Les rencontres d’EPS, ça booste !

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Une professeure des école participe à des rencontres inter-écoles qui finalisent les modules d’EPS (danse et jeux collectifs). Pour elle, ces rencontres changent beaucoup de choses, pour les enfants bien sûr, mais aussi pour l’enseignant-e

Dans la circonscription de Granville (Manche), le conseiller pédagogique de circonscription (CPC) organise des rencontres inter-écoles sur le temps scolaire, pour finaliser les modules d’EPS. Angélique Jourdan, professeure des écoles dans une classe de CE1 -CE2, participe aux rencontres de danse et de jeux collectifs. Pour elle, participer à une rencontre, cela change beaucoup de choses, pour les enfants bien sûr, mais d’abord pour l’enseignant/e. Yann Hélary, CPC, nous explique son fonctionnement.

Angélique : Si je m’inscris à une rencontre, j’engage ma classe mais je m’engage aussi ! Je me pose plus de questions que lorsque je fais un module habituel. Donc avant même de motiver les élèves, un projet de rencontre, ça me « booste » moi ! Pour les jeux collectifs, on a des problèmes d’installations sportives, on ne peut avoir la salle que tous les quinze jours. Pour y aller toutes les semaines, on travaille à deux et on doit se concerter pour cela. Sans rencontre, on laisserait tomber parce que c’est trop compliqué ! Quand j’étais débutante, je n’osais pas m’inscrire. On a toujours peur que nos élèves soient plus nuls que les autres. Aujourd’hui, au contraire, je trouve très intéressant de voir les autres élèves, discuter avec les collègues sur la façon dont ils ont travaillé. La rencontre, c’est aussi un moment de formation. Du point de vue des enfants, j’y vais surtout pour qu’ils vivent une après-midi sportive bien structurée, avec de bonnes conditions de pratique et pour qu’ils donnent du sens aux apprentissages.

CP : Pour les jeux collectifs, comment se décident les règles du jeu ?

Angélique : Pour les jeux traditionnels par exemple, les réunions sont indispensables parce que nous avons tous des règles différentes pour un même jeu. Nous mettons à plat nos différents règlements et on se met d’accord. Ce n’est pas évident parce qu’on a l’habitude de faire notre cuisine chacun/e de notre côté. Il faut argumenter sur le choix de telle contrainte, comprendre pourquoi l’autre ne retient pas la même. Met-on un deuxième camp de voleurs ou une deuxième prison ? Quelle proportion de gendarmes par rapport aux voleurs ? Comment détermine-t-on le gagnant ? Il faut parfois intégrer une nouvelle règle qui modifie notre façon de faire. Pour les sports collectifs, type basket, c’est un peu plus facile à négocier parce que nous avons des références communes, mais il faut tout de même se mettre d’accord sur les règles différentes suivant les niveaux (exemple : droit de courir en tapant une ou deux fois la ball­e par terre au niveau 1). Quand je rentre dans ma classe, je reconstruis progressivement le règlement avec mes élèves à partir des règles qu’ils connaissent. C’est important qu’ils participent à l’élaboration des règles non seulement pour les accepter mais pour pouvoir comprendre les incidences de telle ou telle règle sur le déroulement du jeu.

La rencontre se base sur des équipes de niveaux, est-ce un problème pour toi ?

Angélique : Non, je n’ai pas peur de parler de niveau en sport, comme en lecture. Je ne vais pas faire jouer ensemble des enfants très forts avec des enfants totalement débutants. Il y a toujours dans une classe le groupe de garçons qui sait déjà tout et de l’autre les filles et les garçons timorés qui restent centrés sur le ballon ou pire, ne l’ont jamais. Si on les fait jouer ensemble, les bons rejettent les faibles, les faibles évidemment ne touchent pas une balle et à la fin aiment encore moins le jeu qu’au début.
Au début de ma carrière, je faisais toujours les sports collectifs en début d’année, sans différence de niveau pour fédérer le groupe. Je ne fédérais rien du tout ! Je suis même aujourd’hui persuadée du contraire, je dégouttais d’emblée les élèves timorés. C’est très difficile les sports collectifs pour un enfant qui n’en fait pas en dehors de l’école, dans un club ou à toutes les récréations.

Je passe beaucoup de temps à expliquer, à dessiner le terrain au tableau, avec les cibles, les joueurs. Je fais des affiches que j’emporte au gymnase. Dire aux élèves « démarquez-vous ! », ça n’a pas de sens pour eux ! Il y a beaucoup de malentendus à cause des mots ; par exemple, un enfant dit qu’il attaque le ballon. Il attaque le ballon quand son équipe ne l’a pas… Donc il est en défense ! On peut discuter longtemps sans s’apercevoir de ce genre de malentendus ! Travailler avec des dessins, un tableau magnétique, ça permet de savoir quel mot vient accompagner l’action. C’est une des clefs de l’apprentissage en EPS.

Comment se gère le résultat de la rencontre ? Les gagnants, les perdants ?

Angélique : On compte les points bien sûr, sinon les enfants ne comprendraient pas. Mais je n’y accorde pas d’importance, je ne vais pas à la rencontre pour la compétition ni pour le résultat, mais pour l’engagement dans l’activité même si les émotions des enfants sont différentes, avec peut-être un peu plus de crainte de mal jouer pour les plus faibles. Je n’accorde pas d’importance au résultat pour une autre raison : le gain du match n’est pas toujours révélateur ni des stratégies collectives, ni de l’engagement de chaque enfant. Une équipe peut gagner avec un joueur qui marque les buts tout seul ou un élève qui ne touche jamais la balle. Je préfère donc centrer mon attention sur ce qui doit être collectif, par exemple, leur faire comprendre qu’une grande passe est souvent inefficace et qu’il faut trouver d’autres solutions. J’utilise la compétition aussi dans d’autres matières. En maths, je fais des jeux compétitifs (en calcul mental, jeu du furet), on compte les points, mais c’est surtout pour motiver les élèves.

oui, mais tous les élèves n’ont pas le même rapport à la compétition. Comment traites-tu les différences ?

C’est sûr, les garçons sont toujours à fond dedans, certains reviennent très fâchés d’une rencontre, ou d’un match ! Ils sont nuls, l’arbitre ceci, cela. Ils ne sont pas tolérants du tout. Il ne faut rien laisser passer. Si j’ai été spectatrice de la faute, et que l’arbitre a tort, j’explique que c’est très difficile d’être arbitre, qu’il ne peut pas tout voir, mais que c’est lui qui décide. Il faut valoriser ce rôle, apprendre à prendre des responsabilités et en retour accepter que l’autre se trompe. Dans le discours, c’est facile, mais en réalité, c’est un vrai problème! Le jour de la rencontre, le fait que nous soyons plusieurs adultes permet un encadrement de tous les groupes. En classe, seule, c’est difficile. Je dois laisser un groupe en autonomie et c’est le plus souvent l’élève qui s’est porté volontaire qui fait l’objet de toutes les critiques. Évidemment, il n’a pas envie de tenir ce rôle la séance suivante! Je contourne le problème en arbitrant moi-même mais ce n’est pas satisfaisant du point de vue éducatif. Et même moi, en tant que maîtresse, je suis contestée ! Le respect du rôle de l’arbitre, c’est une bataille permanente. Ils ont tellement d’émotions dans ces jeux là que les débordements sont courants. On ne peut pas leur en vouloir, ils sont là pour apprendre. Et puis, c’est la vraie vie ! Ne pas faire de compétition ou de sport collectifs à cause de ça serait faire l’autruche. Je fais ce que je peux pour que mes élèves ne deviennent pas ces adultes et supporters qui ont besoin de mille policiers pour surveiller un match. Ceux-là, oui, m’inquiètent !

Yann, tu es CPC, comment organises-tu les rencontres sur le temps scolaire ?

Yann : Comme cela se fait dans toutes les circonscriptions du département, je propose en début d’année un certain nombre d’APSA qui donnent lieu à des rencontres sur le temps scolaire en prolongement de l’EPS. Cette année : danse, orientation, endurance, athlétisme, sport collectifs (cycle 3) et jeux traditionnels (cycle 2), lutte et vélo (sécurité piéton) sont au programme. Les enseignant∙es s’inscrivent pour les rencontres de leur choix et organisent leur programmation en fonction de celles-ci. Des réunions préparatoires le soir après la classe permettent de se mettre d’accord sur les règles du jeu et j’aide les enseignant∙es sur les contenus s’ils-elles le souhaitent.
Une rencontre de sport collectifs ou jeux traditionnels réunit quatre classes à chaque fois (cent élèves). Nous faisons en général des poules de trois niveaux différents. Les équipes sont soit des équipes d’école, deux classes de CM réunies par exemple, soit des équipes de classe. Quand il n’y a pas la possibilité de faire trois terrains, je préfère faire des petites poules. Les enfants font moins de matches, mais se regardent et arbitrent. Il y a deux arbitres, le premier arbitre est un élève du même niveau que le match, le deuxième arbitre est d’un autre niveau, tutoré par l’enseignant quand il est débutant. Les règles peuvent être différentes suivant les niveaux. Exemple : en hand-ball, la reprise de dribble n’est pas pénalisée pour le niveau 1 le joueur a droit à une erreur, pour le niveau 2 et elle est interdite pour le niveau 3.
Pour faire les poules, le chiffre ne tombe pas toujours juste (rarement même), il y a deux solutions, soit nous mélangeons les élèves des deux écoles et on est plus sur la rencontre des autres, soit il y a des remplaçants par équipe. Les enfants préfèrent rester entre eux, quitte à être remplaçants. C’est plus logique si on considère que la rencontre est l’aboutissement d’un projet collectif. Pour les plus faibles, c’est aussi un peu stressant de se retrouver dans une équipe où ils ne sont pas en confiance.
Tout cela suppose évidemment un travail en amont en classe. Pour que la rencontre se passe bien, il faut avant avoir fait ses équipes de niveaux, fait comprendre aux enfants pourquoi il y a des différences, appris à arbitrer (pas évident y compris pour l’enseignant∙e)

Paru dans contrepied n°23 – mars 2009 – La compétition et l’EPS