Un Contre-pied pour la profession !

Temps de lecture : 8 mn.

La revue, dont vous lisez ici la présentation, est le fruit d’un triple engagement. Autant poser cette affirmation d’emblée. L’engagement d’une organisation syndicale qui cultive la différence en créant, en 1996, le Centre EPS et Société dont la fonction première est d’animer un travail, dans un esprit de controverse, sur les enjeux culturels, didactiques, pédagogiques et sociaux de l’EPS.

L’engagement d’un homme ensuite, Jacques Rouyer, qui a impulsé dès son origine la réflexion autour d’un «projet social et culturel» pour la discipline.

L’engagement enfin de ceux qui ont participé, à un titre ou un autre, à la réalisation de cette revue : les membres du conseil scientifique et social comme Paul Goirand, Jacqueline Marsenach, Yves Clot, Jean-Yves Rochex et bien d’autres et, bien sûr, tous les auteurs qui en ont apporté la «matière».

Cet engagement décisif se fonde sur les valeurs que le SNEP porte dans toutes ses luttes. Il se situe dans le cadre général d’une volonté de transformation du système éducatif et de contestation de ce que nous nommons le projet néolibéral pour l’école. Il reprend à son compte le redoutable combat contre les discriminations sociales et scolaires qui marquent profondément cette société. L’affirmation que tous les élèves sont capables de réussir et que, par conséquent, tous ont droit à une éducation de qualité fait partie des valeurs communes des acteurs de cette revue.
De ce point de vue il se distingue d’autres projets qui n’affichent pas leur volonté de rompre avec le statu quo scolaire.

Elle parait pour la première fois en 1997. Et voici le 29e numéro.

Nous sommes à une étape décisive de son développement. Aussi le SNEP et «EPS et Société» ont décidé d’offrir désormais la revue à l’ensemble des syndiqués du SNEP, ventes et abonnements habituels se poursuivant par ailleurs. C’est un choix mûrement réfléchi dont nous vous devons quelques explications.

Un contexte politique et éducatif qui change les repères classiques

Le programme néolibéral affiche clairement ses ambitions depuis les années 90, et on observe depuis quelques années un changement de rythme, avec une phase d’imposition de réformes de grande ampleur. Il s’agit de transformer radicalement le système éducatif pour le mettre en phase avec les économies et politiques européennes (pour ne nous en tenir qu’à cette partie du monde) … L’École devient même un des principaux leviers pour installer durablement les transformations les plus libérales de notre société.

Le programme néolibéral affiche clairement ses ambitions depuis les années 90, et on observe depuis quelques années un changement de rythme, avec une phase d’imposition de réformes de grande ampleur. Il s’agit de transformer radicalement le système éducatif pour le mettre en phase avec les économies et politiques européennes (pour ne nous en tenir qu’à cette partie du monde).

Pourquoi?
Comme le rappelle Ken Jones, « les systèmes éducatifs qu’il cherche à transformer ont
été pour une grande part le résultat d’aspirations populaires qui avaient pour but une plus grande égalité et une véritable citoyenneté sociale
» [[L’école en Europe, sous la direction de Ken Jones. La Dispute 2011. 4]]

Les recommandations de l’OCDE en la matière, les programmes des différents partis au pouvoir et de certains autres qui y aspirent sont très clairs: les milieux populaires, pourtant majoritaires, continuent d’y être mal traités.
L’École devient même un des principaux leviers pour installer durablement les transformations les plus libérales de notre société.

La deuxième dimension qui change c’est l’accélération des réformes qui appelle une transformation de la méthode de prise de décision.

La méthode «classique», que l’on peut qualifier, surtout par comparaison, de démocratique, ne permettait pas au pouvoir d’aller assez vite, et avait l’inconvénient majeur de laisser du temps à l’opposition pour s’organiser.

Tous les processus de régulation, comme le conseil supérieur de l’éducation, les négociations avec les partenaires sociaux sont désormais systématiquement contournés.

L’exemple le plus flagrant dans notre secteur est l’imposition de l’expérimentation «cours le matin, sport l’après-midi». Parallèlement, le corps d’encadrement augmente en nombre et en pouvoir. Pour faire appliquer ce que les acteurs refusent, il faut un encadrement docile, à défaut d’être convaincu, disposé à imposer les réformes décidées «d’en haut ».

En résumé, accélération des réformes et autoritarisme vont de pair.

Enfin, ce qui change, ce sont les moyens mis en œuvre.
Remarquons simplement à titre d’exemple qu’alors que des enseignants sont obligés de faire grève le jour du Bac en juin 2011, parce qu’ils n’ont pas été payés des frais d’examens de l’année précédente, le ministère dépense 1,3 million d’euros pour une campagne annonçant qu’il recrute 17 000 personnels dans l’éducation nationale, en omettant évidemment de dire qu’il supprime dans le même temps 16000 postes.

Chacun se rend bien compte que les moyens sont proportionnés aux intentions politiques que nous contestons.

C’est dans ce contexte général que la décision d’envoyer largement Contre Pied a été prise, parce que la lutte idéologique s’exacerbe et que l’on doit mieux s’armer collectivement.

Contre Pied, une revue pour l’EPS

Notre particularité tient aussi à d’autres aspects.
D’une part, en centrant notre réflexion autour de l’EPS, hors de l’urgence de la lutte et en prenant le soin de mieux réfléchir les rapports avec la société, les pratiques culturelles (sports, danses, etc.), les réflexions théoriques existantes et les diverses associations et revues qui animent ce secteur.

D’autre part en confrontant nos réflexions et analyses aux pratiques quotidiennes des enseignants, l’ambition est de saisir l’EPS en mouvement, pour dégager les tendances que nous considérons comme progressistes en cela qu’elles s’attaquent aux problèmes concrets que l’EPS rencontre.

Les discours, théories, sciences ou pratiques traités isolément ne peuvent rendre de compte de cette dynamique.
Une mise en tension des deux approches est nécessaire, associée à une démarche
la plus collective possible pour penser la discipline, avec la perspective d’agir.

C’est bien le drame de l’institution pédagogique que de croire à des transformations possibles et durables uniquement pilotées par l’injonction hiérarchique et sans débat contradictoire.

C’est au contraire en réintroduisant la controverse comme élément structurant de l’évolution de la discipline que la revue Contre Pied détonne dans le paysage actuel.

Mais elle détonne également par la présence de ce que nous appelons des « comptes rendus de pratique » qui ne sont ni des propositions de situations didactiques classiques, ni des simples descriptions de séances.

Nous les rédigeons à partir d’interviews et de plusieurs allers et retours avec l’auteur pour
tenter de saisir le cœur de sa pratique, au-delà des discours convenus.
C’est, là aussi, une originalité et une contribution nouvelle, nous semble-t-il, à la construction disciplinaire.

Ces comptes rendus de pratiques nous permettent de repérer, non ce qui est exemplaire mais la façon dont les enseignants-es tentent de résoudre les tensions auxquelles ils sont confrontés, comment ils mettent en perspective certains objectifs plutôt que d’autres (objectifs en rapport avec le thème du numéro), quels sont leurs choix.

Ils sont à l’inverse de l’idée de «bonnes pratiques » qui pourraient soi-disant s’appliquer clés en main.
Ils représentent des outils dans lesquels chaque enseignant peut puiser pour se lancer ou tout simplement pour réfléchir et nourrir sa propre pratique.

Ces deux éléments, controverse et diversité des façons de voir, et comptes rendus de pratiques constituent désormais l’identité de la revue.

Une revue pour un lectorat curieux et attentif

Pour ce premier numéro envoyé à toute la profession nous avons voulu que chacun-e puisse re-découvrir quelques exemples de la production passée: 28 numéros, c’est plus de 2000 pages écrites et au moins 350 auteurs différents.

Nous avons choisi, dans les différentes rubriques, des articles qui d’une certaine manière sont révélateurs de notre démarche : ils sont autant de voies alternatives à la pensée dominante, ils veulent ouvrir de nouvelles perspectives, parfois différentes ou complémentaires aux nôtres.

Disons-le tout net, cette revue s’inscrit dans le combat permanent que les enseignants d’EPS ont livré depuis des dizaines d’années, comptant sur leur intelligence collective et sur leur solidarité. C’est ce qui a produit une EPS à la française enviée par nos homologues des pays voisins.

Le rapport à la culture et le prolongement de l’EPS par un sport scolaire bousculent dans un concert européen régressif et fait de notre EPS une cible privilégiée mais ô combien résistante.

Cette résistance, d’ailleurs, n’est pas que politique, elle est aussi pédagogique. Car s’il existe une pensée dominante en terme économique, il en est de même pour la pédagogie qui, sous des habits humanistes, s’inscrit dans le même projet libéral et en distille les mêmes valeurs, y compris en EPS: individualisme, identification de « publics-cibles » (les filles, les élèves de LP, les sportifs, etc.), la centration exclusive sur les compétences, etc.
Beaucoup de choses qui ne se discutent pas ou plus.

Tous les numéros de la revue sont, là aussi, une ouverture vers d’autres perspectives en EPS. Pour ne prendre que les derniers exemples: promouvoir la notion de développement en lieu et place de l’entretien (n°24), réhabiliter la compétition dans des formes novatrices et éducatives (n°23), le travail collectif contre le tout individuel (n°28), le jeu au service de l’apprentissage, etc.

Mais au-delà des numéros dans leur ensemble, la résistance s’exprime dans la remise en cause des dogmes aujourd’hui en place:

  • les classifications en EPS qui réussissent l’exploit de réunir dans une même compétence tennis de table et rugby au nom d’un « affrontement » qui n’en a plus, justement, que le nom;
  • l’affirmation que certaines APS auraient le monopole du développement;
  • l’extrême polyvalence imposée à l’EPS qui, des huit groupes aux cinq compétences aboutit in fine aux «éternels débutants» bien connus;
  • l’assignation à résidence des filles qui n’auraient de perspective de réalisation que dans la «CP5» devenue la matrice d’une nouvelle EP;
  • la croisade de l’Inspection contre les sports collectifs…

Il est actuellement très mal vu d’énoncer publiquement ces désaccords. Toute pensée divergente est disqualifiée sur l’autel d’une fausse modernité. Nous en prenons le contrepied, et nous proposons une EPS dont l’objectif est clairement l’émancipation de tous et toutes au travers d’une appropriation critique des APSA.

C’est là que se fonde la véritable «matrice disciplinaire ».

Contre Pied est une revue qui dérange. Elle doit continuer de le faire.

Nous voulons cultiver avec vous cet horizon: l’EPS de demain se doit d’être vivante et offrir à tous la culture technique nécessaire pour agir, ici et maintenant, dans le vaste champ des pratiques physiques sportives et artistiques.
Cette EPS, que nous voulons qualifier de démocratique, solidaire et émancipatrice ne se construira pas sans vous. À l’approche de cette nouvelle année, cette revue se propose de donner et donnera les outils pour la défendre et la promouvoir.