Évolutions réglementaires et adaptations de l’activité du pongiste

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Le règlement du tennis de table évolue dans le temps, induisant de profondes adaptations dans l’activité du pongiste. Pour nous éclairer sur ces évolutions, nous avons interrogé Valerian Cécé, pongiste et chercheur sur la formation du joueur.

Quelles ont été les principales évolutions réglementaires en tennis de table dans les dernières décennies, et quelles en sont les raisons ?

On peut tout d’abord noter que les changements de ces vingt dernières années ont bouleversé les règles les plus basiques de l’activité, comme le matériel et le scoring. En 2000, les balles sont passées d’un diamètre de 38 mm à 40 mm. L’objectif de la fédération internationale était de rendre la balle davantage adaptée aux retransmissions télévisuelles, en étant plus facile à repérer. Presque simultanément, le match de compétition traditionnel passe du meilleur des 3 sets en 21 points avec 5 services par joueur à des matchs au meilleur des 5 sets de 11 points comprenant 2 services chacun. Ce changement est peut-être celui qui a le plus bouleversé l’activité. L’idée était de donner davantage de rythme aux rencontres, en amplifiant la part des points « cruciaux » de fin de sets où la tension est à son comble. Cela a engendré une adaptation de la gestion tactique et de la prise de risque des pongistes. D’autres évolutions sont à noter depuis, avec par exemple des limites sur l’utilisation des « picots longs » (pics sur le revêtement qui permettent d’inverser l’effet envoyé par l’adversaire) en 2008 et le durcissement des règles du service en 2003 (parfois appelée règle du « service clair »), jugés comme des obstacles aux échanges spectaculaires et à la compréhension du rapport de force. En bref, la majorité des évolutions règlementaires récentes ne sont pas forcément centrées sur les besoins des pratiquants, mais ont plutôt été mises en place pour maximiser le côté spectaculaire de l’activité afin de la rendre toujours plus attractive pour les (télé)spectateurs. Il apparaît clair que ces démarches visent à redynamiser l’intérêt du grand public pour le tennis de table. 

En bref, la majorité des évolutions règlementaires récentes ne sont pas forcément centrées sur les besoins des pratiquants, mais ont plutôt été mises en place pour maximiser le côté spectaculaire de l’activité afin de la rendre toujours plus attractive pour les (télé)spectateurs.

Peux-tu nous expliquer la règle du «service clair» et ses incidences sur l’activité du pongiste ?

Le service est l’action la plus codifiée au tennis de table. La balle doit être tenue dans la paume de la main puis lancée à au moins 16 cm verticalement sans lui donner d’effet. Elle doit être visible par le receveur durant toute l’exécution du geste. Contrairement à avant 2003, on ne peut plus cacher l’action que l’on produit sur la balle avec notre bras libre ou notre corps. Cette règle visait à rendre les services plus lisibles pour l’adversaire (et ainsi augmenter la durée des échanges), mais également plus compréhensibles pour les spectateurs peu expérimentés. Pour les joueurs, cette règle a demandé un travail spécifique pour parvenir à un service réglementaire qui reste efficace. Ils ont aussi dû développer d’autres manières de brouiller les pistes chez l’adversaire, notamment avec l’utilisation de gestes superflus avec la raquette qui font office de leurres, par exemple en mimant une action qui n’est pas véritablement imprimée à la balle. Il reste cependant quasiment impossible de lancer la balle parfaitement droite, et cela cause beaucoup de débats à tous les niveaux pour savoir si un service est légal (on trouve d’ailleurs maintenant un arbitrage vidéo lors des grandes compétitions pour vérifier ce point). 

Dans quelle mesure la transformation de la taille de la balle a-t-elle impacté l’activité technique et tactique des joueurs ?

Si une augmentation de quelques millimètres peut paraître minime, elle a pourtant considérablement changé la pratique des pongistes. Une balle plus grosse augmente les résistances, et il est ainsi plus difficile de donner de la vitesse et de la rotation. La matière plastique utilisée aujourd’hui amplifie ce phénomène. Pour le joueur, il est donc plus difficile de produire la rupture car on limite la vitesse (compensée par l’évolution technique, physique et du matériel ces dernières années) et surtout la rotation des coups. On peut dire que la fédération a réussi son objectif car les échanges ont effectivement tendances à être plus longs et spectaculaires. Par contre, la variation d’effet paye moins aujourd’hui. La tendance est ainsi à l’uniformisation des systèmes de jeux. Les joueurs athlétiques capables de répéter beaucoup de frappes à haute intensité sont plus adaptés à ces balles que ceux qui misent sur les quantités et les nuances de rotation. D’ailleurs, les joueurs à vocation défensive, qui s’appuient beaucoup sur le jeu à effet, témoignent régulièrement des difficultés qu’ont engendré ces nouvelles balles. Bien entendu, cela a des incidences de taille sur la formation des joueurs avec la recherche d’un volume de jeu important et une préparation physique sans cesse renforcée. 

Peux-tu nous expliquer les incidences de la modification des modalités de score (passage de sets en 21 points à des sets en 11 points) sur l’activité du pongiste ?

Quand les sets étaient en 21 points, on avait tendance à se dire que la première partie était consacrée à des activités dites exploratoires, qui consistent à explorer les points forts et points de son adversaire. En 11 points, il est beaucoup plus risqué de se livrer à ce round d’observation car les quelques points d’avance que prend l’adversaire représentent une sérieuse option sur le gain du set. Ce système augmente l’aléa et on remarque d’ailleurs davantage de résultats « surprises » depuis qu’on fonctionne en 11 points. Les joueurs doivent donc être préparés à être dans la recherche d’efficacité dès le premier point du match. De même, les points « décisifs » de fin de sets représentent une part plus importante du total des points de la rencontre qu’en 21 points. On peut donc considérer que la gestion des émotions engendrées par ces points à enjeux prend une place encore plus importante avec le système de scoring actuel. 

L’enchaînement des services a lui aussi évolué vers une succession de 2 services par joueur. Qu’est-ce que cela induit dans la gestion des premières frappes de l’échange ? 

Dans la même logique que ce que je disais au sujet du scoring, chaque service devient précieux et ne doit en aucun cas être « gaspillé ». On incitait les joueurs à utiliser toute leur gamme de service (court, long, coupé, lifté, rapide…) lorsqu’ils avaient 5 possibilités. L’idée était de complètement brouiller les pistes du receveur. Aujourd’hui, il est beaucoup plus délicat de prendre des risques sur son service car, encore une fois, chaque échec a des conséquences majeures. Naturellement, les joueurs se tournent donc vers l’utilisation prioritaire de leurs services les plus efficaces. Dans ce contexte, on peut observer que les services longs (qui sont considérés comme une prise de risque car ils offrent l’opportunité du receveur d’attaquer) ont été moins fréquents à la suite de cette règle. Toutefois, l’émergence d’un coup d’attaque particulièrement efficace sur les services courts (appelé « flip virgule ») pousse certains serveurs à remettre les services longs au goût du jour. 

En tant qu’enseignant d’EPS, quelle exploitation peut-on faire de ces évolutions règlementaires pour faire progresser les élèves ?

Les évolutions règlementaires que l’on a connu ces vingt dernières années montrent que toute modification de règle a des incidences naturelles sur l’activité des joueurs. Dans le cadre scolaire, ces expériences prouvent que les règles peuvent être de formidables variables didactiques, notamment par l’exploitation des matchs à thème. Par exemple, les conséquences qu’ont eu les évolutions du scoring ouvrent la voie à une utilisation didactique du système de points. L’aléa d’un système de points court (en 5 points par exemple) pourra être utilisé pour rééquilibrer le rapport de force et mettre en avant la part psychologique de l’activité. À l’inverse, des sets de 21 points favoriseront la régularité et laisseront davantage la voie à des adaptations tactiques en cours d’opposition. L’histoire nous prouve également que la variété et la prise de risque au service est plus facile à mettre en place lors d’une succession de points avec le même serveur. On pourra alors jouer sur cette alternance (par exemple 5 services chacun voir un même serveur pour tout un set) lors des phases d’apprentissage où différents services ont été travaillés et peuvent être expérimentés par les élèves. Enfin, j’aurai tendance à utiliser alternativement des matchs au temps et des matchs aux points. D’après moi, une des principales richesses de l’enseignement du tennis de table en contexte scolaire renvoie à la concentration et la réflexion tactique nécessaires à la réussite. Or, cette gestion du duel est reliée au processus de réflexion entre les points qui, forcément, demande du temps.

 Entretien réalisé par Bruno Cremonesi et Jérôme Visioli et paru dans le Contrepied Hors-série n°28 ­– avril 2021 – dédié au Tennis de Table

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