Préparation physique intégrée : des formes à… la forme !

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Le propos de Bruno Parietti n’est pas un compte rendu de pratique, mais il nous a semblé intéressant pour introduire cette rubrique, de laisser la parole à un praticien de la « musculation intégrée » qui insiste sur la nécessité de s’appuyer sur des connaissances, souvent ignorées, mais disponibles, pour être capable de mettre en relation la complexité du renforcement musculaire à celle de l’APSA considérée.

Bruno, peux-tu rapidement te présenter et préciser le cadre de tes interventions?

Pongiste de haut niveau, prof d’EPS à Paris de 1981 à 1986 dans un établissement difficile, j’ai ensuite opté pour la fonction de professeur de sport. Je suis en poste au CREPS de Montpellier depuis 1991. Je coordonne et forme des professeurs de musculation (formation sur le creps BP Activités de la forme haltérophilie musculation), et sur des préparateurs physiques (Formation sur le CREPS certificat de préparateur physique de sportif de haut niveau).

Ce métier n’est pas sans poser des problèmes de qualification, de reconnaissance institutionnelle puisqu’aujourd’hui n’importe qui peut se déclarer apte à cette fonction. Sous la pression des états européens toutes ces qualifications sont tirées vers le bas. Ce n’est pas nouveau mais cela devient un vrai problème avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur la santé des pratiquants.

Michel Pradet nous a orienté vers toi. Nous explorons ce qui se fait dans le champ sportif au titre d’une «musculation intégrée». Peux-tu nous aider à mieux cerner cet objet?

Michel est un précurseur dans ce domaine, j’ai beaucoup travaillé avec lui tant sur les principes de cette approche que sur toute une série de propositions par discipline sportive [[ C’est à partir de ces principes que Pradet et moi-même avons réalisé un DVD  » Renforcement musculaire en milieu scolaire  » portant sur des APSA différentes et regroupant 2000 exercices sur les différentes thématiques : renforcement, équilibre, gainage, étirement mais également des séances type sur différents types de force.
Pour commande : contact@prepar-performance.com ]].
En fait cette hypothèse de travail n’est pas nouvelle. Elle a une histoire.
Il faut se souvenir de Chanon, des écrits de Gilles Cometti sur ce qu’il nommait par exemple les « entraînements orientés dans la préparation physique » mais également de tous les auteurs étrangers (Schmidbleicher, Weineck, Manno… ).
Il y a un vrai patrimoine, trop méconnu, trop souvent bousculé par des modes : l’haltérophilie longtemps décriée revient en force sans toujours avoir les éducateurs formés capables d’accompagner ce mouvement.

Il y a un vrai patrimoine, trop méconnu, trop souvent bousculé par des modes : l’haltérophilie longtemps décriée revient en force sans toujours avoir les éducateurs formés capables d’accompagner ce mouvement.

Pour répondre à la question, la tentation est toujours là, s’agissant de préciser la nature de cette intervention, d’opposer ce qui peut relever du général ou du spécifique, bref la « musculation » à la « musculation intégrée ». Or les choses ne sont pas celles-là. L’approche intégrée d’une préparation physique part toujours d’éléments de base du renforcement musculaire, en particulier ceux visant l’amélioration des indices de force. En fait la visée préparatrice singulière (propre à une APSA) repose toujours sur un outillage général de départ. Boîte à outils propre à l’amélioration des facteurs généraux de la performance motrice. Ce sont alors des variations sur un thème, l’introduction de contraintes complémentaires et successives qui conduisent progressivement à un dispositif relativement fin et proche des exigences de telle ou telle APSA saisie dans sa globalité et son authenticité. à la complexité de celle-ci doit correspondre une complexité de sa préparation physique. C’est essentiel ! Concrètement cette opération consiste à « mélanger » des actions (en particulier utiliser des exercices poly articulaires), des qualités requises ou souhaitées, des éléments perturbateurs.

Encore à proposer une grande diversité d’approche et de formes possibles de réalisation sur fond d’activité ludique. Tout cela participant bien-sûr de l’attractivité des tâches proposées et jouant sur l’implication du sujet. Une bonne préparation physique exige un sujet conscient de ce qu’il fait et volontaire. Prenons le cas du squat dont on peut dire qu’il est un universel de toute préparation physique et utilisé partout par tous les sports ou quasiment. Il s’agit en l’occurrence d’y introduire par exemple des exigences centrées également sur le haut du corps, des perturbations de l’équilibre en jouant sur la suppression de sens (fermer les yeux), ajouter des contraintes spécifiques à l’activité, proposer en même temps des petits jeux pour optimiser la qualité de concentration… pour se diriger de plus en plus près de l’exigence de la discipline même si on sait que rien ne remplacera le spécifique pur.

Ce rapide survol montre bien ce qui différencie une préparation physique intégrée de certaines musculation très appareillées et principalement centrées sur du mono articulaire guidé. Ces pratiques de type « esthétisant », en fort développement aujourd’hui dans le champ social, correspondent à un autre monde que celui que je viens d’évoquer. Un univers plus des « formes » que de la « forme ».

Peux-tu revenir sur un ou deux exemples précis?

Prenons le cas du VTT Descente :
je pars d’une fente avec charges additionnelles ou nous allons utiliser tous les modes de contraction musculaire suivant la planification (auxotonique, isométrique, excentrique et pliométrique) associés aux différentes méthodes (force maximale, force endurance, endurance de force, puissance, explosivité) plus toutes les combinaisons possibles.
Il s’agit de s’approcher de l’activité en complexifiant les tâches avec par exemple une fente en isométrie sur un bike avec un gilet lesté.
Je peux rajouter une contrainte avec une résistance au niveau de la tête avec un léger déséquilibre créée par un élastique puis un travail de renforcement sur le haut du corps avec des élévations frontales avec prise largeur guidon VTT.
En même temps je crée un climat psychologique en posant à l’athlète différentes questions sous forme de jeux. Il s’agit pour lui d’accroître ou de garder sa concentration au regard de la difficulté de la pratique. Le devant du bike peut également être posé sur une surface instable pour augmenter encore plus la déstabilisation.

Celui d’un pilote dans un sport mécanique :

Assis dos appuyé contre un swiss ball, 2 élastiques pour créer une tension au niveau des membres inférieurs, un volant lesté, un casque avec attache élastique pour accentuer le travail cervical, un jeu de lumières indiquant différentes actions suivant la couleur, des écouteurs reproduisant le bruit de sa voiture et le tout dans une pièce ultra chauffée…

Quels sont les objectifs poursuivis et les conditions de leur réalisation?

Les objectifs

L’intégrité physique
J’ai été athlète de haut niveau et je continue d’intervenir dans ce milieu. Je sais par expérience donc à quel point l’une des obsessions de l’athlète est celle de la blessure. Identifier, donc ce qui peut advenir et anticiper par une préparation rigoureuse, est essentiel. Celle-ci doit conduire à une bonne connaissance par l’athlète de lui-même agissant dans le cadre de sa discipline, mais aussi une bonne connaissance de sa condition physique. Connaître son corps pourrait-on dire, savoir développer une écoute attentive de ses sensations, de ses ressentis. Car les sources potentielles de blessures ont deux causes principales, externes et relatives aux risques spécifiques de la pratique elle-même – je pense en particulier aux sports de combat, au VTT de descente, aux sports mécaniques sur lesquels je travaille – et internes, propres à l’état de son corps confronté à l’effort, le dépassement, la fatigue, le stress. Préparer ou se préparer c’est donc ajuster ou réajuster en permanence l’activité développée, veiller à la précieuse horlogerie du corps, à son intégrité. Dans cette perspective la maîtrise de tous les outils dont on dispose est déterminante.

La performance
Bien-sûr la crainte de la blessure est indissociable de la recherche de la performance. Et la préparation, l’engagement que cela suppose est à rapporter à ce but. C’est bien le moteur de la chose. Tout ce que j’ai dit du travail sur soi pour se préserver vaut pour l’amélioration de la performance. à partir d’un diagnostic précis, un travail méticuleux, une construction des conditions optimales de la performance s’imposent et se développent. Ici la préparation physique change un peu de nature, elle s’enrichit d’une nécessaire dimension psychologique et sociale. Entraîner devient « partage », c’est nouer des relations privilégiées avec ceux, celles qui entrent dans le jeu, c’est passer beaucoup de temps à observer, à s’observer, créer un langage, des connivences, de la relation. Montrant que toute performance humaine est avant tout une production sociale, un rapport au social. La condition incontournable de cela est la confiance. Elle doit être totale. Son absence conduit immanquablement à la séparation. On embarque ou on débarque! Il y a de la communion dans tout cela. Et l’on voit alors que ce qu’on nomme « préparation physique » ne nous dit pas spontanément tout de ce qu’elle est en fait : une aventure humaine où le physique, le psychique et le social s’entremêlent.

Les conditions
Être en capacité d’intervenir sérieusement dans le cadre d’une préparation physique, donc prendre la responsabilité d’agir sur des personnes en vue d’améliorer leur potentiel physique, de préserver leur intégrité suppose en amont, une formation théorique, technologique, mais aussi une capacité d’innovation et d’expérimentation technique et pédagogique. Aussi une curiosité sur ce qui se fait ailleurs, dans d’autres domaines, des rapports permanents à la production des connaissances scientifiques tant nationale qu’internationale, leurs controverses dans un champ, on le sait, aujourd’hui insuffisamment développé. Je l’ai dit d’emblée, le travail se trouve à l’intersection de deux exigences.

D’abord des connaissances établies, des expériences attestées s’agissant des contenus mêmes de ce qu’est la préparation physique en n’oubliant rien de son histoire, de son patrimoine, en se méfiant, j’y reviens, des effets de mode. Elle doit reposer sur un socle de savoirs actualisés incontournables. L’anatomie, la physiologie, la biomécanique, une expérience pratique, une connaissance du milieu sportif. C’est pourquoi je crains aujourd’hui le développement non organisé, non cadré de ceux, celles qui se déclarent « préparateur physique », dans une sorte « d’ubérisation » du marché de la forme.

Puis s’agissant d’une préparation physique adaptée, s’impose alors l’intégration de connaissances d’un même niveau d’exigence mais relatives cette fois à la discipline sportive en jeu. Il convient en effet de la saisir dans sa propre complexité, au fond de ce qu’elle est et au-delà de ce qu’elle donne parfois à voir ou de ce qu’elle cache. C’est pourquoi doivent s’ajouter à cela des analyses fines de l’athlète en activité, de longues observations vidéos. Le tout devant être prolongé pas des dialogues, des échanges en toute confiance (je n’y reviens pas), une vraie coopération qui au plus haut niveau associe l’entraîneur, le préparateur physique et l’athlète.

Nous arrivons au terme de cette interview, une dernière question. Penses-tu « qu’une préparation physique intégrée » ait sa place dans les programmes d’EPS ?

Je me méfie de ce genre de question et ne voudrais pas être instrumentalisé.
L’école et l’EPS ne sont plus mes préoccupations, même si je continue à observer ce qui s’y passe avec intérêt. Je serai donc prudent. En pensant que ce sont d’abord les enseignants qui ont à se poser la question de ce qui peut se faire ou pas en « musculation scolaire » et même à lui apporter une réponse.

Rien de ce que j’ai rapidement évoqué ne peut être plaqué sur une école qui a ses propres contraintes et exigences (je pense en particulier à l’obligation).
En revanche je m’étonne que les programmes n’aient pas favorisé un travail d’exploration dans ce domaine. Rien ne l’interdisait, je crois.

Nous sommes un certain nombre à avoir accumulé des connaissances, des expériences dans le domaine de la «musculation», comme nombre de collègues de terrain d’ailleurs. Mises à plat, débattues avec les enseignants, remaniées pour l’école, transposées, « didactisées », elles constituent un champ de possibles. Chiche ai-je envie de dire!

Entretien réalisé par Alain Becker et paru dans le Contrepied – n°26 Musculation