Jérôme Visioli (PRAG STAPS Rennes) et Guillaume Martin (PRAG STAPS Caen) proposent une synthèse concernant les aménagements matériels dans le cadre de l’enseignement du Tennis de Table (TT) en EPS. Il s’agit de ressources didactiques incontournables, avec des effets potentiels sur l’engagement et le progrès des élèves.
Un regard sur les évolutions de l’enseignement des activités de raquette du point de vue des articles professionnels (2000-2020) souligne trois tendances principales : (1) favoriser les matchs à thème pour « faire apprendre » en jouant ; (2) favoriser l’engagement des élèves dans des projets collectifs et réflexifs ; (3) exploiter le potentiel des aménagements matériels. Concernant ce dernier point, il faut souligner que l’utilisation des objets en EPS peut favoriser l’engagement et/ou l’apprentissage des élèves. Les enseignants sont invités à « bricoler » avec le matériel règlementaire (filet, balles, raquette…), avec des objets classiques des cours d’EPS (plots, lattes adhésives…) ou plus inhabituels (bouteilles d’eau, bouchons, draps, jeux de cartes…). Il s’agit d’introduire un certain plaisir lié à la nouveauté, mais également d’exploiter ces ressources didactiques pour orienter l’activité des élèves vers des progrès signifiants.
Raquettes
Le choix des raquettes est essentiel, pour plusieurs raisons. Premièrement, le critère de solidité est particulièrement important en contexte scolaire. Deuxièmement, le type de revêtement va totalement déterminer la possibilité de générer des rotations de balle. Il est conseillé de privilégier des revêtements de type « backside » (autour de 20 euros, avec une adhérence très satisfaisante sur des temporalités longues si on en pend prend soin). Pour faciliter l’entrée dans l’activité, il est possible d’utiliser une « raquette-gant » qui facilite à la construction de la mise à distance.
Balles
L’utilisation de balles multicolores est intéressante pour aider les élèves à visualiser les rotations de balle (type de rotation, vitesse de rotation). Pour cela, il est aussi possible de tracer des lignes noires sur une balle blanche. Il existe également différentes balles, en termes de taille, de poids et de matière. Plus la balle est grosse, plus les résistances à l’air vont être importantes. Le jeu se ralentit, ce qui est idéal pour les débutants (des balles de diamètre 55mm sont en vente et correspondent très bien aux caractéristiques de ces élèves). Utiliser une diversité de matières (par ex. balles en mousse) aide l’élève à engranger des sensations par un processus de comparaison.
Filet, sur-filet et filet élastique
Dans l’enseignement des activités de raquette, les professeurs d’EPS sont invités à exploiter les possibilités offertes par un filet aux caractéristiques modifiées (hauteur, horizontalité, orientation). Cela peut permettre à l’élève d’enrichir la notion de cible, d’affiner sa réflexion tactique, mais également sa motricité. Il est possible de placer un sur-filet (ou un filet élastique) pour aider les élèves à construire une diversité de trajectoires de balle, dans des situations « techniques » en coopération ou dans des matchs à thème. Au-delà des dimensions ludiques, cet aménagement matériel permet aux élèves de visualiser le résultat de leurs actions, ou encore de repérer les caractéristiques d’une trajectoire favorable / défavorable pour rechercher l’attaque. Ils peuvent être encouragés à jouer au-dessus du sur-filet (par ex. pour apprendre à se donner du temps), entre le filet et le sur-filet (par ex. pour apprendre à tendre les trajectoires), ou en alternance au-dessus / en dessous (construire des routines et des alternatives).
Cibles adhésives
L’utilisation des cibles adhésives (de tailles et de couleurs variées) sont des incontournables de l’enseignement du TT, puisqu’elles permettent de matérialiser des cibles à atteindre sur la demi-table adverse, dans l’optique d’un joué placé (qui peut être associé à jouer vite / fort / avec effets). Ces ressources sont exploitables facilement dans des situations techniques comme indicateur de réussite du placement de balle, mais également dans le cadre de matchs à thème avec des incidences tactiques concernant le placement de la cible adhésive sur la demi-table adverse (ou sur la sienne). Les cibles adhésives permettent de ne pas dessiner les à la craie (gain de temps, nettoyage des tables), mais peuvent par contre diminuer la hauteur du rebond et empêcher la poursuite de l’échange.
Lattes adhésives
Des lattes adhésives au sol sont également des ressources faciles d’accès pour l’enseignant. Positionnées loin en arrière de la table, elles peuvent être des indicateurs de la puissance des frappes dans l’optique d’un travail sur le « jouer fort » (par ex. apprentissage du smash). Possible aussi de les utiliser pour délimiter des espaces de déplacements. Par exemple, l’enseignant peut les disposer de telle manière à contraindre l’élève à jouer « collé » à la table pendant un match à thème, afin de l’encourager à développer un jeu en bloc. Enfin, les petites lattes adhésives peuvent matérialiser la position d’un ou des deux appuis du joueur et faciliter l’identification d’un « bon placement ». Ainsi, pour se placer sur une balle milieu de table, les élèves sont très souvent trop proches de la balle quand ils interviennent en CD. Le positionnement de la latte à gauche de la ligne latérale gauche comme position à prendre pour le placement de son pied gauche (pour un droitier) peut constituer une aide pour le joueur et éventuellement son observateur.
Cibles verticales
Les cibles verticales (par ex. bouteilles, gobelets) sont plus ludiques que les cibles horizontales. L’enjeu est évidemment de les faire tomber. Cela permet d’enrichir l’idée de cible en l’envisageant à la fois sur la demi-table adverse, mais aussi en termes de volume vertical. Pour renverser une bouteille (qui peut être plus ou moins remplie d’eau), il est nécessaire d’associer le jouer placé et le jouer fort. Par contre, il faut être vigilant : cet aménagement matériel peut amener l’élève à réaliser des frappes qui sortiraient des limites de la table en fonction de la hauteur de la bouteille et de son placement (souvent elle est placée sur la ligne de fond et la toucher sur sa partie médiane ou haute revient à servir dehors si la bouteille n’était pas là). Le corps de l’adversaire est aussi une cible à exploiter, à la fois ludique et pertinente par rapport à la logique duelle du TT.
Panier de balles
Le « panier de balles » est un « classique » en milieu fédéral. Il permet à un entraîneur / partenaire de distribuer un grand nombre de balles pour faire progresser son partenaire d’entraînement. La répétition est une variable essentielle pour optimiser les apprentissages, et cette procédure permet de l’associer à d’autres conditions : variabilité, feedbacks, difficulté optimale… Il ne s’agit pas uniquement de cibler le progrès moteur, mais aussi des enchaînements tactiques sur 2/3 frappes. La qualité de la distribution des balles (à la main ou raquette en main) est elle-même l’objet d’un apprentissage (précision, rythme, adaptation au partenaire d’entraînement).
Séparations
Les séparations entre les espaces de jeu sont incontournables dans le cas de l’utilisation du panier de balles. Cela permet de réduire la dispersion des balles, le temps passé à les ramasser, mais aussi le nombre de balles écrasées au sol par inadvertance. Plus globalement, elles permettent de matérialiser le format pédagogique retenu par l’enseignant, et de faire pratiquer les élèves dans des conditions confortables et sécuritaires. L’intensité de l’engagement et les émotions du pongiste sont pour partie liés à la délimitation de cet espace symbolique. La séparation peut matérialiser un critère de réussite. Par exemple, pour valider la puissance d’un smash, la séparation est placée 4 m derrière la demi table adverse et la balle smashée doit passer au-dessus de la séparation. Pour valider un service long coupé avec suffisamment de rotations arrière, la séparation peut matérialiser une limite avant laquelle la balle doit s’arrêter. Enfin, elle permet aussi de jouer sous forme de mini-tennis en dehors de la table avec les débutants.
Les tables
La gestion des tables est une réelle problématique pour les enseignants d’EPS. Il est fondamental de faire le choix de modèles résistants, de penser des modalités de rangement simples et ergonomiques. Les « rituels » d’installation et de rangement des tables avec les élèves sont évidemment fondamentaux pour limiter la détérioration du matériel. Le nombre de tables disponible est déterminant d’un point de vue didactique (notamment en termes de quantité de pratique, ou encore de diversité des possibilités de formats pédagogiques et de groupements). Disposer d’un nombre important de tables ouvre aussi à des pratiques innovantes comme « l’Ultimate-Ping » consistant à jouer sur quatre tables collées entre elles (possible aussi avec deux tables mises bout-à-bout). Evidemment, ces aménagements sont surtout envisageables dans le cadre de l’association sportive, avec un effectif d’élèves moins important.
Le support à effet ou « Return Board »
Le « Return Board » est une planche sur laquelle sont collés des revêtements adhérents sensibles aux effets. Cette surface inclinable permet comme son nom l’indique de renvoyer la balle, et donc de s’entraîner seul à certains moments. C’est notamment un outil pour travailler les effets de balle. Par exemple, plus on l’incline vers le bas, plus il faudra frotter la balle (top spin) pour que cette dernière revienne sur sa demi-table. Il permet aussi d’apprécier la qualité et la quantité de rotation de son coup ou de son service. Par exemple, s’il produit un service latéral droit, alors la balle sera déviée sur sa droite après le contact avec le « support à effets ». Cet aménagement lui permet alors de visualiser la déviation de trajectoire, d’en déduire la quantité d’effet produite, et donc d’évaluer la réussite de son service. Il est possible d’acheter ou de fabriquer soi-même un « Return Board », avec des planches et de vieux revêtements.
Cartaping
Le « Cartaping » est une réelle innovation, consistant à croiser une activité sportive avec un jeu de cartes. Si l’activité sportive est déjà potentiellement porteuse d’une dimension ludique, le plaisir de l’élève peut être amplifié par l’intermédiaire de cette initiative originale, puisque les cartes induisent une multitude d’adaptations règlementaires. Posées au fur et à mesure d’un match, les cartes ouvrent ou ferment des possibles pour le joueur ou son adversaire. Elles invitent également à l’exploitation d’une diversité d’objets (sur-filet, balles de tailles et de formes différentes, cibles de tailles variables…). Le « Cartaping » propose finalement une synthèse de situations et d’aménagements matériels, potentiellement favorable en termes d’émotions et d’apprentissages (moteurs, méthodologiques et sociaux).
Néanmoins, avec ses 78 cartes posant chacune un problème singulier aux élèves, le « Cartaping » est tellement riche qu’il peut déboucher sur un enseignement « zapping ». Dès lors, son exploitation dans un cours d’EPS dépend largement des choix didactiques de l’enseignant, de sa maîtrise simultanée du TT et des cartes du jeu.
Pour conclure
Pour (re) dynamiser l’enseignement du TT en EPS, les aménagements matériels apparaissent comme une ressource incontournable. Néanmoins, s’ils sont potentiellement ludiques, reste que leur exploitation au service des apprentissages des élèves dépend plus largement des compétences technologiques et didactiques de l’enseignant. L’enjeu est de concevoir des « environnements d’apprentissage en lien avec des savoirs, pour pointer les relations ténues entre le contenu de ces savoirs et l’environnement matériel qui le concrétise ». Nous aurions pu évoquer la roue de « vélo » ou « roue d’entraînement » parfois utilisée en milieu fédéral. Fixée sur une table, elle peut constituer une aide momentanée dans l’apprentissage des effets, notamment du top-spin. Enfin, à l’heure du « tout numérique », il faut souligner l’apparition de quelques propositions sur internet, comme par exemple le « Scolpingtab » à télécharger sur une tablette, avec intégration d’animations 3D et possibilité de structurer du contenu (texte, vidéos, images).
Cet article est paru dans le Contrepied Hors-série n°28 – Tennis de Table – Mars 2021