Acrosport : organiser des coopérations et des apprentissages

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À la suite des comptes rendus de pratique, ce texte revient sur la manière dont les enseignant·e·s et les élèves prennent en charge l’avancée collective des apprentissages acrobatiques.

L’enseignement de l’acrosport passe par des prises de rôles, voltigeur·e, porteur·e, d’aide, de juge et plus généralement par des coopérations ou des collaborations. En quoi ces démarches permettent·elles aux élèves de travailler les contenus de l’APSA et de socialiser leur activité dans une pratique disciplinaire ?

Des contenus d’acrosport qui vivent dans des changements de rôles et des scénarios d’entraide

Le projet des pratiques relatées dans les CRP est de faire accéder à une motricité spécifique d’acrobate. Une des conditions pour le permettre est de mobiliser les élèves sur la réalisation d’une performance acrobatique collective, constitutive de l’acrosport. La réalisation des figures nécessite immanquablement un partage des opérations. De même leur mise au point rend incontournable une mise en commun des connaissances qui sont cultivées dans l’articulation des actions individuelles. En phase avec cette exigence de l’APS, les collègues organisent des activités dans lesquelles l’action dans les différents rôles est un facteur d’apprentissage. Trois aspects apparaissent dessiner une plus-value pédagogique et didactique autour de ces choix.

  • Le premier renvoie à la construction espérée de démarches qui permettent d’apprendre ensemble à réaliser des acrobaties. On y trouve des postures de recherche, de controverse sans bagarre, d’opposant·e, de proposant·e ou de tiers qui aident à sortir des impossibilités d’avancer. Autant de manières de pratiquer qui sont spécifiques au traitement d’un problème technique dans la mise au point d’une acrobatie, l’articulation des actions aux effets produits, la répétition et l’organisation des tentatives.
  • Un autre intérêt potentiel de ces changements de rôles tient dans la nécessité de réorganiser l’activité à partir d’un point de vue différent pour faire vivre les contenus d’apprentissage. En passant du rôle d’aide à celui du voltigeur·e, l’élève est amené·e à construire des repères nouveaux sur les actions et les opérations à développer pour réussir. Les gymnastes perçoivent et construisent différemment la nécessité du gainage dans la position de voltigeur·e, d’aide ou de porteur·e. La verticale renversée se construit par exemple dans une association entre des repères extérieurs qu’il faut mobiliser dans l’aide apportée au voltigeur·e pour tenir l’ATR et des repères sur soi qu’il faut incorporer en situation renversée dans le rôle de voltigeur·e. Ces mises en relation qui portent les contenus d’apprentissages sont aussi cultivées dans des situations qui requièrent l’échange sur la mise au point de repères communs. « Quand il ouvre les bras en extension et qu’il lance la tête en arrière pour aller chercher le sol avec le regard, c’est clair pour les porteur·es, il a déclenché la rotation ! » Les changements d’activité conduisent les élèves à des échanges et des mises en relations nouvelles qui participent de leurs transformations. Ils, elles reconfigurent leurs expériences, prennent en compte de nouvelles contraintes et construisent des « incontournables » pour réussir. Le changement de rôle permet de construire la distance pour regarder sa propre activité. Quand ils se trouvent « une tête au-dessus d’eux-mêmes[[Vygotski, L. (1997). Pensée et langage. Paris, La Dispute]] » les élèves peuvent construire des invariants, des régularités, poser des mots sur les difficultés rencontrées.
  • Enfin plus généralement, l’exercice de ces différents rôles concourt à la construction d’une culture technique par la mobilisation de différents registres de technicité[[Bouthier, D., Durey, A. (1994). Technologie des APS. Impulsions, 1, 95-124.]] : la participation active à une pratique, la maîtrise, la lecture qui permet l’identification des composants de l’action, la transformation qui renvoie à la capacité de transformer les techniques.

L’activité collective : nécessaire mais pas suffisante

La performance qui finalise le projet suppose donc l’apprentissage et la participation de chacun·e, des savoirs et des postures partagés auxquels contribuent les relations de coopérations. En même temps, les activités coopératives sont fragiles et délicates à mener dans des classes toujours hétérogènes. Le partage des rôles dans la réalisation d’un projet collectif porte le risque de faire oublier les apprentissages de tous et toutes et de confiner les élèves dans ce qu’ils, elles savent déjà faire. Cette dérive possible de la pédagogie de projet peut parfois conduire à des impasses pour les élèves les plus éloignés des exigences acrobatiques. Les filles voltigent, les garçons portent, les élèves les plus en difficulté aident ou parent, on peut sans y prendre garde en rester là. Mélanie Avisse et Emmanuelle Courtelarre mesurent le piège et précisent la même préoccupation : « L’apprentissage des différents rôles doit également être acquis en fin de cycle » .

« …Pour éviter qu’elles ne profitent qu’aux élèves les plus éclairé-e-s, elles réclament l’identification précise des objets d’apprentissage ainsi que les registres cognitifs et moteurs qui sont à investir pour apprendre. »

Les collègues apparaissent vigilantes à un autre écueil, la confrontation collective à la tâche ne garantit pas le progrès. Les repères et les mises en relation que doivent opérer les élèves pour réussir n’émergent pas de l’activité du groupe comme par magie. Les enseignant·e-s régulent leurs interventions, donnent aux élèves les éléments à explorer, des indices pour faire avancer l’enquête (cf vidéos). Ils, elles aident à spécifier les données du problème, mettent à disposition des pistes de progrès quand elles font par exemple travailler à la construction des pistes d’action à ajuster pour réussir. Les enseignantes proposent des objets d’étude insérés dans une progressivité (le rouler, le renversement, le renversement arrière par flip flap du voltigeur·e…) et des contenus (l’alignement de forces, le gainage comme une possibilité de maintien, la coordination de timings comme un facteur d’impulsion ou de réalisation de dynamique des figures…).
Il y va des activités collectives comme des pratiques pédagogiques qui valorisent des démarches réflexives et des échanges langagiers entre les élèves, pour éviter qu’elles ne profitent qu’aux élèves les plus éclairé·e·s, elles réclament l’identification précise des objets d’apprentissage ainsi que les registres cognitifs et moteurs qui sont à investir pour apprendre.

Communauté de pratique – communauté de progrès ou communauté disciplinaire ?

La notion de communauté est régulièrement mise en avant dans la littérature pour valoriser les activités collectives. Des travaux liés au cadre du cours d’action ont développé la notion de « communauté de pratique » dans laquelle la participation aux activités du groupe favorise les apprentissages par intégration et imprégnation. En décalage avec les démarches qui valorisent la transmission de connaissance, les communautés de pratique fonctionnent en véhiculant des attitudes, des modèles, des règles dans des pratiques collectives. La dynamique des apprentissages réside dans la participation des acteurs aux activités de la communauté. Dans le champ de la didactique d’autres approches abordent cette notion. Ainsi les « communautés discursives disciplinaires scolaires »[[Martinand, J.-L. (1993). Organisation et mise en œuvre des contenus d’enseignement, in J. Colomb (Ed.) Recherches en didactiques : contribution à la formation des maîtres. Paris, INRP, pp. 135-147.]] se caractérisent par des espaces qui permettent le déroulement d’apprentissages disciplinaires, une équipe d’acrosport n’est pas une équipe de volley. La construction des savoirs visés par l’enseignant·e se développe dans le positionnement d’acteur/trice que prend l’élève et qui l’amène à adopter les actions et les usages langagiers pertinents pour agir. La dynamique réside dans la construction et le partage des connaissances comme moyen d’accès au savoir et finalement à une culture un peu plus commune qui permet potentiellement de mieux vivre ensemble.
Ces deux approches révèlent une certaine complémentarité, mais aussi une tension entre deux dimensions que doivent gérer les pratiques d’enseignement : une dimension sociale qui doit organiser les conditions qui permettent aux élèves l’expérience d’une pratique, la recherche d’un progrès et parallèlement, une dimension épistémique qui doit organiser les conditions d’élaboration des savoirs. On ne peut pas artificiellement séparer la construction de connaissances des activités sociales dans lesquelles elles émergent. C’est un enjeu des activités collectives développées en EPS pour apprendre ensemble et c’est dans cette tension que les collègues cherchent à organiser les apprentissages de manière collective dans la logique de l’APSA.

Article de Bruno Lebouvier paru dans la revue Contrepied Acrosport

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