Se développer, c’est générer du possible

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La santé est liée à l’interaction entre l’individu et le milieu : Yves Clot casse les représentations dominantes sur le sujet. Dans le débat sur entretien ou développement il apporte une contribution originale en avançant : « la santé c’est la culture… » !


Sur la santé. Canguilhem dit la chose suivante : « je me porte bien lorsque je porte la responsabilité de mes actes, lorsque je porte des choses à l’existence, lorsque je crée entre les choses des liens qui ne leur viendraient pas sans moi  ».

La santé n’est donc pas que le fonctionnement de l’organisme, ou l’entretien de la « machine » corporelle.
La santé est liée au développement du sujet parce que c’est la contribution du sujet à une histoire qui n’est pas que la sienne. L’action sur le milieu est ici déterminante pour le sujet lui-même. […] L’homme n’est pas fait pour vivre dans un milieu, contrairement à l’animal, il doit pouvoir fabriquer du milieu pour vivre. Il y a donc un lien très fort entre santé et créativité ! […]

Être en bonne santé, c’est donc pouvoir « re-créer du milieu ». La santé est du coup un phénomène éminemment culturel.[…] La santé c’est la culture, une culture non réduite à un patrimoine à « apprendre » mais vue comme l’activité que je peux ou pas déployer sur les œuvres, et avec elles, pour vivre avec les autres.[…]

La finalité légitime est alors le développement de la personne. […] Vygotski le montre, le sujet est « personne », « unique en son genre », que lorsqu’il a fait siennes les conditions sociales de son existence, lorsqu’il les a refaites. Le sujet singulier, c’est la forme supérieure du social. Autrement dit la personne est une construction individuelle et sociale où en quelque sorte l’individu a « digéré » le social. […] Il faut renverser l’image classique du développement.
Ce n’est pas la gestion d’un stock de compétences, de capacités qu’on emmagasinerait.

Se développer c’est transformer une situation vécue en moyen d’en vivre une autre.

Paradoxalement le développement a à voir avec l’inaccompli. […] C’est générer du possible et pouvoir s’en saisir avec les autres, contre les autres et au-delà des autres. Le rapport entre l’individu et le collectif est ici assez décisif. Découvrir des possibilités souvent insoupçonnées n’est réalisable qu’au travers des autres et avec les autres. […] C’est le problème de la performance sportive. Elle n’appartient à personne, mais chacun peut justement s’y mesurer, comme un instrument collectif, pour développer son activité propre. Extérieure, elle est pourtant le moyen dont chacun dispose pour donner sa pleine mesure intérieure. […]

Se développer c’est transformer une situation vécue en moyen d’en vivre une autre. Quelqu’un d’accompli, c’est quelqu’un qui a éprouvé a quel point il est inaccompli. On oppose beaucoup trop l’individu et le collectif. Ceux qui sont les plus capables d’être seuls sont souvent ceux qui ont « fait le tour » de collectifs qui vivent en eux et avec lesquels ils peuvent justement « prendre des libertés ». Le plus important, c’est que le collectif puisse vivre en chaque individu pour élargir sa palette cognitive et subjective. Pour cela les controverses et les conflits de la vie collective restent une ressource majeure […] et permettent de ne pas tricher avec le réel. Tout notre travail depuis plus de quinze ans l’atteste. C’est là une source décisive pour le développement de chacun, dans ce qu’il a d’unique et d’indéterminé, de nécessaire et d’imprédictible, une ressource inégalable pour le développement de la vie sociale et collective. ♦

Cet article a été publié dans le Contrepied Hors-série N°1, Ensemble pour l’EPS en septembre 2011