Par Martine Court, sociologue. La majorité des filles se soucient de leur apparence, tandis que la majorité des garçons s’en moquent et jouent plutôt sur leur identité en faisant du sport. Martine Court a voulu comprendre par quels mécanismes on se construit en tant que fille ou garçon. Elle met au jour, au travers d’interviews d’enfants de CM2 et de leurs parents, les processus en jeu et les variations dans ces socialisations corporelles différenciées.
Propos recueillis par Nina Charlier – Contrepied Hors-série n°7 – Égalité ! – Septembre 2013
Pourquoi avoir choisi le travail de l’apparence (le goût pour l’habillement, la coiffure, etc.) et la pratique sportive pour étudier les socialisations différenciées des garçons et des filles ?
Ce qui m’intéresse, c’est de comprendre la « socialisation de genre », c’est-à- dire l’ensemble des processus (des pratiques, des discours, des modèles) à travers lesquels les individus (ici les enfants) intériorisent les manières d’agir et de penser caractéristiques de leur genre. Autrement dit, les manières d’agir et de penser qui sont socialement attendues des filles et des garçons. Il y avait plusieurs indicateurs possibles. Ne pouvant tous les retenir, j’ai opéré des restrictions et je me suis centrée sur le corps et les manières de le traiter et de l’utiliser. En choisissant le travail de l’apparence, plutôt assigné aux filles, et le sport, plutôt assigné aux garçons, je pouvais repérer facilement des pratiques corporelles sexuées et voir comment elles ou ils apprennent à s’y investir. Des filles sont soucieuses de leur apparence mais sont aussi très investies dans l’activité sportive et des garçons ne sont intéressés par aucun de ces deux domaines de pratiques. Toutes les configurations sont possibles : investir les pratiques de l’autre sexe, ou en n’investissant pas les pratiques assignées à son sexe, en combinant des dispositions des deux processus. Les décrire et montrer qu’elles ont des formes variées et les différentes manières d’être une fille ou un garçon m’intéressait pour en comprendre les processus de construction.
Vous montrez que tout comportement est une socialisation, consciente ou non, qui ne doit rien au hasard ou à une « nature », mais à un certain nombre de paramètres. Quels sont-ils ? Que nous apprennent les atypiques ?
J’avais le sentiment que l’idée des conduites typiques socialement construites est relativement admise. Que la représentation courante des situations très typiques ne pose pas de problème. Mais on entend aussi très souvent « oui OK, mais quand même ces processus ne sont pas si puissants puisque il y a des cas atypiques. » étudier ces cas est un moyen de voir les processus qui sont à l’œuvre dans la fabrication des cas typiques.
Ces cas atypiques permettent aussi de montrer qu’ils peuvent s’analyser autrement que comme un produit de la nature ou du caractère de l’enfant, qu’ils résultent comme pour les cas typiques d’un travail de socialisation. Les vecteurs ne sont pas différents entre les cas typiques et atypiques car les agents sont les mêmes : la famille, les médias, l’école, les pairs…
En revanche, ce sont les contenus de cette socialisation qui diffère, le contenu de leurs pratiques et de leurs discours pour des raisons qui tiennent en grande partie à la classe et à la trajectoire sociale des parents mais aussi à la configuration familiale (être enfant unique, aîné ou pas, écart d’âge avec frères ou sœurs, rôle des grands- parents…).
Les atypiques sont donc utiles pour contester la puissance de ces socialisations. Et de fait, la socialisation de genre est très compliquée !
Vous affirmez que socialisation de classe et socialisation de sexe vont de pair. Y en a-t-il une plus déterminante que l’autre ?
Non, les deux le sont.
On observe cependant que les pratiques socialisatrices des parents sont moins différenciées et donc moins différenciatrices dans certaines classes sociales.
Des études suggèrent qu’elles le seraient moins dans les classes moyennes « intellectuelles ». C’est aussi ce que j’ai pu constater dans mon propre travail, mais il faut être prudent car peu de travaux existent sur cette question.
Il est probable que les différences entre classes sociales ne sont pas les mêmes en fonction des domaines de pratiques. Les parents d’une classe sociale donnée peuvent « faire » des différences importantes entre filles et garçons dans un domaine de pratiques mais en faire nettement moins dans d’autres.
Propos recueillis par Nina Charlier et paru dans Contrepied Hors-série n°7 – Égalité ! – Septembre 2013