Enseignement explicite : vendre la mèche et lever les malentendus

Temps de lecture : 16 mn.

Dans cet entretien, Patrick Rayou1 examine comment l’enseignement explicite peut transformer l’apprentissage et dissiper les malentendus sociocognitifs à l’école. Il ouvre des perspectives innovantes et éclairantes sur cette thématique, pointant quelques clés essentielles pour repenser les pratiques éducatives.

Cet article est paru dans le Contrepied HS 20 et 21 EPS et Culturalisme, 2018.

L’idée fait son chemin qu’enseigner de manière plus explicite pourrait permettre de lever des malentendus.

Que recouvre cette notion d’enseignement explicite et en quoi peut-elle orienter les modalités d’étude ?

Comment se fait-il que l’on parle aujourd’hui tellement de pédagogie explicite à tel point que dans le socle commun, le domaine 2 y fait une référence : « les méthodes et les outils pour apprendre doivent faire l’objet d’un apprentissage explicite en situation dans tous les enseignements et espaces de la vie scolaire ». C’est donc d’une certaine manière une forme de révolution curriculaire, puisque je crois que c’est la première fois dans la conception de programmes que l’on fait des outils et des méthodes pour apprendre non pas un appendice, mais un élément constitutif des programmes.

Je crois que c’est un lointain effet de ce qu’a pu nous apprendre la sociologie critique, notamment Bourdieu et Passeron 2, quand ils ont examiné les mécanismes de reproduction sociale. Les séances dont ils nous parlent se déroulent à l’université avec des profs qui ne sont pas forcément formés à la didactique ou à la pédagogie, et qui ont donc une manière de feindre que la grâce est un don naturel. Pour eux, à répondre à des questions d’étudiants telles que « comment on fait une dissertation ? » on gâche le métier, car tout cela doit sortir de soi-même. Un peu comme le danseur dont on ne verrait pas tous les exercices à la barre, les orteils écrasés dans les chaussons. Cette posture-là, très élitiste, est condamnée par Bourdieu et Passeron qui proposent de substituer à cela une pédagogie explicite. Comme ils le disent dans leur ouvrage, il faut que les enseignants « vendent la mèche » sous-entendant par-là que les enseignants savent ce qu’il y a à dire, mais ne le disent pas. De mon point de vue c’est le premier degré de l’explicitation, celui dans lequel il y aurait des sous-entendus à lever. Dans ce cas, c’est assez facile d’expliciter.

La question devient plus complexe, à mon avis, lorsque les choses ne relèvent pas de sous-entendus, mais de malentendus. Expliciter pourquoi les élèves ne comprennent pas alors qu’on leur a expliqué. Expliciter pourquoi ils n’ont pas fait leur devoir alors qu’on a donné des consignes parfaitement explicites. On a là quelque chose qui évidemment résiste et qui est au-delà du « vendre la mèche ». C’est pour cela que j’ai atterri chez ESCOL, car quand j’ai entendu ce qu’ils disaient sur le rapport au savoir j’ai été séduit par cette manière d’envisager que les enseignants et les enseignés pouvaient se mouvoir dans des logiques uniques, mais qui n’étaient pas les mêmes pour les uns et les autres. Ce sont les distinctions classiques que font E Bautier 3 et JY Rochex 4 entre tâche et activité. Là où l’on demande aux élèves d’être dans l’activité, ils peuvent être uniquement dans la tâche. Ainsi, certains élèves voient dans les devoirs une connotation morale qui consiste à se mettre en règle avec l’institution, alors que les enseignants attendent normalement que les devoirs permettent le développement des élèves, leur fassent opérer des transferts entre connaissances, leur donnent des habitudes de travail, etc. des attentes qui vont bien au-delà de la validation de l’exercice du soir ou de la semaine.

Ainsi, certains élèves voient dans les devoirs une connotation morale qui consiste à se mettre en règle avec l’institution, alors que les enseignants attendent normalement que les devoirs permettent le développement des élèves, leur fassent opérer des transferts entre connaissances, leur donnent des habitudes de travail, etc. des attentes qui vont bien au-delà de la validation de l’exercice du soir ou de la semaine.

On se heurte là à des questions difficiles pour de multiples raisons. Déjà, on ne peut pas tout expliciter, parce d’un point de vue logique si on explicite tout, il faut expliciter aussi ce pourquoi on explicite et on tombe alors dans une régression à l’infini. L’explicitation devient un fantasme du genre de ce que l’on voit chez Orwell dans 1984, le Novlangue. Si on avait des mots univoques, cela serait parfait, mais on tuerait la pensée, la réflexion, et donc on tuerait l’étude, pour revenir à notre thématique. Donc tout expliciter n’a pas de sens et cette idée rejoint d’ailleurs des préoccupations de didacticiens. Gérard Sensevy 5 insiste sur le fait que les apprentissages doivent s’effectuer proprio-motu, émaner du mouvement propre de l’élève. Évidemment, disant cela, il met en garde contre ce que Brousseau avait appelé l’effet Topaze où l’on a un niveau d’explicitation qui tue la difficulté et le « mouvement propre » d’apprentissage de l’élève. On est là sur un mode d’explicitation qui ne peut pas avoir de sens et d’intérêt. C’est une espèce de dilemme entre les deux pôles d’une tension : ou bien on explicite insuffisamment et les élèves se plantent ou bien on explicite tout et ils n’apprennent pas. Il y a donc du boulot à faire entre les deux pour faire en sorte que ce qu’ils font leur parle, ait du sens sans pour autant gommer la part de recherche de l’exercice proposé.

Que convient-il alors d’expliciter pour permettre aux élèves un travail propice aux apprentissages ?  

Si on ne peut pas toujours tout expliciter, est-ce qu’il y a des moments où on explicite moins où des formes d’explicitation différentes ? Il me semble que c’est cela qui fait ambiguïté dans le débat actuel autour de la pédagogie explicite. C’est qu’en réalité on peut expliciter les choses à plusieurs niveaux.

Le premier est associé à la question « on est là pour faire quoi à l’école ? » qui est l’explicitation du sens même de la scolarité et des apprentissages à l’école. Cette question a été analysée par des gens qui ont travaillé sur le métier d’élève. R. La Borderie et P. Perrenoud ont popularisé cette notion. Quelqu’un comme Alain Coulon 6 parlait de pédagogie d’affiliation et disait qu’être à la fac, c’est comprendre ce qui s’y passe. 

Un autre sociologue, Stéphane Beaud 7, montre bien qu’il y a des choses à expliciter qui ne vont pas du tout de soi pour les étudiants. Dans une recherche, il suit une cohorte de collégiens originaires de quartiers défavorisés. Une partie d’entre eux obtient le baccalauréat et va à l’université où évidemment ils échouent assez largement. La recherche l’amène à décrire quelques situations exemplaires. Un des premiers soirs un des étudiants de retour de la fac explique : « j’ai vu mon emploi du temps, là j’ai un cours marginal, mais je n’y vais pas ». Il confond cours magistral et cours marginal. Ou encore il raconte comment d’autres étudiants ont décidé, puisqu’ils bénéficient d’une bourse, de ne passer qu’une partie de la semaine à la fac pour assister aux cours qui leur paraissent les plus importants. Le reste du temps, ils rendent des services dans la cité parce qu’avec la bourse qu’ils considèrent comme une aide sociale, ils ont pu acheter une petite bagnole. Les élèves de ces quartiers qui arrivent à la fac n’ont absolument rien compris de la dose de travail personnel qu’il faut accomplir. Je veux dire que cette question d’explicitation ou d’affiliation, pour parler dans les termes de Coulon, c’est un niveau d’explicitation où on saisit ce qu’est le métier d’apprenant. Mais évidemment ce premier niveau ne suffit pas à comprendre dans chaque discipline comment il faut s’en sortir.

Il y a un autre mode d’explicitation qui est proche de ce que les didacticiens appellent l’institutionnalisation. Je pense aux travaux de S. Bonnery 8 qui montre par exemple comment le montage en classe d’un circuit électrique avec un fil de cuivre, une planchette, des clous, un générateur et une ampoule se traduit pour la moitié de la classe dans un jeu où il faut réussir à allumer l’ampoule, tandis que l’autre moitié cherche à comprendre le fonctionnement du circuit à partir des schémas affichés au tableau. L’idée est actuellement assez partagée que si les enseignants n’explicitent pas le but de la leçon, ce qui est de l’ordre de la fin et ce qui est de l’ordre des moyens, les élèves peuvent alors confondre l’activité qu’il a fallu déployer pour construire ce qui allait être le support de la réflexion avec la réflexion elle-même. Une confusion moyen-but avec une conséquence gravissime inhérente à ce qu’est le système scolaire français dans lequel il est implicite qu’on travaille à partir du spécifique pour construire du générique. Pour poursuivre le cas de l’élève qu’observe S. Bonnery, quand celui-ci demande : « Madame au tableau, le fil il est rouge, nous celui sur lequel on a travaillé il est vert, et la longueur n’est pas la même… » la prof est décontenancée parce qu’elle pense que le passage de la table de travail à la schématisation au tableau se fait de lui-même. Sauf qu’on passe ici du percept au concept et que là, il y a tout un travail qui est précisément le travail de l’école et qui renvoie à ce que dit Vygotski lorsqu’il parle du passage des concepts spontanés aux concepts scientifiques. Les concepts scientifiques ne sont pas juste la généralisation empirique des concepts spontanés, il faut qu’il y ait une contrainte de la part de l’enseignant et de l’institution scolaire pour faire comprendre aux élèves qu’on passe à autre chose.  

La mise en scène des savoirs dans des pratiques usuelles quotidiennes ne risque-t-elle pas de générer des formes de malentendus ?

Oui, même si ce n’est pas automatique. C’est pourquoi on appelle à insister sur l’institutionnalisation des savoirs, c’est-à-dire expliquer que le résultat qu’on a vu aujourd’hui ne sert pas juste de 14h à 15h, mais est généralisable pour la vie ultérieure. Nous avons une responsabilité d’explicitation et je trouve que le concept d’institutionnalisation des didacticiens est excellent, c’est le rôle de l’école, en tant qu’institution scolaire. On ne peut pas croire naïvement que les percepts mutent d’eux-mêmes vers les concepts, qu’on passe comme ça de l’avis pragmatique au réflexif, ça n’a pas de sens.

Je reviens à la question de l’univers de sens pour les élèves. Je pense notamment aux APSA qui, dans la mesure où elles s’adressent à des pratiques de loisir, peuvent être dans ce type de porte à faux en s’adressant à des jeunes qui n’arrivent pas à comprendre ce qu’on attend d’eux, voire même imaginent qu’ils sont trahis, car la façon d’entrer dans les APSA à l’école n’est pas celle avec laquelle ils pratiquent en club par exemple. Par rapport à cela, je vais un peu plus loin vers un troisième niveau d’explicitation. B. Berstein emploie deux notions, celle de l’implicite, mais aussi celle du tacite. Ça complique un peu le jeu, mais ça peut aussi aider à penser ce qui se joue. Dans l’implicite ordinaire, il y a ce que les gens savent, mais qu’ils ne disent pas forcément. Quand le prof de physique qui fait jouer avec le circuit électrique et oublie de dire que ce qu’on apprend c’est l’électricité, on est dans de l’implicite. On pourrait penser que l’enseignant rectifie et indique : « oui, j’ai oublié de vous dire, c’est à ça qu’on joue ». On a mille exemples de cela. Ainsi le prof de Maths qui utilise les résultats des élections pour un cours sur les statistiques et les pourcentages, de sorte qu’à la fin certains élèves pensent avoir eu un cours d’éducation civique. C’est en partie vrai, mais le noyau du cours ce n’était pas cela. Il faut donc sans doute que les enseignants disent plus qu’ils ne le font, ce qu’ils font et à quoi cela va servir. Ça parait important, mais la question du tacite porte un problème plus profond.

Comme le dit Bernstein, le tacite c’est quelque chose qui est en jeu dans l’apprentissage, mais auquel n’ont accès ni ceux qui sont en train de faire la leçon ni ceux qui sont en train d’apprendre. C’est donc une gamme de caché que nous avons appelée, avec G.Sensevy, les « arrières plans » des apprentissages qui sont supposés être possédés par les uns et par les autres. Ils renvoient à ce que M. Brossard appelle le cadre commun de l’activité. Pour apprendre ensemble, il faut un cadre commun de l’activité. Sauf que ce cadre n’est pas forcément facile à expliciter parce qu’il met en jeu des dimensions très profondes et cachées. Un exemple rapidement : on avait travaillé avec G. Sensévy sur l’aide au devoir. Je suis amené à observer une élève pendant une heure et demie aux prises avec une fiche de SVT sur laquelle elle doit travailler. Elle est aidée par une assistante d’éducation qui ne connaît rien à la biologie et qui essaie d’aider l’élève avec beaucoup de bienveillance. Elle valide environ ¾ de réponses fausses, mais tout cela dans une très bonne entente.

Au lieu que l’élève réinterroge son cours pour essayer de comprendre la notion de cellule, de noyau de cytoplasme, elle bricole pour tenter de donner une réponse à peu près plausible. Le contrat n’arrive pas à s’établir à la fois pour des raisons didactiques, car la fiche manque de cohérence, mais aussi d’un point de vue sociologique. L’aide au devoir veut assurer la continuité de l’acte éducatif, mais entre des acteurs qui ne travaillent jamais ensemble. Elle permet que des élèves soient ensemble et qu’on puisse dire que les devoirs sont faits, comme le dit le ministre actuel. Là le contrat est doublement écorné. Il l’est parce que l’élève est amené à faire des choses pour lesquelles il n’a pas les prérequis qu’il devrait avoir. Il l’est aussi parce que les gens qui encadrent l’aide au devoir ne sont pas non plus dans une connaissance de ce que font les uns et les autres. Ne connaissent pas non plus la manière de faire qui permettrait d’avoir un accompagnement raisonnable. Placé à côté de cette élève, je comprends au bout d’un moment ce que ne peut pas comprendre l’aide éducatrice qui passe d’élève en élève. Cette élève croit que les deux cellules de boulanger qui sont jointes sur la fiche sont le papa et la maman et qu’ils vont faire un bébé qui est la nouvelle cellule de levure de boulanger. Cette erreur est un grand classique de la biologie et des obstacles épistémologiques. Nous avons tendance à penser le monde réel en fonction de notre anthropomorphisme et on ne voit pas pourquoi les êtres vivants ne se reproduiraient pas ainsi. Il n’y a rien dans le dispositif auquel on assiste qui soit de nature à travailler cet obstacle épistémologique banal chez les élèves. Dans cet exemple, on n’est pas juste dans un problème d’explicite, car les consignes sont écrites clairement et l’éducatrice est présente. Mais il manque l’essentiel : ce qu’a compris cette élève. Là on est dans un beau malentendu où la logique sociale l’emporte. L’assistante travaille sérieusement, l’élève est venue à l’aide au devoir, elle a donné satisfaction à ses parents, recommencera le lendemain, le contrat social est validé, mais ce n’est pas le contrat didactique. Le tacite est là, il est profond parce qu’il faudrait que les élèves arrivent à s’expliciter à eux-mêmes ce qu’ils font et quand ils le font. Et là on voit bien que le tacite nécessite bien autre chose qu’une pédagogie par voie directe. Pour illustrer cette notion de tacite G. Sensevy 9 donne un exemple amusant. Dans un port du sud, une poissonnière crie : « regarde ma chérie, il est bon mon poisson ! ». Les gens sur le marché vont comprendre que la poissonnière est en train d’inciter à l’achat et ne vont pas croire que la poissonnière est victime d’un coup de foudre pour son poisson ou pour la cliente qu’elle appelle ma chérie. Il y a une grammaire de l’activité qui fait que les gens vont comprendre le tacite de la situation. Il n’y a pas besoin d’expliciter le fait que si je vais sur un marché et qu’on m’appelle ma chérie, ce n’est pas la même chose que si on fait du harcèlement de rue. Ce type de situation et de discours tacite de la vie ordinaire est plus problématique à l‘école.

Tu as parlé de « voie directe », dans certains cadres, l’explicitation est parfois entendue comme une préconisation d’instruction directe, de guidage serré, synonyme de recours à des logiques transmissives et descendantes. Comment tu te situes par rapport à cela ?

Sur l’instruction directe on voit des gens, et cela fait débat, qui pensent qu’il faudrait formater davantage l’apprentissage en laissant le moins de choses possible dans l’ombre. C’est ce que font certains collègues canadiens (S. Bissonette, C. Gauthier) avec la préconisation de phases qui ressemblent à la pédagogie par objectif : une étape de modelage qui consiste à enseigner ce que l’on va faire quand et pourquoi ; une pratique guidée qui consiste à vérifier que ce que l’on a enseigné est acquis ; une pratique autonome où les élèves réinvestissent seuls ce qu’ils ont appris dans les étapes précédentes. Tout cela a du sens à mon avis lorsqu’il s’agit d’apprendre des procédures. Les gens qui insistent sur le code dans l’apprentissage de la lecture sont un peu sur cette position. Le travail du code et des procédures pour une lecture fluide serait un préalable à la compréhension. C’est toute la question du préalable, à partir de quand on estime qu’on passe à la compréhension. Pour moi, il s’agit d’une fausse alternative. L’enquête PIRLS qui vient de sortir montre que les élèves français ne sont pas plus mauvais que les autres en déchiffrage, mais ont plus de difficultés en compréhension. La vraie question ici est la question de la compréhension. On voyait cela déjà dans les enquêtes PISA. Les élèves français sont moins performants que les autres dès qu’il s’agit, sur un texte, d’aller chercher non seulement des éléments d’information, mais d’argumenter, d’exprimer son opinion. Ce qui boucle bien avec les questions de l’émancipation et de la réflexivité. Tout cela pour dire que la pédagogie explicite, au sens de « directe », si elle a pour but de clarifier les consignes et d’enseigner des procédures, c’est parfait. Si maintenant on est dans un système éducatif qui évalue non seulement les connaissances ingurgitées, mais aussi les compétences c’est-à-dire la capacité à les réinvestir dans différentes situations alors cette pédagogie est insuffisante. La question n’est pas de savoir s’il faut de la pédagogie explicite, la question est plutôt de savoir, qu’est-ce qu’il faut expliciter et à propos de quel type de savoir.

Les programmes pour les cycles 2, 3, 4 valorisent l’apprentissage de compétences méthodologiques et sociales. Ce projet résonne favorablement dans une partie de la profession pour qui l’idée de savoirs transversaux est une voie intéressante. Comment tu apprécies ces orientations ?

C’est une erreur de vouloir détacher les métadiscours comme on le fait souvent pour apporter des méthodologies, de ce que l’on est en train de faire. Quand Descartes a écrit le Discours de la méthode, il avait fait un peu de mathématiques avant… Quand on a fait le constat, avec la massification, que les élèves manquaient de méthode on leur a fait des cours de méthode. A la jeune fille que j’ai observée dans l’aide aux devoirs, les premiers conseils de l’assistante étaient des indications de méthode : « tu peux revenir au livre, tu peux revenir au chapitre de ta leçon ». L’éclairage méthodologique était tout à fait correct, mais ce que voulait la jeune fille c’était faire l’exercice. C’est seulement quand on est devant la difficulté qu’on va recourir à des indications sinon, ça n’a pas de sens. Il faut faire, se tromper et rectifier ses erreurs. Tous ces débarquements de méthodologies et de compétences générales et transversales, je n’y crois absolument pas. Ça ne fait que désespérer les personnes qui, en situation, ne peuvent pas les comprendre. Ce sont des abstractions qui supposent déjà de savoir les faire pour les comprendre et les exporter.

Sociologues et didacticiens portent un regard singulier sur les phénomènes d’enseignement et d’apprentissage en milieu scolaire. Quelles possibilités de convergences ont ces deux approches ?

peut-on imaginer des objets de travail partagés qui examineraient d’un peu plus près comment les inégalités sociales se fabriquent de l’intérieur ?

Il faut être très prudent. On ne peut pas vraiment parler de sociodidactique, mais plutôt de contributions de la sociologie et de contribution de la didactique. Joshua dit que, si on regarde une mêlée de rugby, on peut faire beaucoup de discours savants sur les contacts, les relations entre les corps, mais si on ne sait pas que c’est un jeu de ballon on passe à côté de l’essentiel de la chose.Les questions peuvent être éclairées des 2 côtés, notamment du point de vue de ce qu’on a évoqué tout à l’heure à propos des contrats. Il y a des contrats didactiques et des contrats sociaux dans l’apprentissage. Historiquement, quand Brousseau invente la notion de contrat didactique, il la trouve chez Rousseau (dans le Contrat social). Rousseau parle de plusieurs types de contrats, dans le cas d’une élection il y a un contrat qui permet de définir des règles et de savoir qui commande, mais derrière, il y a un contrat plus fondamental qui fait qu’un peuple est un peuple. Ainsi, si on va voter cela suppose de partager tacitement avec d’autres cette idée de majorité à laquelle on devra éventuellement se plier si on est minoritaire. Il faut bien que le peuple ait décidé, même si ce n’est jamais acté, que les décisions qu’ils vont prendre vont avoir force de loi. Ce contrat fonde tous les contrats à venir. Il est indispensable, pas forcément conscient et, comme le dit Rousseau, il n’apparaît que quand le peuple se révolte. Brousseau récupère habilement cette idée. Les contrats didactiques apparaissent lorsque l’on est en train d’en changer, lorsqu’il y a rupture. C’est un peu paradoxal, mais le contrat fondamental ne se révèle que dans la rupture. De ce point de vue, les didacticiens ont un rôle majeur sur les questions d’apprentissage et de pédagogie, mais les sociologues peuvent, eux, travailler surtout sur les conditions des contrats. Ce qui fait qu’un jeune accepte d’entrer dans une identité d’élève est un élément fort du contrat. Je me dis qu’un garçon qui joue au foot dans un club, mais qui, à l’école, est appelé à faire du badminton ou de la danse doit entrer dans des transactions importantes avec lui-même, avec son milieu, avec ses copains à la fois en termes de pratique culturelle et d’identité personnelle. Il y a plein de choses à dire d’un point de vue sociologique.

Patrick Rayou est PU en sciences de l’éducation à Paris VIII.

Article à retrouver dans le Contrepied HS 20 et 21 EPS et Culturalisme

  1. Patrick Rayou est PU en sciences de l’éducation à Paris VIII
  2. Bourdieu, P & Passeron J.-C. (1964). Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Les Éditions de Minuit, 1964.
  3. Bautier, É. & Rayou, P. (2013). Les inégalités d’apprentissage. Programmes, pratiques et malentendus scolaires.  Paris : PUF.
  4. Rochex, J.-Y. & Crinon, J. (dirs.) (2011). La construction des inégalités scolaires. Rennes : PUR
  5. Sensevy, G. (2011). Le sens du savoir, éléments pour une théorie de l’action conjointe en didactique. De Boeck.
  6. Coulon, A. ( 1997). Le métier d’étudiant. Paris : PUF.
  7. Beaud, S. (2002). 80% au Bac et après ? Les enfants de la démocratisation scolaire, Paris, La Découverte.
  8. Bonnery S. (2007). Comprendre l’échec scolaire. Élèves en difficultés et dispositifs pédagogiques, La Dispute, coll. « L’enjeu scolaire », 2007.
  9. Rayou, P. & Sensevy, G. (2014). « Contrat didactique et contextes sociaux. La structure d’arrière-plans des apprentissages ». Revue française de pédagogie, n°188, 23-38.

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