Savoir-nager, non à la pensée unique !

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Marc-Henri Renard est professeur d’EPS à Mayotte. Il est confronté à une situation particulière d’apprentissage de la natation en mer. Il conteste l’hégémonie de la pensée dominante en matière de « savoir-nager ». Sa contribution est une invitation au débat. Elle n’engage que son auteur.


« Savoir nager », c’est être autonome en milieu aquatique et pouvoir s’engager dans des activités aquatiques culturelles.

A Mayotte : l’enseignement de la natation pose problème, notamment parce que nous n’avons pas suffisamment de MNS pour encadrer une natation réglementaire. Mais aussi parce qu’il y une forme de pensée unique sur la méthode d’apprentissage. Comme en métropole, la conception véhiculée par l’institution est celle du « Corps flottant, Corps projectile, corps propulseur », initiée par R. Catteau (1992/93). Dans cette conception les aides à la flottaison sont tabous et la flottaison est expérimentée le plus souvent en apnée. Sachant que la première nécessité de l’humain dans l’eau est de respirer, cette conception est–elle la seule possible ? Je vais tenter de montrer que d’autres sont possibles.

Faire le choix d’une entrée dans l’eau (la mer) par une activité avec palmes, masque, tuba et avec gilet de sauvetage permet de pratiquer sans la présence d’un MNS. En effet, nous faisons alors référence à l’activité « randonnée aquatique » qui est sous la tutelle de la Fédération Française des Sports Sous Marin et non de la Fédération Française de Natation, et cela n’impose pas la même réglementation.

L’organisation est la suivante. Une partie des élèves est dans un périmètre de sécurité où ils ont pied et l’enseignant‧e régule une zone délimitée où un groupe d’élèves n’a pas pied. Les élèves sont obligatoirement par deux (réglementation de la FFSSM), en binôme comme en plongée, ce qui est intéressant du point de vue des rôles sociaux.

Si le seul port du gilet de sauvetage est contre-productif pour appréhender le corps flottant et notamment s’allonger puisqu’il accentue le couple de redressement, il devient un outil intéressant avec un masque et un tuba. Le masque pour faciliter la prise d’information et limiter les appréhensions, le tuba pour respirer sans contrainte, l’ensemble permettant un allongement sur l’eau sans appréhensions.

En 3 minutes, l’élève passe de debout à allongé et c’est la première victoire dans cet environnement Mahorais où les contes et légendes aquatiques sont prégnantes. Les quelques réticent‧es sont très rapidement mis à l’aise avec leur partenaire qui le tient par les mains et/ou puis le pousse par les pieds pour impulser une glissée et pour créer une portance supplémentaire entre autre pour la floraison des jambes.

L’élève est allongé sur l’eau et respire sans contrainte. Ce qui enlève toute appréhension liée à la nécessité de survivre.

Les exercices allongés, de vidage de tuba puis de masque, permettent de tester la résistance expiratoire liée à l’eau. (Nb : le vidage de masque est un exercice bien connu des plongeurs qui lorsqu’un peu d’eau entre dans le masques (pour diverses raisons), appuient sur le haut du masque avec la main et soufflent par le nez, ce qui chasse l’eau pas le bas)

En cas de difficultés respiratoires, le passage sur le dos permet le repos et la récupération. Une fois à l’aise allongé et respirant, le palmage ou l’utilisation des bras permet le déplacement et la création d’une portance qui aidera à la flottaison lors du retrait du gilet de sauvetage. L’utilisation des bras est favorisée (dans la limite des frottements sous les aisselles liées pouvant arriver avec le gilet) pour tendre vers le nageur (propulsion bras à l’inverse du terrien qui se propulse par les jambes).

Une entrée par la brasse, toujours avec masque et tuba, permet une synchronisation propulsion/respiration simple qui assure une sustentation nécessaire à l’autonomie.

Au final, en quelques leçons, la majorité la totalité des élèves atteint le niveau suivant : être horizontal, se déplacer avec les bras et synchroniser sa respiration avec la propulsion : en d’autres terme un premier niveau de « savoir nager ».

L’objectif est donc, comme toute la profession, de tendre vers le savoir nager, mais par une autre entrée que celle du dogme actuel. Mon test final n’est pas l’ASNS. Il manque dans ce test un critère permettant de s’assurer de l’autonomie aquatique. Je tends plutôt vers l’objectif du 2nd degré du savoir nager de 2008 qui validait 10 minutes de nageet des compétences relatives au sauvetage.

Dans le test ASNS, La sustentation verticale est en effet la partie la plus complexe du test. De nombreux élèves ayant une sustentation relative sont centrés sur leur survie, avant tout respiratoire, et utilisent tous leurs canaux d’informations pour se maintenir en surface. L’autonomie dans ce test, jamais évaluée dans aucun des tests historiques proposés, serait d’après nous de s’assurer de la libération des canaux d’informations, utilisés pour cette survie avant tout respiratoire, en demandant aux élèves de répondre sans essoufflement à des questions simples (nom, prénom, adresse … etc) permettant de s’assurer que l’autonomie respiratoire et donc sustentatrice est suffisante pour une autre action que la survie. Un élève non autonome est incapable de parler car il est centré sur sa respiration de survie avec une motricité à peine efficace. Un élève en cours d’acquisition de l’autonomie est capable de répondre mais il est essoufflé.

L’étape ultime, uniquement réalisable avec la présence d’un MNS consiste à retirer le gilet. D’abord en conservant masque et tuba, l’élève en confiance dans l’eau s’aperçoit que le corps flotte de la même façon qu’avec le gilet. Si la motricité est efficace et la respiration synchronisée cette étape se franchi très aisément dans un premier temps en zone sécurisée (où l’élève à pieds). Enlever le tuba est simple si la respiration est synchronisée avec la motricité. Enlever le masque se fera progressivement car il va falloir maîtriser l’expiration nasale. En réussissant un test d’autonomie, pouvant être celui du savoir nager, l’aventure aquatique peut se valider ensuite avec le même test en eau profonde.

Conclusion : « Savoir nager » pour être en autonomie dans le milieu aquatique » peut donc d’abord passer par l’autonomie respiratoire permettant de s’allonger, se propulser, et peut amener ensuite vers des activités culturelles aquatiques. Sur le plan didactique et pragmatique, le tabou de l’utilisation d’aide à la flottaison doit pouvoir être débattu. La profession a tout intérêt à ne pas sombrer dans la pensée unique générant soit-disant des « bonnes pratiques », sans tenir compte des contextes. Et peut-être s’apercevra-t-on que ce qui se pense à Mayotte peut se penser ailleurs, en métropole.