Une recherche florissante sur le cirque

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Souvent pluridisciplinaires, avec des collaborations entre chercheurs et artistes, les recherches sur le cirque touchent différents domaines : la formation, la production, l’esthétique, les techniques… Tour d’horizon.

En janvier 2010, la revue Stradda a consacré un numéro aux livres sur le cirque et à la critique d’art (n°15, Le cirque en toutes lettres).
Les auteurs insistent sur la difficulté à parler du cirque, à classer ses différentes formes.

Pour Philippe Goudard, qui a fait une thèse sur l’esthétique du risque au cirque et créé la Bibiliographie européenne des arts du cirque, « la littérature sur les arts de la piste est à l’image du cirque : internationale, généreuse et bigarrée… La variété des textes et leur dispersion dans le champ éditorial sont impressionnantes (239 éditeurs). La classification thématique est délicate. Les tentatives périodiques de typologie mettent en évidence que le cirque, art de l’impermanence, échappe sans cesse à l’observateur comme aux catalogues ».

Peu d’historiens travaillent sur le cirque.
Pour Julien Rosenberg « les écrits historiques s’emploient à identifier à gros traits les périodes de stabilité et de rupture des formes spectaculaires. Mais les vraies problématiques historiques restent encore à explorer et elles sont nombreuses : s’intéresser aux hommes, leurs modes d’organisation, leurs représentations…. Ainsi le cirque n’a pas à être systématiquement analysé comme art puisqu’il n’a pas toujours été considéré comme tel. Il faut assumer les trous d’histoire et non proposer des vraisemblances – la genèse du nouveau cirque par exemple, reste à écrire – et renoncer à écrire une “ Histoire du cirque tout court ” (…). Ouvrir des nouveaux chantiers problématiques pour lire le cirque sans s’arc-bouter sur la seule histoire des formes : de la patrimonialisation du vivant à la frontière entre culture et loisirs, de la représentation sociale de l’artiste de cirque aux logiques d’influence des politiques culturelles sur les pratiques, des logiques de transmission au sein d’une équipe aux relations artistiques internationales… ».

C’est dans cet esprit que Magali Sizorn, Marine Cordier, respectivement enseignantes au STAPS de Rouen et Nanterre, ont éprouvé la nécessité, en partenariat avec HorsLesMurs, de relancer un collectif de chercheurs en cirque initié en 2006 par Emilie Salamero et Marie Jolion. Alors qu’elles ne croyaient réunir que quelques personnes, celles-ci ont été 30 à se retrouver en décembre 2011 et former un groupe fédérant des recherches de tous ordres : historiques, anthropologiques, sociologiques, économiques, psychologiques, psychanalytiques, didactiques, etc.

Ces recherches sont souvent pluridisciplinaires, spéculatives sur le cirque et dans le cirque, avec des collaborations entre chercheurs et artistes dans différents domaines : la formation, la production, l’esthétique, les techniques, etc.
En voilà un aperçu.

Les études socio-historiques s’interrogent sur l’émergence du cirque contemporain et la professionnalisation de l’activité. Marine Cordier a étudié la façon dont les artistes du nouveau cirque mobilisent la notion de création : d’une part il y a la volonté de concevoir des œuvres et d’autre part celle de se distinguer du cirque traditionnel avec une certaine intellectualisation du travail voire une théorisation de leur pratique artistique. La référence à la création est centrale, ainsi que celle de la démocratisation, pour obtenir le soutien des institutions, obtenir des subventions et conquérir une forme d’autonomie. Ce qui n’est pas sans créer une ambivalence vis-à-vis de l’institution et générer des tensions.

Céline Spinelli compare des festivals de cirque contemporain en France et au Brésil : quels acteurs sociaux participent au festival observé? Quels enjeux sont mis en avant ? Quel espace chaque groupe d’acteurs occupe t-il dans le festival, comment interagissent-ils? Quels types de spectacles sont présentés et comment ce choix se réalise? Quel public attirent-ils?

Magali Sizorn s’est interrogée sur la façon dont les trapézistes construisent une identité d’artiste, à la frontière entre le sport, l’art, la performance, la technique, ainsi qu’aux processus multiples de reconnaissance du cirque en tant qu’art.

Carlotta Amodeo, avec la notion de « corps engagé », observe et questionne la façon dont différentes compagnies affichent leur engagement politique au travers de leurs spectacles.

Les écoles de cirque et la formation des artistes font également l’objet de recherches.
Emilie Salamero étudie les trajectoires professionnelles des circassiens dans six écoles professionnelles.

Elise Lantz analyse la façon dont le milieu circassien a tissé des liens singuliers avec le handicap. Elle tente de comprendre comment se sont construites des possibilités diverses de participation des personnes en situation de handicap dans les écoles de loisirs et comment les pratiques circassiennes véhiculent un système de représentations singulier à l’égard du handicap qui devient matière à création.

Florence Legendre, Vincent Grostéphan, Tony Froissart et Delphine Lafollie ont présenté un projet de recherche visant à étudier le risque dans l’école nationale supérieure du Cirque de Chalons en Champagne. Ils s’inscrivent dans le débat sur les ruptures et les continuités entre le cirque traditionnel et le cirque contemporain qui suggère que ce dernier serait moins basé sur l’exploit (Guy, 2001).
Ce n’est pas l’avis d’autres chercheurs comme Francine Fourmaux pour qui « la mise en spectacle du péril et de la prouesse reste un élément essentiel au cirque ». Le risque apparaît au final comme constitutif des métiers du cirque à plus d’un titre (Menger, 1991). L’équipe de chercheurs aborde cette dimension professionnelle dans une démarche plurielle : psychologique pour explorer les rapports des individus au risque, pédagogique pour mettre en lumière les processus de formation, sociologique et historique pour comprendre les parcours et les représentations de la culture professionnelle.

Des artistes s’engagent aussi dans des travaux de recherches, à partir de leur expérience. Par exemple, Catherine Wolf affirme ne pas vouloir être un « lapin de laboratoire  » et étudie la transcription du mouvement de Benesh inventé pour la danse qu’elle transpose en cirque, pour le trapèze et les portés acrobatiques.
Rafael Da Silva, clown, étudie le jeu de Slava Polunin qui apporte une conception de clown pleine de signes et expressivités. Il se demande pourquoi sa création touche un public diversifié, de toutes cultures, en de multiples parties de notre planète. Il analyse l’existence d’aspects universels du langage du clown qui dépassent des barrières culturelles pour valoriser un possible dialogue avec l’essence de chaque personne et sa communauté.
Marisa Ribeiro Soares analyse le surgissement des femmes clown au xxe siècle en comparant l’univers de Gardi Hutter et celui d’Annie Fratellini. Celle-ci a été la première femme à jouer l’auguste, le clown rouge, celui qui incarne la bêtise. Le répertoire et les techniques de présentation des clowns féminins constituent pour elle un mélange d’anciennes pratiques et d’innovations, tout particulièrement en ce qui concerne les situations comiques propres à l’univers féminin.
Cette recherche prolonge celle de Marie Carmen Garcia, qui grâce à une démarche ethnographique, au travers de parcours d’artistes, venant du milieu sportif ou de la danse, a souligné les manières dont les logiques de distinction sociale s’articulent avec les socialisations sexuées. Elle a observé que dans le cirque contemporain, les logiques sexuées existent aussi. Le jonglage est traditionnellement « masculin » par exemple. Les femmes amatrices de pratiques clownesques deviennent rarement professionnelles.
Plusieurs études comparent théâtre, danse et cirque.
Agathe Dumont approche des pratiques, des discours et des représentations de la notion de virtuosité en observant douze interprètes danseurs, breakeurs et acrobates. Elle étudie le processus d’incorporation d’un geste virtuose avec tout ce que cela nécessite d’entrainement, de répétition et de processus de création.
Dans le monde de l’école, il y a relativement peu de recherches. Natacha Estivie enseigne les arts du cirque en lycée. Elle étudie l’activité de ses propres élèves dans une perspective ethno-sociologique : comment les élèves se vivent-ils et se disent-ils circassiens ? La notion d’engagement dans une démarche de création est centrale dans son travail.

Joelle Coasne, enseignante en STAPS, fait une thèse sur une ingénierie didactique en cirque avec une classe de 5e. En collaboration avec un enseignant, elle propose une forme de pratique en relation avec les nouveaux programmes de collège 2008. Elle s’attache à proposer aux élèves de vivre le jeu circassien d’expert entre prise de risque et expressivité. L’enjeu est de leur faire vivre une démarche de création artistique à l’image des professionnels. Le détail de son travail et ses propositions didactiques ici

Cet article est paru dans Contrepied – C’est quoi ce cirque ? – Hors-série n°3 – mai 2012