pilote de chasse aux commandes de son jet superso­nique. Il s’agit alors d’être vigilant au moindre détail. L’aventure du yoga, c’est une aventure de l’extrême, où le moindre détail a son importance, pour aboutir à un état d’intense pré­sence à l’ici et maintenant. Et cela revient à un authentique acte guerrier : moi contre soi, personne contre individu !
Je demande donc aux élèves de river leur attention sur les trois armes dont ils vont devoir apprendre à se servir: leur volonté résolue, la riches­se de leur imagination et le contrôle de leur énergie.
Peu à peu je les guide pour parcou­rir leur corps de la périphérie vers le centre jusqu’à l’espace central de la poitrine qui correspond à un plexus nerveux important. Je suggère d’ob­server les sensations de lourdeur, de pesanteur et de froid qui vont peu à peu gagner toutes les régions. Avec certains élèves je peux jouer sur l’al­ternance contraction/relâchement. Je peux utiliser des images: les jambes sont comme de la pierre, les muscles se relâchent et se répan­dent comme une tâche d’huile sur le sol. Leur pensée est active, comme une minuscule caméra qui explore chaque partie du corps une par une. Comme le temps est compté et comme l’attention des élèves est plutôt aléatoire, on travaille à chaque séance sur une partie du corps seu­lement.

Relaxation et respiration : du soupir au bâillement

Je focalise l’attention des élèves sur des vagues respiratoires , de plus en plus amplifiées, tels des raz-de-marée qui vont pouvoir se manifes­ter : ce sont les soupirs.
Quand le système nerveux se détend, les bâillements vont progressivement émerger; à se décrocher les mâ­choires, en libérant des flots de salive et des sensations gustatives diverses.

Peut-être percevront-ils au bout de quelques secondes, voire quelques minutes, des picotements au coin des yeux. Je convie alors les élèves à une expiration forcée dans un geste tout à fait singulier : les jambes sont repliées, les pieds au sol, les genoux l’un contre l’autre. Tendre les bras dans la direction des genoux, les mains serrées l’une contre l’autre dos à dos (donc les bras en rotation interne), relever la tête, puis les côtes, puis les fesses par la poussée des pieds. Le tronc alors en appui sur la région lombaire, le bassin en rétroversion implacable grâce à la contraction des muscles abdo­minaux, le menton calé dans le creux de la gorge, j’exalte les élèves à expulser résolument tout l’air qui était contenu dans leurs poumons. À forcer ainsi comme jamais ils ne l’ont fait auparavant !

La performance des larmes aux yeux enfin accessible

À ce moment, je sollicite chacun à revenir paisiblement dans sa position favorable à la relaxation et de devenir spectateur de sa propre respiration, cette fois-ci livrée à elle-même comme un processus autonome.

En deux mots, je leur explique qu’ils sont de puissants acteurs dans un exercice quel qu’il soit. Mais tout de suite après, ils doivent basculer dans un autre rôle radicalement opposé, celui de véritable spectateur d’eux-mêmes. Comme si, d’un seul coup, ils n’habitaient plus leur corps. C’est à cette condition de permutation de rôle qu’ils parviendront à destination de la relaxation, par l’apparition des larmes aux yeux.
Cette performance de relaxation dure sept à huit minutes et se termi­ne généralement par des exclama­tions, des cris enthousiastes qui fusent de toutes parts, du style: Msieur, msieur, ça y est, je pleure ! Cela laisse les plus grands quelque peu pantois et stupéfaits d’être par­venus à pleurer de plaisir indéfinis­sable. J’ai le souvenir très vivace d’une petite élève de sixième, toute chétive, qui s’était enthousiasmée d’être parvenue ainsi aux larmes alors qu’on avait travaillé dans un préau désaffecté avec des courants d’air, du bruit, des va et vient constants, des odeurs de cantine. Elle clamait sa victoire, haut et fort, comme si elle avait gagné un match ou une course de prestige avec ses pairs.

Il faut environ huit minutes aux débutants pour réaliser cette performan­ce, puis on diminue la durée douce­ment à chaque séance.

L’objectif est de produire une perfor­mance (l’arrivée des larmes) dans le temps le plus court possible (une minute), donc de réaliser une relaxa­tion éclair, active, qui peut devenir transversale et utile en toute période, de stress, dans n’importe quelle acti­vité ou situation de vie.

Le yoga, pra­tique, ensemble de techniques, patrimoine anthropo-tech­nique considé­rable n’a rien à voir avec la gym­nastique douce édulcorée et asservissante ou cette boutique à développement personnel à la­quelle on veut bien l’assimiler.

On retrouve ici la définition du yoga une activité de recherche extrême, comparable à un art martial interne permettant l’expression d’un combat émanci­pateur de la personne, trop souvent rivée sur son conditionnement émotionnel négatif.

Quelques sentences de la sagesse extrême orientale en témoignent: Le yoga est au-delà de toute forme d’intellectualisme et de dérive vers le pittoresque. Il est avant tout une expérience trans – formatrice à vivre dans le dessein de dépasser ses limites. Il est un chemin patient de pouvoirs accrus, toutes dimensions confondue.

Article paru dans Contrepied n° 24 – EPS : entretien ou développement de la personne – octobre 2009