Sexisme et homophobie, reproduction de l’ordre sexué et sexuel

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Lors du séminaire « Homophobie et sport » organisé par le Centre EPS & Société, Nicole Mosconi, enseignante-chercheuse à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, s’est proposé de traiter 3 points :
– définir ce qu’on entend par sexisme et homophobie,
– montrer le lien entre les deux par l’intermédiaire de la notion de genre
– montrer comment sexisme et homophobie se traduisent dans les rapports entre jeunes et les rapports adultes-jeunes.


1. Sexisme homophobie
Le sexisme est un terme qui a été créé dans les années 60, par analogie avec le terme racisme, pour montrer que le sexe constitue pour les femmes, exactement comme le « racisme » pour les groupes qui en sont victimes, un facteur de discrimination, de subordination et de dévalorisation. On pourrait en dire autant de l’homophobie, dans la mesure où l’orientation sexuelle peut constituer aussi un facteur de discrimination, de subordination et de dévalorisation. Le terme de « phobie » ajoute une nuance de crainte : « peur irraisonnée, angoissante, obsédante », dit le dictionnaire. Pour les femmes on parle plutôt de misogynie (haine des femmes) ; mais il y a aussi, chez certains hommes, une haine des homosexuels et, vis à vis des femmes, l’équivalent d’une « phobie », une peur irraisonnée, bien contraire, soit dit en passant, à la supposée « rationalité » de « l’homme ».
On peut lier cette peur à l’ordre social dans lequel nous vivons qui repose sur un double rapport de pouvoir entre les sexes, d’une part, et entre les hétérosexuels et les homosexuels, d’autre part. C’est ce qu’on appelle le « genre », rapport de pouvoir qui organise un ordre social sexué où les dominants sont les hommes et les hétérosexuels et les dominés, les femmes et les gays et lesbiennes, ainsi que les transsexuels ou transgenre. Or, tout système de pouvoir est instable et la domination des dominants, les hommes ou les hétérosexuels, peut toujours être contestée et remise en question par ceux ou celles sur lesquel-le-s elle s’exerce ; d’où cette crainte que les dominants ont des dominé-e-s.
Ce rapport de pouvoir se traduit à la fois dans les rapports individuels et collectifs mais aussi dans les institutions : pour les rapports hommes-femmes, la famille, l’école, l’économie, la politique, le droit, la culture. Et pour les rapports entre hétérosexuels et homosexuels, non seulement il y a domination mais aussi répression ; dans notre société, trois institutions principalement se sont chargées de réprimer les pratiques gays et lesbiennes : la religion chrétienne a fait de l’homosexualité un péché, la médecine, un trouble psychique, une « perversion », et le droit, un crime, un fléau social, supposé source de désordre social.
C’est aussi parce qu’il y a domination qu’il y a risque de violence : violence verbale des injures sexistes ou homophobes et violence physique : violence conjugale et viol pour les femmes, violence homophobe. Une différence cependant à ce sujet : le sexisme repose sur la domination des femmes mais ne vise pas leur extermination (il faut assurer sa descendance !), tandis que l’homophobie à la limite viserait l’extermination des homosexuels (il faut rappeler qu’Hitler les a envoyés en camp de concentration, comme les juifs). De ce point de vue, l’homophobie se rapprocherait plus de l’antisémitisme que du sexisme.

2. Le système sexe/genre et le lien sexisme-homophobie
Pour les sexes, une anthropologue (Gayle Rubin) parle de « tabou sur la ressemblance », femmes et hommes « ne doivent pas » être semblables, ne pas être « mêmes » (que l’autre sexe) ; ce qui crée la norme de la différence des sexes ; les sexes masculin et féminin de l’état civil ne sont pas le sexe biologique mais une construction juridique : il faut que le masculin et le féminin soient radicalement distincts, afin qu’il soit possible et même qu’on doive les hiérarchiser ; le masculin l’emporte sur le féminin, ce qui ne vaut pas seulement en grammaire.
C’est par là que se fait le lien entre sexisme et homophobie, dans nos sociétés occidentales ; car cet interdit quasi-sacré sur la ressemblance se double aussi d’une injonction d’aimer l’« autre » sexe et de ne jamais désirer le « même » sexe. Ce qui crée la norme du mariage hétérosexuel. En effet, de même que le masculin et le féminin sont des normes, l’hétérosexualité est aussi une norme (on parle d’hétéronormativité) qui entraîne la domination qui s’exerce sur les homosexuels, avec la dévalorisation, voire la répression qui s’ensuit. Cette norme implique une famille faite uniquement pour la procréation et l’éducation des enfants, la mère étant sous l’autorité du Père, ce qui implique la double idée de l’infériorité de la femme et des homosexuels ; les gays sont supposés ne pas être des « vrais » hommes et les lesbiennes de « vraies » femmes : on ne reproche pas seulement à certains hommes gays leur « orientation sexuelle » mais aussi leur absence d’agressivité et de goût pour la compétition et à certaines lesbiennes leur « absence de charme, de tendresse et de compassion »1 ; celles qui refusent la maternité commettent la pire faute et paradoxalement quand elles veulent l’être on leur refuse la PMA, car on refuse « l’enfant sans père » ; mais on refuse encore plus la paternité aux hommes sans mère. Autrement l’hétéronormativité, c’est la répression d’une sexualité qui ne vise pas à la consolidation de la famille patriarcale et à la procréation. L’homosexuel-le menace la natalité pour des sociétés qui ont besoin d’enfants pour l’économie.
Il est aussi intéressant de comparer l’usage que l’idéologie dominante fait de la notion de « nature » dans le cas du sexisme et de l’homophobie. Pour le sexisme le masculin et le féminin sont naturels, ils viennent de la biologie. Ce qui permet de dénoncer comme « contre nature » une femme de pouvoir ou une intellectuelle, privilèges masculins que les femmes ne doivent pas « usurper », leur « nature » étant d’être séduisantes, de faire des enfants et de s’occuper de la maison. Mais on considère aussi qu’est « contre nature » un homme qui refuse de dominer les autres et surtout les femmes. C’est la même idéologie naturaliste qui fonctionne pour l’homosexualité que pour le sexisme. On transforme la norme de l’hétérosexualité en « loi naturelle » et l’homosexuel-le (gay et lesbienne) devient « contre-nature ».
Mais de quelle nature parle-t-on ? Pas celle de la biologie : l’éthologie animale nous montre que l’homosexualité est pratiquée par beaucoup d’espèces animales entre mâles et entre femelles. Mais ce n’est pas le problème, car l’essentiel, c’est que, en parlant de « nature », on oublie que cette « nature », c’est, selon la formule de Canguilhem, une « normalisation sans normativité », c’est-à-dire une construction sociale de normes qui se dénient comme construites, dont les groupes sociaux qui en sont les auteurs ne veulent pas se reconnaître comme responsables. Toute création d’une norme, en effet, suppose un créateur de norme, individuel ou plus souvent collectif. Et les normes qui régissent les vies humaines sont des créations humaines des sociétés humaines, elles ne viennent ni de Dieu, mais pas non plus de la nature, qui est un avatar sécularisé de la divinité. L’idée de nature sert justement à masquer l’origine humaine, donc conventionnelle, donc historique, donc réformable des normes. La nature, est le masque de l’auteur humain de la norme. Il faut affirmer hautement que, si, dans toute société, la sexualité est toujours soumise à des règles et à des normes, celles-ci sont différentes selon les sociétés et les époques historiques. L’hétérosexualité n’est pas plus « naturelle » que l’homosexualité ; dans la Grèce antique et dans beaucoup d’autres sociétés, l’homosexualité elle-même était une institution, au même titre que le mariage hétérosexuel. Donc ces règles et ces normes ne sont pas éternelles et immuables et elles peuvent être transformées et elles le doivent quand elles sont source d’injustices, comme dans le sexisme et l’homophobie.
Le sexisme et l’homophobie n’organisent pas seulement les rapports interindividuels, mais aussi les rapports dans les institutions. Qu’en est-il du sport comme institution que ce soit à l’école ou dans les clubs sportifs?

3. Sexisme et homophobie dans les clubs et à l’école
Ni l’institution scolaire ni les institutions sportives ne sont en dehors de la société, or il existe une tradition sexiste et homophobe dans notre société. En matière de rapports des sexes et des sexualités, la morale laïque de la troisième République a eu tendance à reproduire les tabous de la morale religieuse chrétienne et bourgeoise. Aujourd’hui cet ordre social sexué et homophobe est remis en question.
Il existe des textes au niveau international de l’ONU et du Conseil de l’Europe et au niveau national qui interdisent toute discrimination en raison du sexe ou de l’orientation sexuelle. Il existe aussi une loi qui réprime des injures homophobes et sexistes. Et pour l’école, depuis une vingtaine d’années, il existe des conventions et des circulaires qui prescrivent de lutter contre le sexisme et l’homophobie.
C’est pourquoi aujourd’hui l’ensemble de la société est traversée par des conflits : d’un côté elle affirme l’égalité des sexes et des sexualités, mais d’un autre côté le système du genre, comme rapports inégaux entre les sexes et les sexualités qui produit les normes du féminin et du masculin, existe toujours.
C’est pourquoi on apprend toujours aux enfants à devenir des femmes et des hommes conformes. Et ceux qui ne le sont pas subissent des pressions et même éventuellement de la violence verbale ou physique. C’est pourquoi le sexisme et l’homophobie sont présents dans les institutions scolaire et sportive.
Le sexisme et l’homophobie sont liés aux stéréotypes produits par le système du genre.

1) Les stéréotypes sexistes et homophobes
Les stéréotypes sont un ensemble de croyances rigides voire caricaturales, concernant les caractéristiques supposées des membres de groupes sociaux différents. Les stéréotypes se produisent principalement quand deux groupes sociaux inégaux sont en présence. Ils différencient alors les deux groupes pour les hiérarchiser, valoriser le groupe dominant et dévaloriser le groupe dominé. Les stéréotypes sexistes ou homophobes opposent selon ce schéma le féminin dévalorisé au masculin valorisé et de même l’hétérosexuel valorisé à l’homosexuel dévalorisé. Ces deux stéréotypes sont liés celui du gay est celui de l’homme « efféminé » et celui de la lesbienne de la femme « virilisée ».
Et ces stéréotypes guident nos perceptions, nos attentes et nos comportements et par là joue un grand rôle dans le sexisme et l’homophobie.
L’enfant s’en imprègne dès sa première année de vie, et va continuer à les intégrer tout au long de son enfance et de sa jeunesse, dans sa famille et par les media, d’une part, mais aussi par les institutions éducatives. D’abord dans les relations entre pairs.

2) Les relations entre pairs.
Dans les relations entre pairs, les garçons ont tendance à imposer leur dominance sur le groupe des filles mais aussi sur les garçons non conformes aussi bien dans la cour de récréation que dans la classe. Ce sont les moqueries, la dérision, les plaisanteries et injures sexistes, mais aussi homophobes (pédé, gouine, tapette, tante, travelo), voire les persécutions.
Dans la cour de récréation en primaire, un garçon qui joue avec les filles à des jeux « de filles » se fera moquer de lui et sera vite traité de « pédé » par les autres garçons, voire deviendra leur souffre-douleur ; et une fille qui veut jouer au foot sera traitée de « garçon manqué ». À noter que la stigmatisation n’est pas de même nature : ce qu’on reproche au garçon, c’est de dévaloriser sa classe de sexe, en s’assimilant aux filles et de rompre la complicité de sexe pour s’opposer aux filles et affirmer la supériorité de groupe des garçons sur le groupe des filles ; tandis que ce qu’on reproche à la fille, c’est de prétendre égaler la classe de sexe opposée, et pour que l’inégalité se maintienne, on dit qu’elle n’en sera pas vraiment capable : une fille sera toujours « manquée », en tant que garçon.
Des stéréotypes s’attachent aussi aux disciplines scolaires. L’EPS, c’est plutôt masculin. Il y a aussi des stéréotypes qui divisent les disciplines sportives elles-mêmes : le football, le rugby, c’est masculin, la gymnastique, la GRS, la danse, c’est féminin : chaque groupe de sexe a tendance à résister quand on lui propose de pratiquer des disciplines pour lesquelles elles et ils croient qu’elles et ils ne sont pas « faites pour ». Les garçons chahutent (pour imposer leur pouvoir), les filles se retirent, refusent de participer.
Mais parfois les enfants et les jeunes rencontrent la complicité des adultes.

3) Les relations adultes-enfants
Les stéréotypes ont tendance aussi à orienter les adultes dans leurs regards sur les jeunes, dans leurs jugements, leurs attentes, leurs conduites aussi sans qu’ils s’en rendent toujours compte.
Les adultes ont des conduites différentes vis-à-vis de chaque sexe. Ils n’attendent pas la même chose des filles et des garçons. Ils tolèrent plus l’indiscipline des garçons que celle des filles. Leurs conduites sont souvent empreintes d’une homophobie inconsciente quand ils sont mal à l’aise avec les garçons « qui ne savent pas se défendre » et avec les filles agressives. Il y a du sexisme aussi : les adultes ont tendance à accorder plus d’importance aux garçons qu’aux filles : on sait combien les équipes de filles en sport co ont du mal à avoir des terrains pour s’entraîner. Et entraîner une équipe féminine, c’est moins « glorieux » qu’entraîner une équipe masculine.
On s’attend à ce que les garçons aiment les sports et soient bons en EPS, et les garçons qui ne correspondent pas à ce modèle déçoivent et on s’en moque facilement. Mais les filles, elles, sont plutôt supposées ne pas aimer les sports et ne pas réussir. Ils sont prêts à penser que les garçons sont doués et que les filles n’auront que de la bonne volonté et du sérieux. C’est la notion d’un « double standard » : des critères de jugement différents pour les filles et les garçons. Bien sûr ces différences de traitement sont aussi liées à l’origine sociale des élèves. On sait que le différentiel de résultats filles/garçons au bac est fortement corrélé à l’origine sociale.
Quand un garçon aime et pratique la danse, il est vite traité d’« efféminé » ou de « pédé », sauf s’il fait du hip hop, et une fille qui aime le rugby ou qui pratique du karaté sera dite à nouveau être un « garçon manqué ».
On peut penser que tous ces jugements produisent des effets de prédiction auto-réalisatrice (ce qu’on nomme « effet Pygmalion ») : les élèves ont tendance à se conforment à ce qu’on attend d’eux. 

Conclusion : Que faire ?
Que faire devant des comportements sexistes ou homophobes ? Il est important d’abord de les repérer, car ce n’est pas toujours évident. Ensuite, s’ils veulent œuvrer pour l’égalité des sexes et des sexualités, les adultes se doivent de ne pas les laisser passer, ils doivent réagir ; la question est de savoir comment.
Il faut enfoncer le clou : les garçons/hommes ne sont pas supérieurs aux filles/femmes. Les filles/femmes sont des êtres humains au même titre que les garçons/hommes et doivent être traitées en tant que telles. De même sur l’homophobie, il faut affirmer : « l’homosexualité est une façon ordinaire bien que minoritaire d’être un être humain » (Jean-Louis Bory). L’affirmation de principes généraux comme par exemple : « on ne se moque pas » est important.
Sur le comment faire, ce sont les adultes en situation qui peuvent répondre à cette question. Je ferai juste une remarque. Une des difficultés me semble de trouver les moyens de réagir, de marquer son désaccord sans braquer ou humilier les jeunes. Des réactions après coup et non à chaud, dans une discussion collective, peuvent aussi avoir leur intérêt et leur vertu. En tous cas, si l’on veut être en accord avec ses convictions concernant l’égalité des sexes et des sexualités, il est important de prêter attention aux comportements qui les contredisent et de tâcher de les éliminer, que ce soit dans nos propres comportements ou dans ceux des jeunes.

Cet article est paru dans le magazine Les Sportives N°9