Pour les enseignants d’EPS du collège des Aiguerelles de Montpellier, les différents aspects du métier – l’EPS et tout ce qui concerne la vie de l’établissement – sont imbriqués au politique.
Guy Bertolino et Yves Cardin montrent ici qu’une culture d’établissement se construit,tout en restant fragile et très dépendante de l’encadrement administratif, à partir de la capacité à mobiliser tous les collègues et à nouer des relations avec les parents.
Des conditions de vie et d’étude difficiles
Lorsque nous sommes arrivés il y a douze ans, les conditions de vie du collège étaient très difficiles : un collège non classé ZEP avec des problèmes de ZEP, surchargé (800 élèves pour une capacité d’accueil de 600), des élèves en échec (60 % de réussite seulement au brevet des collèges), des locaux inadaptés, dégradés. En EPS pas de terrain, un nombre insuffisant d’adultes (ATOS, surveillants)… Le tout avec une administration « molle ». Pourtant, il y avait déjà des enseignants de français et des documentalistes qui faisaient un travail que l’on peut appeler de « socialisation » autour de la « parole » (tables rondes d’élèves, photos langage, prises de paroles, etc.) de façon à permettre aux élèves issus de trois pôles géographiques qui ne se côtoient pas spontanément, notamment des harkis, des gitans et des magrébins, et qui communiquent plus souvent avec des coups et des insultes qu’avec les mots.
Mais pour nous, profs d’EPS, cela manquait de pratiques et de corps ! Nous nous sommes intégrés dans les projets en apportant notre spécificité et nos compétences notamment d’organisation.
Le sens de l’engagement de l’équipe EPS s’appuie sur plusieurs objectifs du projet d’établissement :
● créer du lien social non seulement entre toutes les personnes d’un établissement quelle que soit sa fonction (entre élèves, entre enseignants, ATOS, administration et entre élèves et adultes), mais aussi avec les familles et avec le monde extérieur à l’établissement.
Pour nous, tous les adultes, quelque soit leur fonction, doivent pouvoir s’adresser à n’importe quel élève et inversement. Il est regrettable d’entendre dire d’un élève lors d’un conflit : « toi t’es pas mon prof, t’as rien à me dire ».
Le respect s’établit surtout par la connaissance et la reconnaissance des uns et des autres et devrait déboucher sur une solidarité la plus forte possible pour empêcher les stigmatisations, les cloisonnements, l’exclusion progressive.
● Aider les élèves en difficulté dans leur parcours scolaire : la plupart du temps ces élèves ont peu ou pas de soutien familial et il est fondamental de les aider à reconstruire une image positive de la réussite scolaire et de leur personne (estime de soi).
● Favoriser des projets qui permettent l’accession à une culture plus large que celle qu’ils peuvent rencontrer dans leur environnement (sorties et voyage scolaires). Ces objectifs ont été atteints en partie, par la construction et la réalisation de nombreux projets pendant plusieurs années (sensibilisation des 6e à la socialisation, ateliers lecture, monitorat, tutorat, formation des élèves et des adultes à la médiation, école des parents, nombreuses sorties et voyages, etc.).
Ces projets, portés par la grande majorité des enseignants, ont été possibles grâce à un fort dynamisme professionnel et militant. Nous revenons ici sur trois aspects de cet engagement collectif dans lesquels les profs d’EPS se sont fortement impliqués. Le premier concerne la vie de l’établissement, le second une lutte plus « politique », le dernier, spécifique à l’EPS.
Le projet pluridisciplinaire d’accueil des 6e
Il s’agit de projets interdisciplinaires et transdisciplinaires : les 6e sont deux jours à l’extérieur de l’établissement, en hébergement collectif, et vivent des activités sportives (ou musique ou encore arts plastiques).
Tous les enseignants, personnels vie scolaire et ATOS s’investissent autour des collègues « moteurs » dont les profs EPS font toujours partie.
Ce qui importe ce sont les valeurs partagées avec les élèves : accepter le travail en groupe, s’ouvrir aux autres, accepter les différences, construire des codes et des repères communs basés sur le respect des droits et des devoirs collectifs.
Les élèves vivent une activité en petits groupes de 10 à 12 élèves.
Les activités abordent à la fois des questions d’apprentissages et des problèmes d’organisation et de relations. Après les activités, ils parlent de ce qu’ils ont fait, de leurs sensations, émotions positives, négatives et de leurs relations pour prendre conscience de leur façon de fonctionner entre eux. Cela parait banal, mais la vie en collectivité est une totale découverte et un apprentissage pas évident.
Ce séjour a donné lieu à la production d’une « Charte de vie » éditée en poster et affiché dans le collège et sur lequel les élèves peuvent revenir tout au long de l’année.
Cette charte de vie est un outil avec les élèves mais est aussi débattue avec certains profs (en particulier ceux qui ne vivent pas ce moment collectif) qui n’ont pas la même conception du rapport aux élèves et communiquent plus sur le mode autoritaire et le non-dialogue.
Pour ces profs, y compris des jeunes, socialiser, parler, c’est une perte de temps. Ils n’ont pas conscience de la réalité des conditions de vie de nos élèves. Pour eux, si les élèves ne réussissent pas, c’est simple, c’est parce qu’ils ne travaillent pas assez ! Cela ne fait que culpabiliser les jeunes et leur famille. Ils constatent que « ce n’est pas notre milieu » mais ne s’investissent pas pour les intégrer. Les élèves sont parfois même considérés comme des ennemis qu’il faut remettre sur les rails. Au moindre problème, ces enseignants se sentent visés en tant que personne et ne réagissent pas toujours en « professionnel » représentant une institution.
L’articulation avec les luttes revendicatives
Notre collège a une histoire de lutte, dans laquelle les profs EPS ont toujours été impliqués. En 2000, le collège a été occupé pendant six semaines.
Au départ, deux évènements assez classiques, l’agression d’une surveillante et un vol à l’encontre d’une prof. Il faut remarquer au passage que, dans ces situations là, il faut vraiment être militant pour ne pas craquer.
On a tous dit : ça suffit, on arrête, on se met autour d’une table, on invite les parents pour envisager ensemble des solutions et on écrit au rectorat.
Nous demandions tout simplement un ATOS, une infirmière, des surveillants supplémentaires.
Nous nous sommes mis en grève, le rectorat n’a pas répondu.
Au bout d’une semaine, les parents ont pris le relais en occupant jour et nuit le collège pendant quatre semaines et demie. Ils s’organisaient entre eux pour assurer les gardes d’enfants. Les élèves n’avaient pas cours (sauf les élèves de 3e qui ont eu du travail pour préparer le brevet), nous passions nos journées à nous réunir, contacter la presse, écrire à tel ou tel élu, au conseil général. Nous réunissions entre cent et deux cent parents chaque fin de semaine pour décider de la suite de l’action. Nous n’avons repris le travail que lorsque les surveillants et infirmière promis sont arrivés.
Cette lutte nous a permis de développer des compétences individuelles et collectives.
En 2003, nous avons été très rapidement en grève, nous avions appris que le dialogue, les explications, la voie normale (courrier, voie administrative) pour alerter, ne suffisent pas pour avancer.
Des installations pour l’EPS
Notre premier engagement a porté sur les installations. Avant sa restructuration programmée par le conseil général en 2001, il n’y avait rien dans ce collège (pas de salle de cours d’EPS, pas de vestiaire à part les toilettes, un terrain de hand dans la cour du collège, deux terrains stabilisés un gymnase et une piscine 4 couloirs à partager avec d’autres établissements à 20 mn du collège).
Nous ne pouvions faire que de l’athlétisme et des sports co.
Une fois de plus, c’est une journée de grève en 1997, de l’ensemble des personnels nous soutenant, qui a accéléré le processus de restructuration de l’ensemble du collège. Nous nous sommes appuyés sur les textes pour faire valoir nos besoins (huit familles d’activité en collège).
De nombreuses réunions, avec le personnel technique et les architectes ont permis de satisfaire nos demandes. Là aussi, il y a des différences dans la façon d’associer les enseignants. Entre un architecte qui dit « explicitez-moi vos besoins » et un autre qui trouve que nous sommes des profs bien trop exigeants, le résultat n’est pas le même.
Il a fallu dix ans de lutte, de travail, de patience et de réunions pour obtenir trois salles couvertes et pouvoir respecter les huit groupes d’activité.
Ce résultat est le fruit d’une conception collective de l’équipe EPS et des tâches qui lui sont assignées (coordination, gestion de l’AS, réflexion sur nos pratiques, formations continues en équipe) avec l’importance de rester solidaires.
Ce qui nous a permis de réaliser des projets communs (sortie ski pour tout le niveau 3e, sortie course d’orientation pour tout le niveau 6e, cinq jours en Ardèche comme projet de fin d’année pour les élèves de l’AS (APPN et éco-citoyenneté). Couvrir les huit groupes d’APSA et concevoir ces projets est extrêmement important pour nos élèves issus majoritairement d’un milieu défavorisé.
Le rôle déterminant de l’administration
Lorsque nous faisons le bilan de ce qu’il reste après une période de dix ans (1997/2007), nous nous apercevons que rien n’est jamais acquis et que tout est à refaire aujourd’hui, et cela pour plusieurs raisons. Nous avons subi quatre changements de personnel administratif dans cette période.
Nous constatons d’une part que les compétences et les motivations varient d’une équipe à une autre et d’autre part que le souci d’une continuité pour préserver ce qui marche n’existe pas. Nous nous battons depuis quatre ans pour reconstruire des actions qui marchaient auparavant (l’accueil des 6e et les voyages scolaires n’existent plus). Il faut sans cesse argumenter et convaincre pour les uns alors que cela tombe sous le sens pour les autres.
La politique d’un collège et sa dynamique sont liées à son personnel quand il est porté par sa direction.
Elle peut infantiliser ou responsabiliser, favoriser les projets ou les freiner, elle peut rassembler ou diviser (pour mieux régner).
Quelques exemples.
- Si cette direction ne veut pas (ou n’est pas capable) d’obtenir des subventions, tous les projets tombent à l’eau.
- Si une direction n’assiste pas au spectacle de fin d’année des élèves, quel impact peut-elle avoir ensuite sur ces élèves et leurs parents ?
- Si la direction impose de manière autoritaire l’auto-remplacement, elle empêche toute initiative.
Dans notre établissement, nous avons toujours eu des arrangements volontaires pour remplacer un collègue absent lorsque notre emploi du temps était perturbé par un projet.
Cela avait du sens pour nous, cela faisait partie de la cohérence du projet d’équipe. Personne n’était perdant, la continuité du service était assurée le mieux possible.
Aujourd’hui, que ce soit pour partir en formation continue ou participer à un projet, la direction impose l’auto-remplacement ou des pourcentages de remplacement qui surchargeraient les emplois du temps des élèves. Tout cela sans tenir compte que les profs s’investissent largement au-delà de leurs heures de cours habituelles pour encadrer des projets !
Cet autoritarisme s’accompagne de discriminations, comme par exemple, refuser aux profs EPS, trop contestataires des fonctions de prof principal !
Dans tous les cas il semble exister de grandes disparités dans la formation du personnel de direction, et en dernier lieu ce sont toujours les enfants qui en subissent les conséquences.
Toujours convaincre et être solidaires
Malgré tout, notre équipe de collège reste mobilisée dès qu’un problème se pose, notamment dès qu’un collègue est en difficulté.
L’équipe EPS continue d’être présente au conseil d’administration pour défendre l’ensemble des personnels et pour pouvoir jouer un rôle moteur d’information, voire de formation auprès des autres collègues.
Nous constatons par exemple que tout le monde n’a pas le souci de maîtriser l’outil que représente la DHG (dotation horaire globale). Cela arrive à certaines équipes de faire jusqu’à un mi-temps d’heures supplémentaires alors qu’un prof est à cheval sur deux établissements.
Il faut prendre beaucoup de temps pour expliquer, convaincre. C’est la seule solution si on veut que les collègues soient capables de résister aux pressions individuelles et à l’autoritarisme qui casse les solidarités.
Notre collège a une mauvaise réputation auprès du rectorat, parce que nous sommes considérés comme des contestataires alors qu’il nous semble que nous ne faisons que défendre le service public d’éducation.
La plupart du temps, l’institution ne gère les choses que dans l’urgence et rarement par anticipation et compréhension. Le plus grave est lorsqu’elle ne partage pas les mêmes valeurs que nous.
Lorsque nous sommes face à des logiques marchandes, comptables dans lesquelles l’être, (l’élève, le prof, l’ATOS ou les surveillants) est ramené à une valeur de rentabilité et non face à une logique de production d’hommes citoyens responsables.
Comment ne pas lutter de façon permanente contre les aberrations que cette logique génère de façon tout aussi permanente ?
(Cet article est paru dans Contrepied n°21 – EPS, des choix politiques quotidiens.)