Il est assez rare que toute une politique de l’EPS soit résumée dans un article de loi. Cela a été le cas avec l’article 3 de la loi du 29 octobre 1975.
Mais, campons d’abord le décor.
Fin 1974, un climat plutôt tendu :
Giscard est Président de justesse contre la gauche, Chirac, Premier ministre, Haby Ministre de l’Education (qui n’est plus nationale) et enfin Pierre Mazeaud, alpiniste, juriste, réputé colérique, est chargé de la Jeunesse et des Sports.
En juin 74, pendant les championnats de France à Charléty, étudiants et professeurs envahissent la pelouse pour protester contre la réduction des postes au CAPEPS. Un certain Guy Drut lui-même étudiant, interviewé pour son record d’Europe et un peu poussé par l’ambiance, dénonce le scandale du manque de postes.
Le budget J-S 75 s’annonce encore pire que celui de 74 pourtant voté dans l’hostilité générale.
La guérilla contre les transferts de postes et contre les CAS se poursuit (voir chronique précédente). Les professeurs d’EPS choisissent à 95% de garder l’A.S dans leur service, malgré les pressions ministérielles pour l’effectuer en HS. Mazeaud accusera alors les profs de conservatisme et de » faire 300 pages sur le sifflet » ! II distinguera ensuite subtilement le « sport à l’école » et le « sport des scolaires » qui pourrait s’effectuer en dehors de l’école, pour mieux abandonner la référence aux 5 h.
Entêtement… ou diversion à un budget de 0,7% ?
Octobre 74 : le projet de loi circule « secrètement » mais le Snep le publiera en dénonçant son contenu et en particulier l’article 3 qui condense toutes les recettes d’une politique de démission du service public et qui en fait une loi de légalisation de la pénurie :
On parle d’ « initiation sportive » et non d’EPS (quid des IO de 67 ?)
Celle-ci serait assurée indistinctement par les établissements, les AS, les CAS (Centres d’animation sportive) et le bouquet, par des clubs sportifs » habilités « .
On légalise aussi l’intervention d’éducateurs sportifs à l’école.
Par ailleurs l’INSEP, établissement non universitaire, est créé.
Ce projet de loi est accompagné, début 75, de quelques compléments éclairants : certes, le DEUG?STAPS est officialisé pour permettre aussi des » débouchés hors enseignement » mais surtout un professorat-adjoint d’EPS est créé, corps conçu à cheval sur le scolaire et l’extra scolaire, avec l’objectif évident de concurrencer le professorat. Le SNEEPS (Syndicat des maîtres) et la FEN qui ont négocié le décret se montreront d’ailleurs pendant un certain temps favorables au projet de loi.
Cependant cette loi, qui sera associée à la loi Haby ? elle-même d’inspiration libérale ? va faire rapidement l’unanimité contre elle : non seulement toutes les organisations du « Comité pour le doublement’ du budget J&S. (Parents, mouvements d’éducation populaire, FNOMS, UFOLEP, FSGT), mais aussi les Fédérations sportives qui craignent pour leur indépendance et qui sont sensibles à l’argument » Mieux vaut un bon budget sans loi, qu’une loi avec un mauvais budget « .
Le 14 mars le CSEN (conseil supérieur de l’EN) exprime son hostilité.
Le Snep qui rassemble 85 % des suffrages aux élections professionnelles de janvier 75 édite à 120000 exemplaires une brochure » EPS, Luxe ou Nécessité ? » qui expose ses propositions et sa critique de la Loi.
Un tour de France réussi…
C’est alors que Pierre Mazeaud a l’imprudence d’entreprendre de janvier à mars 75 un Tour de France » d’explications « . A chaque étape, les étudiants, les professeurs, mais aussi des élus et des sportifs, manifesteront vigoureusement. Le 15 mai, une forte grève unitaire Snep-Sneeps exige des postes et le retrait du projet de loi.
Le 19 mai, à Charléty, au championnat de France ASSU, devant Mazeaud excédé, le même scénario qu’en 74 se déroule.
Le 24 mai, 100 000 manifestants exigent le retrait de la réforme Haby qui sera cependant adoptée à la sauvette avant les vacances. Le débat sur la loi Mazeaud, prévu en juin, sera repoussé en octobre et la loi sera votée par la droite par discipline avec des réserves et des absences (Herzog notamment). Au lendemain de ce vote, le 7 novembre les étudiants et les professeurs d’EPS sont en grève pour réclamer des postes au budget
Une loi pour rien ?
L’article 3 restera, heureusement, inappliqué. La mise en échec des CAS se confirmera, les clubs ne pourront intervenir. L’enjeu essentiel restera les horaires et les postes !
Mazeaud partira, très amer, en août 76…et pourtant sa loi survivra jusqu’en 1984 !
LA PIECE A CONVICTION :
L’article 3 de la loi ou » article scélérat » !
» Art.3.-Dans l’enseignement du premier et du second degré, tout élève bénéficie d’une initiation sportive. Cet enseignement est gratuit et à la charge de l’état. Il est donné soit par des enseignants, soit sous la responsabilité pédagogique de ces derniers, par des éducateurs sportifs.
Il est organisé par les établissement d’enseignement publics et privés et les associations sportives de ces établissements, avec le concours des services du ministère chargé des sports et des groupements sportifs … habilités à cet effet … »
A noter que certaines formulations des premiers projets étaient encore plus directes.