Depuis le début des années 2000, les politiques éducatives françaises affichent leur volonté de promouvoir l’égalité entre les sexes.
Trois conventions interministérielles (2000, 2006, 2013) font référence à cet objectif confirmé dans la loi de refondation de l’école (LOI n° 2013-595 du 8 juillet 2013). La dernière convention interministérielle signée en février 2013 mentionne explicitement que des actions de prévention contre les discriminations en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre doivent être mises en œuvre dans chaque établissement scolaire. La circulaire de rentrée, à destination de tous les chefs d’établissement, demande la mise en œuvre d’actions éducatives pour « combattre toutes les formes de discriminations qui nuisent à la cohésion sociale et à l’épanouissement de chacun comme individu et comme citoyen. (…) (en particulier) la lutte contre l’homophobie et la promotion de l’égalité entre les filles et les garçons » (circulaire du 10 avril 2013, p. 8). Ces actions concernent tous les établissements scolaires de la maternelle au lycée. Tout-e enseignant-e doit donc être en mesure de prendre en compte ces injonctions dans son enseignement.
Dans le même temps, l’homosexualité s’inscrit toujours parmi les tabous du monde scolaire. Pourtant selon les estimations effectuées, 6 à 7% de la population française est homosexuelle (Corraze, 1996), les magazines gays accroissent ces chiffres jusqu’à 10%. Rapportées au contexte de la classe, ces estimations forcent à considérer que dans chaque classe de 30 élèves, 1 à 2 élèves ont ou auront une orientation sexuelle les amenant à choisir un-e partenaire de même sexe. Je mettrais bien là un mot sur les effets d’une culture hétérosexuelle sur les chiffres. Comment lutter contre l’homophobie si on ne parle pas de sexualité ? d’homosexualité ? Trop souvent, ces questions restent cantonnées à quelques cours de biologie ou à de rares interventions ponctuelles menées par des personnes extérieures à l’institution (planning familial, associations…). On ne peut pas continuer de feindre l’ignorance car l’indifférence conduit à des comportements discriminatoires homophobes, répréhensibles par la loi et surtout transforme l’école en une épreuve quotidienne pour certain-e-s tout au long des 16 années du cursus scolaire français. Chez les adolescent-e-s homosexuel-le-s, les tentatives de suicide sont 4 fois plus élevées pour une fille et 7 fois plus élevées pour un garçon que pour un-e hétérosexuel-le. L’homophobie est le principal facteur de sur-risque suicidaire (Terra, Bulletin épidémiologique n°47-48, 2011). Mais encore : sur 1977 témoignages d’actes homophobes enregistrés par l’association « SOS Homophobie » sur l’année 2012, 5% des cas concernent le milieu scolaire (en augmentation de 38% par rapport à l’année précédente). Les manifestations recensées sont notamment des violences verbales (44%) mais aussi des attitudes discriminatoires. Les discriminations s’entendent comme des comportements préjudiciables envers une catégorie de personnes à partir d’un critère particulier, comme celui de la sexualité avérée ou supposée. Les discriminations sont sous-tendues par un système de croyances et de préjugés -dans ce cas à l’égard de l’homosexualité- conduisant par exemple à forger des clichés, des stéréotypes censés caractériser ces personnes. Il relève de la mission d’éducation dévolue à l’enseignant-e d’expliquer, de faire comprendre, de rassurer les élèves et d’œuvrer au maintien du lien social. L’école est certes un lieu d’instruction et de transmission des savoirs disciplinaires, mais elle est aussi un lieu privilégié d’éducation commune.
Venons-en à l’EPS plus particulièrement. Cette discipline est, depuis une cinquantaine d’année, fortement marquée par ses références à la culture sportive. Or les recherches ont démontré que, culturellement le sport est marqué des valeurs dites masculines (Connell, 1987) et de fait, fortement concerné par des comportements homophobes (Gill et al., 2006). La norme de virilité (masculinité hégémonique, Connell, 1987) constitue la norme sportive (Terret, 2004). Cette norme est renforcée par les attributs comme la force physique, l’habileté sportive, l’apparence corporelle (volume musculaire, rapport haut du corps/bas du corps) (Liotard, 2004 ; Liotard et Ferez, 2007). Ainsi, les travaux sur l’homophobie dans le sport, montrent que cette attitude est plus forte dans les lieux sportifs ou d’éducation physique (Gill et al., 2006) et que le sport n’est pas un contexte favorable aux gays (Leger, 2010). Les recherches présentent : d’une part, que l’EPS s’est historiquement construite à partir de normes hétérosexuelles qu’elle a contribuées à diffuser (Ottogalli-Mazzacavallo et Liotard, 2012), d’autre part que les étudiant-e-s en éducation physique ou en sport ont un niveau de préjugés homophobes plus élevé que les autres étudiant-e-s (Gill et al., 2006). Le sport, comme haut lieu de la construction des normes de sexe, évince les individus identifiés comme homosexuel-le-s (Osborne & Wagner, 2007) renforçant parfois encore davantage ces normes, comme c’est le cas chez les joueurs de sports collectifs (Football –américain et européen-, baseball, basket). Ces résultats sont confirmés en France par des études sociologiques, l’une menée dans les établissements scolaires de trois régions françaises éloignées géographiquement (Héas et al., 2009), l’autre sur le contexte sportif en Aquitaine (Mette, 2011). Les enquêtes menées dévoilent que plus les hommes s’identifient comme sportifs, plus ils sont homophobes, ce qui passe notamment par l’humour, les moqueries et l’omniprésence des insultes anti gays.
Les premiers résultats d’une enquête en cours menée en lycée, auprès d’enseignant-e-s d’EPS et de groupes d’élèves (mixtes et non mixtes), profilent la difficulté de considérer ce problème sur le terrain. La séance d’EPS fournit de multiples occasions de se confronter aux normes de masculinité et de féminité leur permettant d’effectuer des comparaisons et des hiérarchisations aussi bien du point de vue des performances physiques que de l’apparence corporelle (le passage au vestiaire est un moment crucial évoqué dans nombre de témoignages d’homosexuel-le-s). Ainsi se créé un positionnement hiérarchique entre les élèves au regard des croyances et préjugés véhiculés sur l’homosexualité. Interrogés sur la possibilité que certain-e-s sportifs/sportives puissent être homosexuel-le-s, un groupe de garçons répondra que ça dépend du sport pratiqué… « évidemment en gym… », ou parmi « les danseurs »… mais pas dans le foot ! Impossible ! « Comment ils feraient m’dame pour taper dans le ballon ? c’est vrai en f’sant ‘hou-hou’ (mimiques), ils peuvent pas » (sic.) ! Cette connotation de certaines APSA engendre de la part de certains (garçons notamment) le refus de pratiquer des activités perçues comme peu viriles, la danse évidemment mais aussi le « frisbee » selon les lycéens.
Un garçon fluet, maladroit sera rapidement classé comme homosexuel potentiel et subira les quolibets de ses camarades pour la simple raison qu’il ne correspond pas à la norme de masculinité. On le lui fera encore plus remarquer lors du cours d’EPS (un garçon « nul », c’est pire qu’une fille « nulle », elle, on l’excuse parce que c’est une fille). Tous ses comportements dont le but est de remettre en cause l’identité masculinité de certains sont des insultes homophobes. Par les mots « on rigole m’dame », ou par le rejet du groupe de pairs dans les activités proposées, la discrimination et l’homophobie accèdent à une forme d’affichage visible. Pourtant, ces violences et discriminations sont peu identifiées (2 enseignants sur 10 les évoquent dans l’enquête) ; elles sont comme diluées dans les situations elles-mêmes : « alors, les insultes, c’est permanent dans ce groupe : « pédé », « enculé », voilà, mais ça va pas plus loin. Les insultes c’est normal quoi. ». « normal » ? Certainement non, mais tellement ordinaire, répété, que cela en devient banal, ce qui les rend difficiles désormais à relever. Faudrait-il interrompre le cours à chaque insulte ? Le passage au vestiaire ? « ça se passe bien, il n’y a pas de problème »…(puis) « en ce moment, ils attachent tous leur short bien serré à la taille. L’autre jour il y en avait un qui avait baissé le short d’un autre, alors maintenant c’est bien serré ». Interrogés sur ce point, un groupe de lycéens dira « c’est un jeu » (défense classique), « les garçons sont moins pudiques que les filles, c’est pour ça » mais conviendront tout de même rapidement que « c’est toujours sur les mêmes, les plus faibles », « c’est pour les faire réagir ». Il faut bien que les normes soient mises à l’épreuve disent-ils.
Etre vigilant, réagir, expliquer, faire comprendre, rassurer, déconstruire les idées reçues, telles sont les actions dont l’enseignant-e peut se saisir de manière ordinaire, dans chaque contexte, dans chaque situation, pour garantir le vivre ensemble et l’apprendre ensemble en EPS.
Etre vigilant : être disponible pour observer les comportements notamment ceux qui « mettent la pression » sur certains élèves, les plus faibles physiquement ou les plus timides qu’il s’agisse de violences physiques ou verbales. Car la violence s’apprend aussi, notamment dans les groupes de pairs.
Réagir : à ces comportements (agressions physiques ou injures). Il s’agit ici de trouver des réponses collectives au sein de l’équipe pédagogique ou de l’établissement, des alternatives à une défense du plus faible/ une sanction du plus fort. Il s’agit surtout de faire prendre conscience des conséquences des actes sur la victime. Les élèves le disent eux-mêmes « c’est pour rigoler, mais au bout d’un moment ça devient lourd. Y’en a qui viennent plus au lycée, qui abandonnent » (section bac professionnel). L’adulte peut rappeler les valeurs du vivre-ensemble, son intérêt social.
Expliquer, faire comprendre, rassurer : les temps de parole ont disparu de notre discipline, pourtant la parole aide les adolescents à mieux comprendre le monde qui les entoure, à leur permettre de se situer positivement dans le groupe classe, à reconnaître les valeurs humaines et éducatives portées par l’EPS et par le sport. En dehors de la valorisation des forts et de la stigmatisation des faibles (exacerbée, par exemple, dans les modalités de la montante-descendante) beaucoup d’élèves (filles/garçons) ont du mal à se projeter en EPS.
Un autre sujet est celui des sexualités. S’il n’appartient pas uniquement à l’EPS, notre discipline doit participer au sein d’un collectif dans l’établissement, à cette éducation qui concerne chaque individu. L’EPS est directement concernée par le corps, ses transformations… comment ignorer que les élèves sont prioritairement préoccupés par la sexualité avant même le collège ?
Déconstruire : Ce qui précède ne suffira pas à transformer. Pour transformer il faut un catalyseur qui permette de faire prendre conscience des comportements appris. Tous les outils pédagogiques sont utiles : du débat, au jeu de rôle, de l’exposition à l’expression. C’est par exemple, le choix effectué par la Compagnie de théâtre Le Trimaran qui propose depuis 2006 un programme « Graine de supporters » pour informer, anticiper, comprendre et lutter contre les incivilités et autres violences dans le sport auprès des jeunes.
Certes, ces tâches relèvent de l’éducatif, elles sont ingrates, permanentes, mais terriblement nécessaires et urgentes. Elles constituent aussi depuis un an, une priorité de notre Institution qui met en place différents dispositifs et ressources via un site de référence.
Vincent Peillon, Ministre de l’Éducation Nationale a créé en novembre 2012 une délégation ministérielle en charge de la lutte et de la prévention des violences en milieu scolaire, composée de 10 personnes et dirigée par Eric Debarbieux.
Avec 4 axes prioritaires y sont développés :
- L’amélioration du climat scolaire
- Le bien-être des personnels et le suivi des personnels victimes
- La relance de la campagne « agir contre le harcèlement »
- La prévention d’urgence et la gestion de crise
La délégation, est également concernée par la lutte contre les violences de genre. Pour ce faire, elle crée des outils pour la communauté éducative (enseignants, parents, jeunes, fédérations d’éducation populaire…) .
Voici quelques outils dédiés à la lutte contre les violences de genre :
- Un ouvrage pédagogique sur l’homophobie, le racisme et le sexisme (édité par le CNDP, et en ligne sur le site climat scolaire de l’éducation nationale, dès novembre 2013).
- Des guides pédagogiques concernant les violences homophobes et sexistes. Ce sont 2 guides distincts ; l’un nommé « On en parle » reprend les concepts clé autour de ces notions, le deuxième « On agit » fournit des pistes d’intervention pour les personnels souhaitant mener des actions de prévention. (téléchargeable sur le site dédié au harcèlement à l’école : http://www.agircontreleharcelementalecole.gouv.fr/).
- L’inscription du sexisme et de l’homophobie dans les formations académiques de manière transversale dans tous modules dispensés par la délégation.
- Des données sexuées dans les enquêtes de victimation lycée.
- Depuis 1993, la Compagnie Le Trimaran, conçoit et organise des spectacles éducatifs à vocation ludique et pédagogique.
En 2006, elle porte un nouveau concept en créant une action de prévention basée sur la lutte contre les incivilités. L’action « Graine de supporters » créée par l’auteur Stéphane Tournu-Romain s’attaque aux problèmes comportementaux : homophobie, racisme, violences, xénophobie… apparus sur et autour des stades et autres manifestations sportives. La clé de cette action est de rappeler les valeurs fondamentales du sport : respect, complicité, plaisir, responsabilité. L’action met les jeunes au centre de la formation et de la réflexion grâce à une participation active, à des messages ciblés, à la dédramatisation par le jeu, mettant en évidence la fragilité des comportements au sein des groupes. Un travail d’accompagnement par le dessin ou l’écriture est également proposé dans lequel les professeurs ou les éducateurs peuvent s’impliquer comme ce professeur de français qui a créé, autour de l’action « Graine de supporter », un cours disponible sur l’espace « weblettres » par le portail des enseignants. Dans les établissements scolaires, les classes à vocations sportives sont particulièrement intéressées (sport-étude, UNSS) et demandent régulièrement cette action auprès de la compagnie.
Depuis 2006 le succès du programme ne se dément pas et s’étend. L’action a été primée à plusieurs reprises.
610 actions « Graine de supporters » ont été réalisées dans 62 départements français et en Belgique.
279 748 jeunes ont déjà été sensibilisés.
2 enquêtes sociologiques sont venues enrichir le programme, deux autres sont en cours d’achèvement et seront prochainement intégrées et publiées.
Des footballeurs de haut niveau soutiennent l’action et y participent.
L’action est régulièrement médiatisée dans la presse écrite et télévisée.
Les ministères de l’Education Nationale et de Jeunesse et Sports sont des partenaires historiques du programme à coté de nombreux autres à l’échelon national, régional, local.
Paru dans Contrepied HS n°7.