Philippe Amarouche, UFR-STAPS de Nantes.
Apprendre ensemble est le propre de l’enseignement public. C’est parce qu’elle est obligatoire et que les élèves n’ont pas choisi d’être ensemble que l’école publique est par excellence le lieu des apprentissages à vivre dans le respect des différences. La question de la transmission d’une culture comme mission et condition de l’école nous invite à reconsidérer les APSA, ici la Gymnastique, dans ce qu’elles sont porteuses d’espoirs pour les générations d’élèves que nous accueillons.
L’EPS est une éducation sportive et artistique au service du développement corporel des élèves. La Gymnastique Artistique, comme tous les sports, est chargée des grands mythes fondateurs qui nous constituent et nous débordent. Se perdre dans l’imaginaire collectif des espaces féériques pour produire une esthétique corporelle réglée par un code préexistant et toujours à reconstruire constitue l’enjeu original de l’enseignement de la Gymnastique. Développer son énergie physique et mentale au service du jeu gymnique compris comme la conquête d’un équilibre de luxe pour lequel chacun accepte sa propre part d’indétermination et de perfectibilité est l’objectif à atteindre avec tous les élèves lors de l’enseignement de la Gymnastique. Cette conquête personnelle n’est possible que par et pour le collectif. Elle n’a d’intérêt que parce que la pratique collective légitime son existence. La rencontre sportive est un récit toujours réinventé qui permet de partager des croyances empathiques (P. Taranto, 2008). La gymnastique n’y échappe pas. A travers la construction de figures stylisées les gymnastes partagent un monde extraordinaire en développant une activité ascétique. Cette qualité humaine est à développer chez des élèves de plus en plus enclins à la réussite immédiate. Le temps doit faire son œuvre pour que chacun puisse exprimer son style à travers sa technicité.
La gymnastique artistique est historiquement une activité à haute valeur culturelle qui en suivant les évolutions de son temps peut être caractérisée par les oppositions dialectiques suivantes : collectif/individu ; soumission/affirmation ; polyvalence/spécialisation ; technique/artistique ; pédestre/manuel ; normal/renversé ; terrien/aérien. Ces oppositions organisent l’activité des élèves en les plaçant dans la contradiction de devoir produire des figures toujours plus acrobatiques (risque) et toujours mieux maîtrisées (virtuosité) repoussant, chacun à sa juste mesure, les limites du vol autopropulsé. Cet équilibre de luxe est pour eux la possibilité d’une conquête de l’inhabituel postural autorisant un pilotage du corps dans un espace multidimensionnel orienté par le déterminisme gravitaire et structuré par le système perceptivo-moteur. (P. Goirand, 1991).
La socialité gymnique : une activité technique de coopération et de responsabilité.
Caractérisée par la triple soumission à la pesanteur, au code et au spectacle gymnique, elle place les gymnastes dans une situation de partage. Chacun est partagé entre ses occupations et ses préoccupations (partenaires-adversaires/juges/spectateurs) et chacun, en tant que gymnaste, partage avec ses pairs sa propre soumission à la pesanteur. Défier la pesanteur pour s’en jouer en produisant des figures acrobatiques a toujours suscité un intérêt. Cette conquête de l’activité aérienne engage l’individu dans un partage de l’expérience par goût du risque pris. Comparer les figures et les stratégies pour y parvenir entraîne les gymnastes dans un débat technique sur la figure juste et belle. Cette activité technique est toujours œuvre collective (Combarnous) et les discussions sont âpres quelquefois pour se mettre d’accord sur la meilleure forme à produire ! Le jeu gymnique, régi par le code, constitue les premiers savoirs de la discipline (Robin, 2005). L’appropriation des contenus gymniques par les élèves passe nécessairement par l’instauration d’un processus de codification qui appelle les opérations suivantes : identification, catégorisation et hiérarchisation des savoir-faire gymniques (Goirand, Garnier, 2005). Ces opérations, menées sous la conduite de l’enseignant, font l’objet d’un apprentissage collectif au service de la construction-appropriation par les élèves d’une culture gymnique commune qui peut prendre de la 6ème à la Terminale des formes très diversifiées (comparaisons, défis, confrontations différées, controverses, analyses en temps réel ou sur vidéo). Cette œuvre collective agit au service de la responsabilité individuelle du gymnaste qui est toujours engagée. Le gymnaste en cas de chute ne peut reporter la faute sur l’autre, il doit assumer sa prestation en public. Se montrer en gymnastique c’est s’éprouver, à et par des techniques corporelles codifiées qui constituent un levier puissant d’expression des pouvoirs d’agir. En effet, la dimension vue et jugée en gymnastique atteste d’acquisitions techniques connues et reconnues plus faciles à tenir chez certains élèves peu tournés vers le processus chorégraphique.
Dans le prolongement de ce qui a été abordé l’an dernier, nous proposerons des formules qui porteront essentiellement sur les significations sociales (fête, compétition, spectacle) et scolaires (évaluation), porteuses de contenus pour apprendre ensemble plus et mieux en gymnastique. Nous nous appuierons sur des thèmes d’études organisateurs de l’action parce que socialement très signifiants en termes d’enjeux pour les élèves, avec pour ressort premier les émotions générées par la pratique.
Travailler pour soi en travaillant pour les autres constituera l’enjeu principal des séquences proposées dans cet atelier de pratiques où la dimension rencontres compétitives ludo-formatrices sera privilégiée.